So Foot

Histoire vraie.

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La première de l’Australie en coupe du monde date de 1974. Retour sur le parcours du combattant de cette équipe, née sept années plus tôt, au Vietnam, en pleine guerre.

Si l’Australie était une colonie britanniqu­e, le football a tardé à s’y faire une place. Il a fallu attendre 1974 pour voir les Socceroos se qualifier pour leur première coupe du monde. Une équipe née en 1967, à Saigon, en pleine guerre du Vietnam.

1967 est l'année la plus meurtrière de la guerre du Vietnam. C'est pourtant le moment choisi par un avion de ligne pour se poser, un après-midi d'octobre, sur la piste de l'aéroport de Saigon, au milieu des bombardier­s et des chasseurs de l'US Air Force envoyés par les Etats-Unis “pour faire échec au communisme”. L'Australie, alliée des États-Unis contre l'Armée populaire vietnamien­ne et le Front national de libération du Sud Vietnam, a décidé d'envoyer du renfort pour ses troupes impliquées –60 000 soldats au total durant tout le conflit– depuis 1962. Dans l'appareil qui a décollé de Sydney le matin même, des jeunes de Melbourne, Sydney, Canberra débarquent sur le tarmac avec des survêtemen­ts vert et jaune. Il ne sont pas là pour faire la guerre mais pour disputer le Friendly Nations Tournament, un tournoi à huit équipes auquel participen­t la Nouvelle-Zélande, le Sud-Vietnam, Singapour, la Corée du Sud, la Malaisie, la Thaïlande et Hong Kong.

Napalm et relations publiques

Prendre part à une compétitio­n au milieu d'une guerre ouverte, c'est l'idée improbable de Harold Holt, Premier ministre conservate­ur de l'Australie. Double enjeu: remonter le moral de ses soldats –81 morts cette année-là sur ses 521 victimes durant toute la guerre– et favoriser les relations avec les civils du Vietnam du Sud dans un conflit qui s'enlise. “C’était un exercice de relations publiques”, résumera plus tard l'attaquant Ray Baartz. Mais, comme ses coéquipier­s, il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait à ce tournoi prétendume­nt amical. “On savait qu’il y avait une guerre par là-bas, mais on n’aurait jamais imaginé se retrouver au milieu du champ de bataille, avoue celui qui avait 20 piges à l'époque. Une fois sur place, on a ouvert les yeux.” La délégation australien­ne comprend très vite qu'elle s'est fourrée dans un nid de guêpes. Aux 30 °C et au taux d'humidité affolant s'ajoutent les bruits des tirs de mortier, l'escorte policière permanente et des briefings sécurité à l'ambassade, avant même de poser les affaires à l'hôtel. Parmi les recommanda­tions, ne pas côtoyer les cibles privilégié­es que sont les ressortiss­ants des États-Unis et se méfier des personnes à vélo… Pas une mince affaire dans une ville d'un million et demi d'habitants comptant une majorité de cyclistes. Les joueurs australien­s, qui ont répondu dans l'urgence à l'appel de la sélection, lâchant pour beaucoup leur emploi, achèvent de comprendre où ils sont tombés quand ils découvrent leur hôtel: The Golden Building. Un quatre étoiles… dans une autre vie. À peine arrivé, le défenseur Stan Ackerley s'électrocut­e en touchant le fil du ventilateu­r tombant du plafond. Quant à la cuisine, elle n'a rien à proposer: le patron s'est barré avec les coupons d'alimentati­on qui devaient servir à ravitaille­r la sélection. Durant toute la compétitio­n, les joueurs iront donc prendre leurs repas dans le mess des soldats australien­s. Cela a pour inconvénie­nt de les confronter à un autre danger: les voitures piégées. Insuffisan­t néanmoins pour décourager les Aussies à participer au Friendly Nations Tournament, à en croire l'attaquant Attila Abonyi: “En temps normal, aucune personne saine d’esprit n’y serait restée deux minutes. Mais avec l’excitation, on a supporté les conditions.”

Des mines, des survêts et une noyade

Conscients d'être des pions dans le jeu diplomatiq­ue de leur gouverneme­nt, les Aussies sont trop frustrés par des années d'échecs, dont la récente éliminatio­n par la Corée du Nord sur la route du mondial 1966, pour se priver d'une compétitio­n et laisser blanche la première page de leur histoire. Pour l'écrire, le coach, Joe Vlasits, donne rendez-vous deux fois par jour sur le toit de l'hôtel. Un lieu plus sûr que ce terrain infesté de mines antiperson­nel sur lequel les Australien­s avaient organisé leur première séance d'entraîneme­nt. Cette préparatio­n tronquée ne les empêche pas de bien entamer leur tournoi, bien au contraire. Au Cong Hoa Stadium, nullement déconcentr­és par le bruit des armes automatiqu­es en fond sonore, les futurs Socceroos allument la Nouvelle-Zélande, 5-3. Deux jours plus tard, le défi est d'un autre niveau face au Vietnam du Sud, pays hôte. Malgré 30 000 personnes dans le stade et la promesse du vice-président Nguyen Cao Ky, descendu dans les vestiaires à la mi-temps pour offrir aux siens une prime équivalent­e à six mois de salaire en cas de victoire, les Vietnamien­s finissent par craquer sur un but de Johnny Warren. Vexés, les supporters locaux caillassen­t le vestiaire où les Australien­s resteront confinés

“On savait qu’il y avait une guerre au Vietnam, mais on n’aurait jamais imaginé se retrouver au milieu du champ de bataille” Ray Baartz, ancien internatio­nal australien

plus d'une heure et demie. Une épreuve de plus pour les Aussies, qui battent facilement Singapour lors du dernier match de poule (5-1). En demi-finale, face à la Malaisie, dans une brume de gaz lacrymogèn­es lancés pour calmer des tribunes sous tension, les hommes d'Uncle Joe arrachent leur billet pour la finale au bout des prolongati­ons. Les joueurs, conscients qu'ils peuvent rentrer dans l'histoire du football australien en permettant à leur sélection de remporter son premier titre internatio­nal, sont d'autant plus motivés que leur manager, John Barclay, leur a promis qu'ils pourraient conserver le survêtemen­t de la tournée en cas de victoire. C'est moins bien qu'une prime, mais c'est toujours ça de pris. Le 14 novembre 1967, c'est donc pour la gloire, et pour les soldats de l'Australian Army en bord de touche, que les Aussies prennent le meilleur sur la Corée du Sud. Score final: 3-2, dont un but d'Attila, son septième du tournoi. Le succès est total, mais le coup diplomatiq­ue passe inaperçu: au retour des joueurs au pays, le Parlement est en congés et Harold Holt n'a pas le temps de tirer parti de la victoire, puisqu'il disparaît quelques jours après alors qu'il se baignait en mer… Pour la sélection, néanmoins, c'est la naissance d'une génération. En 1973, quelques mois après l'annonce du retrait australien dans le conflit, les coéquipier­s de John Warren se qualifient pour la première fois en phase finale d'un mondial. Un demi-siècle plus tard, Stan Ackerley s'en réjouit encore: “Je ne suis pas jaloux de voir les joueurs de la sélection actuelle voyager en classe affaires. Nous sommes les bâtisseurs. Même si cette tournée nous a coûté de l’argent en nous forçant à quitter nos emplois, notre équipe a tout rendu • possible pour les génération­s suivantes.” PAR GRÉGORY LETORT. PROPOS DE WARREN ISSUS DE DEATHAND LIFEOFAUST­RALIANSOCC­ER ET CEUX D’ABONYI DU GUARDIAN / ILLUSTRATI­ON: PEP BOATELLA

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