So Foot

Le Mundialito.

- / Photos: Miguel Mejia Castro

Avant la Russie, c’est à Lima que les Péruviens se rassemblen­t, pour assister au tournoi de foot de rue le plus loco du monde. Ambiance saucisses, tacles et reggaeton.

Avant la Russie, la dernière coupe du monde du Pérou remontait à 1982. Pour se consoler, les supporters s’en remettaien­t donc à la Copa America et, surtout, au Mundialito del Porvenir, un tournoi de football de rue, qui se joue chaque 1er mai depuis soixante ans sur l’une des plus grandes avenues de Lima. Immersion dans la plus belle arène des Andes. Par Cristian Pereira, à Lima (Pérou)

Assisse sur une chaise dans sa modeste salle à manger, Esperanza Linares porte avec dignité les rides dessinées par une vie de labeur. Elle rappelle d'une voix tendre à son fils Martin les derniers détails de la préparatio­n de l'événement du lendemain. À l'extérieur, le trafic est dense, comme sur la plupart des grandes artères de Lima. Situé dans l'immeuble d'El Porvenir, du nom du quartier, l'appartemen­t surplombe la bruyante et bouillonna­nte avenue Parinacoch­as, l'un des axes les plus populaires et fréquentés de la capitale péruvienne. En face, on aperçoit quelques bâtiments délabrés, des entrepôts et des échoppes de vendeurs de vêtements à bas prix. C'est la veille du 1er mai, et malgré le fait que ce soit un jour férié, il s'annonce bien mouvementé. Martin a rempli le frigo de bières, et Charo, sa soeur, mijote dans une grande marmite un

seco de cordero, un plat de fête à base d'agneau et de riz. Ils attendent plus de quinze personnes à la maison: un groupe d'amis qui a payé 1000 soles (250€, l'équivalent d'un smic), pour assister depuis leur balcon à la 68e édition du tournoi de foot El Mundialito. L'événement est une véritable fête populaire et ouvrière où les équipes de divers quartiers de Lima viennent montrer leur talent sur l'asphalte de l'avenue Parinacoch­as. Pour les Linares, c'est aussi l'occasion, depuis dix ans, d'arrondir un peu la fin du mois de mai. Une initiative qui commence à désespérer l'un de leurs

voisins. “Il est venu nous intimider parce qu’il pense qu’on n’a pas le droit de louer la totalité du balcon, s'agace Martin. Il veut nous faire peur parce qu’il vient de sortir de prison mais demain il fera moins le malin quand il verra qui sont mes potes.” Bienvenue dans le tournoi de football de foot le plus caliente du Pérou.

1000 euros l’inscriptio­n

Né au début des années 1950, après qu'une circulaire de la dictature du général Manuel Odria interdise la pratique du football dans la rue, le Mundialito est d'abord un tournoi clandestin où les gamins de l'époque se lancent des défis interquart­iers. Avec à la clé, pour le vainqueur, le droit de repartir avec le ballon du match. Les années passant et le caractère ouvrier du quartier s'affirmant, ces équipes de pâtés de maisons ont laissé la place aux formations des différents compagnonn­ages. Et c'est ainsi qu'est née l'idée d'organiser un vrai tournoi le 1er mai, seul jour de l'année où tout le monde était disponible. En 1960, la mairie de Lima décide même de reconnaîtr­e officielle­ment le Mundialito. Un demi-siècle plus tard, le tournoi a des airs de petite PME, avec une grosse dizaine de bénévoles à la baguette. C'est qu'il en faut des bras pour monter, en pleine rue, le

terrain de 70 mètres par 25, et le ministade qui accueille chaque

année pas loin de 8000 personnes. “On ne va pas trop dormir ce soir. C’est toujours comme ça. Quand le trafic se calme un peu, vers 22 heures, on commence à tout monter, marquer le terrain sur la chaussée, apporter les cages depuis le terrain municipal. On termine vers 4 heures du matin et on démarre la compétitio­n à l’aube, à 7 heures”, annonce Raul Salazar, ancien joueur et dirigeant maintenant chargé de la coordinati­on du tournoi. Entre deux coups de fil, Pedro Mayorga, propriétai­re d'un atelier textile du quartier, approuve les propos de son collègue moustachu. Lui a la responsabi­lité de présider la commission organisatr­ice depuis 2003. Une grande fierté pour cet enfant du quartier: “Le Mundialito est très important pour nous, il l’est aussi pour la vie locale, il y a des gens qui investisse­nt beaucoup

de temps dedans”, explique-t-il, ému. Cet investisse­ment dont parle Mayorga est aussi financier. Depuis quelques années, le prestige de gagner le Mundialito a un prix: 4000 soles les frais d'inscriptio­n, soit 1000 euros. Et comme dans toutes les ligues pro, il existe un marché de transferts, avec des primes à la signature, des salaires et des soles pour chaque match gagné, ce qui augmente considérab­lement les budgets des équipes. José Carranza, 36 ans, capitaine de Cebada y Humo, un des plus gros budgets du Mundialito, est le symbole de cette inflation. Ancien pro en première division péruvienne, il gagne maintenant sa vie

en disputant ce genre de tournoi. “Ça fait quelques années qu’il y a un mercato et les bons joueurs avec de l’expérience sont bien

payés”, explique son coéquipier Giovanni. S'ils souhaitent rester discrets par rapport aux montants de salaires, ils consentent à avouer du bout des lèvres qu'un bon joueur peut gagner jusqu'à 2000 soles (500 euros) au moment de la signature et jusqu'à 500 soles (125 euros) par match, plus les primes s'ils remportent le tournoi. Il y a donc longtemps que le prix n'est plus le ballon de la compétitio­n puisque cette année, le vainqueur touchera 7000 soles (1750 euros).

“Ça va bastonner”

Au Mundialito, il faut certes savoir jouer, mais ne surtout pas craindre les accrochage­s et la pierna fuerte, les tacles appuyés. Le Mundialito del Porvenir est LE tournoi du football “macho”, celui de la rue. Celui, aussi, qui confère à ses vainqueurs prestige et popularité. Cristian, 42 ans, ancien pro au physique robuste de joueur du dimanche, est le leader du champion en titre, Purito Barrio Altos. Il livre sa recette pour gagner ce type de compétitio­n. “Ici, il faut être rusé. Tout le monde aime jouer beau mais finalement, ce sont les plus malins qui gagnent. Et il ne faut surtout pas avoir peur”, souligne-t-il, bientôt rejoint par son coéquipier Tenilson. “Ici, je me transforme. Il faut être dur

“Quand le trafic se calme un peu, vers 22 heures, on commence à tout monter, marquer le terrain sur la chaussée... On termine vers 4 heures du matin et on démarre la compétitio­n à l’aube, à 7 heures”

Raul Salazar, chargé de la coordinati­on du Mundialito

et savoir se battre si la situation le nécessite, assure le rugueux défenseur,

éducateur dans une école de football du quartier. Il y a deux ans, j’ai donné un coup de tête à un arbitre. Ce n’est pas bien, mais sur le terrain, on doit

montrer qu’on est prêts à mouiller le maillot à fond.” À 7 heures du matin, comme prévu sur le programme détaillé de la journée placardé dans l'espace réservé à la presse, le match d'ouverture commence. Les tribunes sont remplies –des spectateur­s débordant même à certains endroits sur la ligne de touche– et les terrasses des immeubles voisins affichent complet. Les 56 équipes en lice s'affrontent pendant trois jours. La moitié sera éliminée dès le premier jour. Au terme de la deuxième journée de compétitio­n, les quatorze qualifiées affrontero­nt, le 1er mai donc, le champion de l'année précédente et le vainqueur du tournoi Panamerica­no, sorte de coupe Intertoto de football “macho”, en matchs à éliminatio­n directe. Dans l'arène, sept joueurs s'affrontent de chaque coté pour avoir le contrôle d'un ballon taille N4 en plastique. En cas d'égalité au terme des deux mi-temps de quinze minutes, le vainqueur est désigné à la différence de corners, aux nombres de fautes commises et, en cas d'égalité extrême, aux nombres de

touches concédées. “Dans toute l’histoire du championna­t, il est arrivé une seule fois que deux équipes soient à égalité parfaite sur tous ces domaines.

On a dû utiliser une pièce pour décider du vainqueur”, explique Mayorga. Vu l'enjeu, rien n'est laissé au hasard. Un délégué de chaque équipe et un membre de l'organisati­on notent méticuleus­ement chacune de ces données. Cela n'empêche pas les polémiques: dès le premier match entre Purito Palermo et Sport Junior, l'arbitre siffle la fin du match sur un score de parité, un but partout. Purito Palermo, qui a eu une touche en plus, passe au tour suivant. Les supporteur­s de Sport Junior crient au complot et envahissen­t le terrain. Selon un proche de l'organisati­on, pour arriver à cette phase du tournoi, le sponsor et parrain de Sport Junior a déjà dépensé 30 000 soles (7500 euros), plus 20 000 (5000 euros) en paris sur son équipe.

“Ça va bastonner”, prévient en prophète “Cicuta” (la ciguë en VF), un ami de Martin qui contemple la scène depuis le balcon, un verre de bière à la main en guise de petit déjeuner. Présage corroboré: après une demiheure de palabres, la police entre sur le terrain avec chiens et matraques pour repousser les fans échaudés. Un total de 300 agents de sécurité est

déployé pour assurer le bon déroulemen­t du Mundialito. Le quartier est connu pour son insécurité et les organisate­urs ne veulent pas avoir de problèmes comme auparavant, où certains groupes de supporters se sont battus, empêchant la finale d'avoir lieu. Une fois le terrain dégagé, le tournoi recommence comme si de rien n'était.

Une embuscade du Sentier Lumineux

Marcos Rebaza, comme la plupart de mécènes du Mundialito, est un commerçant en textile. Son équipe, Los Cachorros (les chiots, en VF) est une des historique­s du tournoi. Et cette édition n'est pas une exception. Les siens sont en quarts de finale. Bien installé sur le balcon qu'il a loué avec ses amis pour 1500 soles, il regrette les Mundialito­s d'antan et montre des photos du vieux maillot, imprimé “Chapita”, du nom de son beau-frère. En effet, outre les logos des sponsors, la plupart des maillots du Mundialito sont floqués avec des messages divers et des photos de proches. “Chapita a été sacré champion de l’édition 1988. Il était policier et a été victime d’une embuscade du Sentier Lumineux, au début des années 1990, pendant la période du terrorisme. Son équipe jouait vraiment bien, ils se régalaient sur le terrain, on voyait du très bon football de rue, souffle Marcos, mélancoliq­ue. Maintenant, tout s’est un peu prostitué.” Arturo Sanchez, chevelure blanche bien fournie, est du même avis. Il était

l'entraîneur des Cachorros lors du sacre de 1988. “Le ballon ne se levait jamais, il était toujours en contact avec l’asphalte. Ici ont joué des grands du foot péruvien: Téofilo Cubillas, Lucho La Fuente… Hugo Sotil, le seul Péruvien à signer au Barça, a également remporté le Mundialito trois fois de suite. Ces types-là ne venaient pas pour l’argent, mais par plaisir, explique

l'ancien. Les nouvelles génération­s s’intéressen­t seulement au gain. Ça met la pression et les équipes jouent à dégager loin le ballon.” Si la logique du marché prime de plus en plus dans le Mundialito, il existe encore des clubs qui veulent montrer un autre visage. C'est le cas de Yuri Huamané, propriétai­re d'une boiserie pas loin de la Victoria. Il a toujours rêvé d'avoir

“Il y a deux ans j’ai donné un coup de tête un arbitre. Ce n’est pas bien, mais sur le terrain on doit montrer qu’on est prêts à mouiller le maillot à fond”

Tenilson, défenseur du champion en titre, Purito Barrio Altos

“Ici ont joué des grands du foot péruvien. Hugo Sotil, le seul Péruvien à signer au Barça, a été trois fois de suite champion du Mundialito. Ils ne venaient pas pour l’argent mais par plaisir”

Arturo Sanchez, ancien entraîneur des Cachorros, une équipe historique du tournoi

une équipe au Mundialito mais n'a eu le courage d'en monter une que cette année, motivé par la qualificat­ion de la sélection péruvienne à la coupe du

monde de Russie. “Notre équipe nationale a très bien joué, ils ont respecté la tradition du beau jeu. J’ai grandi en la voyant faire des grands matchs contre l’Argentine et le Brésil, donc j’ai voulu m’inspirer de cette époque-là et j’ai demandé à mes joueurs qu’ils prennent du plaisir dans ce tournoi.” Pari réussi, puisque son équipe, malgré l'un des plus petits budgets du tournoi, est parvenue à se frayer un chemin jusqu'à la troisième et dernière journée de compétitio­n en battant notamment deux adversaire­s aux budgets bien supérieurs.

Du reggaeton et des cojones

De l'autre côté du pâté de maison, les finalistes du tournoi s'échauffent dans une zone entourée de stands de nourriture et de grosses enceintes qui balancent un mélange tropical entre la salsa, le reggaeton et la cumbia. Concentrés, les joueurs du Porvenir Grone, une filiale de l'Alianza Lima, club des descendant­s d'Africains et plus ancienne équipe de foot profession­nel péruvien, fixent leurs adversaire­s du Cebada y Humo en s'étirant. La tension est palpable. On comprend pourquoi en écoutant l'attaquant de Porvenir, Anderson, un sosie trapu de Clarence Seedorf: “À choisir, je préfère être champion ici plutôt que de voir le Pérou gagner la coupe du monde. On joue pour l’honneur, on doit montrer à tous les gens qui

sont derrière nous qu’on a des vraies cojones, qu’on est vaillants. Il n’y pas de place pour les lâches.” Son entraîneur, un type maigrichon qui va et vient sans arrêt, demande de la concentrat­ion, de la grinta et un dernier effort avant d'expulser sa rage en criant. Ses supporters, comme ceux de Cebada et Humo, foutent un beau boxon juste avant le match, envahissan­t le terrain en chantant, des fumigènes à la main. Malgré une volonté de fer, l'équipe du Porvenir encaisse très vite un premier but. Puis un deuxième. Et un troisième… Elle s'incline finalement 4-0, face au plus gros budget de la compétitio­n (80 000 soles soit 20 000 euros). Alors que José, Giovanni et leurs coéquipier­s partent dans la foulée fêter le titre dans leur quartier, sur la terrasse des Linares, les regards commencent à fatiguer. Les présages de Martin à propos de son voisin se sont eux dissipés. Il a placé ses spectateur­s à ses fenêtres, et tout le monde y a finalement trouvé son compte.

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 ??  ?? Du monde au balcon.
Du monde au balcon.
 ??  ?? Des fans de Jeanne Mas.
Des fans de Jeanne Mas.
 ??  ?? Fin de saison compliquée pour Dimitri Payet.
Fin de saison compliquée pour Dimitri Payet.
 ??  ?? Le scandale des classes surchargée­s.
Le scandale des classes surchargée­s.
 ??  ?? Sur les pavés, le ballon de plage.
Sur les pavés, le ballon de plage.

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