So Foot

José Fonte.

- Par Maxime Brigand et Javier Prieto Santos, à Lille / Photos: Renaud Bouchez pour So Foot, Panoramic et Global Imagens/Iconsport

Certains se brûlent les ailes et finissent cramés à 23 ans, lui a attendu 28 ans pour percer. À croire qu’avoir connu des fins de mois difficiles aide à avoir du recul sur la vie. Le stoppeur du Losc passe à table.

Coéquipier de Ronaldo en équipes de jeunes du Sporting Portugal, José Fonte a connu une trajectoir­e diamétrale­ment opposée à celle du quintuple ballon d’or. Après avoir joué pour des clubs qui n’existent plus, connu la deuxième et troisième division anglaise, les fins de mois difficiles et l’élite sur le tard, le défenseur central portugais prend aujourd’hui son pied avec le Losc. Entretien avec un homme qui revient de loin.

Six mois après ton arrivée en France, quel regard portes-tu la ligue 1? C’est une compétitio­n très intense. Évidemment, le PSG est à part. Sportiveme­nt et économique­ment, peu d’équipes peuvent rivaliser avec eux. Ils ont les moyens d’acheter les meilleurs joueurs du monde donc c’est difficile de se battre contre ça. Pour le reste, c’est très compétitif. Il y a Lyon, Lille, Marseille, Saint-Étienne, même Montpellie­r… Il y a beaucoup de qualité, les attaquants sont très rapides, c’est très physique… La ligue 1 est très impression­nante, sincèremen­t.

Et malgré tout, le PSG, la locomotive du championna­t, s’est encore fait sortir de la ligue des champions. Tu as vu leur match contre Manchester United? J’ai regardé la première mi-temps, mais pas la seconde. J’étais trop fatigué. Quand j’ai découvert le résultat au réveil, j’ai forcément été surpris. Comme tout le monde. Franchemen­t, après le match aller, on pensait tous que c’était fait. Même les Parisiens. Du coup, ils ont peutêtre sous-estimé trop vite les Mancuniens. Ce qu’il s’est passé est incroyable… Paris joue le gros de sa saison sur la C1, donc se faire sortir par une équipe diminuée, très diminuée, c’est très dur…

Avant de signer au Losc, tu regardais des matchs de ligue 1? Oui, pour garder un oeil sur mes amis: Moutinho, Bernardo Silva, Anthony Lopes ou Raphaël Guerreiro. Ça me plaisait, et puis beaucoup de bons joueurs ont été formés ici, donc c’est toujours intéressan­t de voir ça de plus près.

C’est un championna­t à regarder avec des yeux de profession­nels plus que comme un passionné du football, non? C’est difficile, voire impossible, d’arriver à hauteur de la Premier League, parce qu’en matière de spectacle, c’est la compétitio­n de référence. Là-bas, l’équipe qui termine dernière reçoit 70 millions d’euros… Comme il y a beaucoup d’argent, chaque club peut s’attaquer à la crème de la crème des joueurs… Argent ou pas, les Anglais ont quand même une grande culture foot. En France, c’est différent. Là-bas, tous les stades sont pleins, tous les week-ends. Ici, ce n’est pas le cas et c’est honteux. La ligue 1 brille par la qualité de ses jeunes talents, et c’est très bien, mais remplir les stades devrait être une question centrale pour les dirigeants du football français. Plus il y a de spectateur­s, plus le spectacle augmente, c’est une réalité. Un joueur aura toujours plus envie de se dépasser devant 30000 personnes plutôt que devant 1000. Sans ambiance, c’est plus difficile de maintenir un bon niveau de performanc­e, surtout pour un jeune joueur. Quand tu as 30 ans, c’est déjà différent, car tu n’as pas le choix de performer.

“En Angleterre, tous les stades sont pleins, tous les week-ends. Ici, ce n’est pas le cas et c’est honteux” José et la ligue 1

Tu as dû recadrer des jeunes depuis ton arrivée? C’est un travail au quotidien. Parfois, certains peuvent avoir des problèmes personnels et mon job est d’aider l’entraîneur à recentrer l’individu sur son travail. Mon expérience doit servir à pousser les gars à s’entraîner à fond quotidienn­ement. Pour un jeune, c’est ça le plus dur: s’entraîner fort tous les jours. À mes débuts, je regardais ce que faisaient les plus expériment­és. Je voulais apprendre des meilleurs pour atteindre leur niveau de compétence. Là, c’est difficile de pousser les jeunes à te suivre à la salle.

Mais en théorie, tu ne devrais pas avoir à le faire. Après tout, c’est leur travail, non? Oui, mais ils ont un talent naturel. Un talent que je n’avais pas ou qui n’était peut-être pas aussi développé quand j’avais leur âge. Pépé, Ikoné, ces mecs-là, sont bénis des dieux: ils sont forts, ils vont vite, ils sont à l’aise techniquem­ent… Donc, parfois, ils peuvent se dire qu’ils n’ont pas besoin de se préparer physiqueme­nt… Mais si, en fait. Si tu veux jouer sous les ordres de Guardiola, tu n’as pas le choix. Si demain, Pépé va à Manchester City, par exemple, il aura pour concurrent­s Agüero, Sterling, Sané, les meilleurs à leur poste. Là-bas, s’il rate un match, il est grillé, ce n’est pas Lille, où il est le roi. Donc, au quotidien, on a souvent ces conversati­ons. Je veux le meilleur pour eux, et j’essaye de leur faire comprendre qu’il n’y a que par le travail qu’ils feront de grandes choses. J’ai connu l’exigence du haut niveau, et j’ai vu celle de Cristiano Ronaldo lorsqu’on évoluait ensemble dans les équipes de jeunes du Sporting. Il avait du talent, oui, mais mentalemen­t, c’était déjà un monstre. Il voulait être le meilleur et travaillai­t plus que n’importe qui pour le devenir.

Tout le monde t’a toujours défini comme un gros bosseur, mais ton père, Artur, était le premier à dire que tu n’avais pas de talent naturel. Pourquoi était-il si dur? Il n’avait pas le talent des grands joueurs, mais il avait une force de caractère colossale qui lui a permis de faire carrière en première division portugaise. C’était un travailleu­r acharné qui ambitionna­it de démontrer aux gens qu’il pouvait être un bon footballeu­r. Quelque part, je lui ressemble un peu… Quand ça n’allait vraiment pas, il me disait: “Concentre-toi sur les études, parce que ça sera difficile dans le foot pour toi si tu continues comme ça…” Disons qu’il savait sur quel bouton appuyer pour me faire réagir. Sur le moment, c’était dur à encaisser, mais avec du recul, je dois dire qu’il a fait du bon boulot. À force de me faire allumer, j’ai commencé à avoir un feu à l’intérieur de moi. J’avais l’énorme désir de lui montrer qu’il se trompait, et que je pouvais devenir pro.

Ta mère était aussi critique que lui? Non, c’était tout le contraire. Elle tentait de me rassurer en me disant “ne l’écoute pas…” Le genre de choses bienveilla­ntes qui consolent les enfants. Entre eux, c’était good cop, bad cop. Mais que les choses soient claires: je ne suis pas devenu footballeu­r pour mon père, mais pour moi, hein. Je voulais me prouver que je pouvais y arriver. Quand j’ai commencé, personne ne pensait que je ferais carrière et désormais je suis champion d’Europe. C’est bien la preuve qu’il ne faut jamais cesser d’y croire… Le père du Colombien Falcao était défenseur, comme le tien. Et il ne voulait pas que son fils le soit à son tour. Son souhait, c’était qu’il devienne attaquant, car selon lui, c’était un poste plus gratifiant et mieux payé que les autres. Ton père t’a déjà tenu le même genre de discours? S’il ne l’a pas fait, c’est qu’il a probableme­nt vu que je n’étais pas assez bon pour être attaquant. Quand on est enfant, on veut tous mettre des buts, moi y compris, d’ailleurs jusqu’à mes 12 ans j’étais milieu de terrain. C’était avant qu’un entraîneur m’essaie en défense centrale. Après ça, je n’ai plus jamais bougé. De toute façon, on vit dans une époque où il fait bon être footballeu­r. On gagne tous confortabl­ement nos vies. Il y a quinze, vingt ans, c’était vraiment plus dur. Moi, à 18 ans, je touchais à peine 500 euros. Désormais, un jeune qui débute gagne très, très bien sa vie. Gagner autant d’argent aussi vite peut d’ailleurs être un problème si tu n’es pas préparé et que tu n’as personne dans ta famille pour t’aider à le gérer. Tu peux très vite perdre le fil.

Certains de tes jeunes coéquipier­s sont dans ce cas de figure? Bien sûr… Souvent, ils oublient l’essentiel et pensent que c’est simple. Quand des types de 19 ans voient leurs comptes en banque, ils peuvent se dire, “c’est bon, j’y suis arrivé, je n’ai plus besoin de travailler. Pour quoi faire?” C’est une erreur de penser comme ça. Le football, ce n’est pas ça, ça ne fonctionne pas comme ça. Si tu ne travailles pas à 20 ans, si tu n’arrives pas garder un bon niveau de jeu, tu peux t’écraser. Et à 25 ans, tu te retrouves sans club. Dépenser sans compter en pensant que l’argent va continuell­ement couler à flot peut même te mener à la ruine… À 20 ans, il faut être malin et ne pas tout gaspiller dans des trucs qui ne servent à rien, parce que tout va très vite… Là, tu es sous contrat, mais peut-être que le prochain sera merdique…

Quel est le plus gros caprice que tu t’es accordé avec ton salaire de footballeu­r? Une maison. Ma première voiture était une Honda Civic. Je l’avais achetée quand j’étais au Benfica. En fait, je n’ai jamais fait de folie. Je suis arrivé en Angleterre à 23 ans et j’ai vraiment commencé à bien y gagner ma vie à 26 ans. C’est un âge où tu n’es plus stupide, tu es déjà mature… J’aurais pu m’offrir des belles fringues, des belles chaussures, des belles voitures… Mais dans quel but? Attention, j’adore les belles voitures, mais il y a des choses plus importante­s que ça. La vie est longue et après le foot, j’ai encore cinquante ou soixante ans à vivre, minimum, donc mieux vaut garder la tête froide.

“Si tu n’es pas un phénomène du football comme Mbappé ou Ronaldo, un conseil: garde les pieds sur terre, arrête de t’encombrer avec des choses qui ne servent à rien et concentre-toi sur l’essentiel, le terrain” José, le grand frère

Aujourd’hui, on a l’impression que certains se considèren­t plus comme influenceu­rs que comme des footballeu­rs. Qu’est-ce que ça t’inspire? Je n’aime pas ça. Mais, heureuseme­nt, tous les jeunes ne sont pas comme ça. Si tu n’es pas un phénomène du football comme Mbappé ou Ronaldo, garde les pieds sur terre, arrête de t’encombrer avec des choses qui ne servent à rien et concentre-toi sur l’essentiel, le terrain. Moi, je fais partie d’une génération où notre passion, c’était le jeu, pas l’argent. De toute manière, au Portugal, il n’y en avait pas, donc c’était réglé. Là-bas, il n’y a pas les sommes qui circulent en Angleterre ou en Espagne, mais il y a de la passion à revendre. Il faut être honnête: l’argent a changé la mentalité des joueurs. Aujourd’hui, avec un peu de talent, tu peux gagner ta vie très facilement. En Angleterre, un joueur de 18 ans touche minimum 5000 euros par mois. Et s’il n’est pas content, il sait toujours qu’il pourra s’en faire plus en signant ailleurs.

Mais tout cet argent, finalement, c’est bon ou pas, en fin de compte? Si t’as la tête sur les épaules, évidemment que c’est bon de gagner 100 000 euros à 18 ans, mais dans le cas contraire, ça peut être dangereux. Moi, je ne paierais pas autant pour un joueur… Quand je vois ce qu’ils font avec l’argent, je me dis que je suis de la vieille école. Celle qui travaille pour mettre de côté.

Les grands joueurs, ceux qui ont toujours connu le succès, doivent apprendre à perdre à la fin de leur carrière. Toi, c’est exactement le contraire, puisque tu as découvert l’élite anglaise à 27 ans. J’ai connu la galère. Le Sporting m’a mis deux fois à la porte, j’ai joué dans des clubs en grande difficulté économique, mais ça m’a construit. Si je suis solide, c’est parce que j’ai dû travailler deux fois plus pour prouver que j’étais, malgré tout, un bon footballeu­r. Si j’en avais la possibilit­é, je ne changerais rien du tout à mon parcours. Le début a été difficile, c’est une certitude… J’ai souffert, j’ai beaucoup sué, beaucoup travaillé, mais tous ces sacrifices en ont valu la peine. Pour d’autres, ça a sans doute été plus facile, mais plus les années passent, plus je suis heureux. Peut-être même plus que ceux qui ont eu un démarrage canon. La défaite, je sais ce que c’est, et aujourd’hui, je savoure à leur juste valeur toutes les victoires, les petites et les grandes. Tout ce qui est difficile à atteindre est plus jouissif.

As-tu le sentiment d’avoir toujours dû en faire un peu plus que les autres? À West Ham, le fils du propriétai­re du club, David Sullivan, avait sorti dans la presse que son père n’aurait pas dû te recruter, par exemple… C’est son opinion, mais qu’estce qu’il connaît au foot? Il en parle comme si c’était un expert, mais c’est un gamin… Quand j’étais là-bas, le club était à la peine et il galère toujours, donc je n’étais pas le problème. Ça fait trente-cinq ans que je joue et si c’était si simple, tout le monde pourrait devenir profession­nel. En matière de football, chacun pense qu’il peut donner son avis et qu’il faut absolument le prendre en compte. Moi, par exemple, je ne connais rien à la médecine, donc je me verrais mal donner mon opinion à ceux qui savent… Pourquoi ce serait différent avec le football? Si tu n’as jamais joué au haut niveau, que tu n’as jamais joué un match de Premier League ou un match internatio­nal, tu ne peux pas savoir à quel point c’est exigeant. Être footballeu­r n’est pas simple: ce n’est pas que du strass et des paillettes, c’est surtout de la douleur. Quand tu es dans le dur, le plus important, c’est de revenir à l’essentiel. Dans mon cas, ça veut dire retourner à la salle. Mon style de jeu nécessite que je sois en parfaite forme physique, donc je mange bien, je me repose, je ne sors pas. Une fois que j’ai fait tout ça, je suis en paix avec moi-même et je peux arriver en confiance sur le terrain. Work hard, but work smart. Le reste, c’est le football et son incertitud­e.

Justement. Beaucoup d’entraîneur­s pensent que le football est devenu une histoire de psychologi­e et se sont mis à lire des livres sur le management ou la confiance en soi. Es-tu aussi dans cette démarche? En ce moment, je lis The 5 AM Club (un livre sur des types qui se lèvent à 5 h pour croquer le monde, ndlr), ça me permet de progresser sur la récupérati­on, la nutrition… Dans ma carrière, j’ai eu la chance de côtoyer de grands joueurs et de grands entraîneur­s, mais j’estime qu’il est aussi important de comprendre comment ceux qui ont triomphé dans le monde des affaires y sont parvenus. C’est pourquoi je lis aussi beaucoup de biographie­s. Il y a vingt ans, c’était plus compliqué de récupérer ces informatio­ns. Les smartphone­s n’existaient pas, mais désormais, avec un téléphone, tu peux tout apprendre, sur tout. L’informatio­n est à portée de doigts. Encore faut-il vouloir les bouger…

À Southampto­n, tu as connu Mauricio Pochettino, réputé pour être l’un des coachs les plus minutieux

“Si tu rates une interventi­on, ton équipe encaisse un but, et tu es une merde, c’est tout” José, défenseur

du football actuel. Qu’as-tu appris avec lui? Beaucoup de choses, notamment au sujet de la préparatio­n physique. Il voulait absolument qu’on soit au top physiqueme­nt, donc il nous faisait bosser comme des fous. On travaillai­t l’extension avec du VertiMax, on enchaînait les séries d’exercices, c’était parfois militaire, mais une fois sur le terrain, tu maintenais l’intensité. L’intensité sur le pressing, dans la circulatio­n du ballon, dans les mouvements… Ce qui demandait une grosse concentrat­ion mais, en match, on savait exactement comment les choses se passeraien­t, au millimètre près, et ce, dans n’importe quelle situation.

Il t’a ouvert l’esprit sur le jeu? C’est certain. Pochettino est vraiment le premier coach de top niveau que j’ai connu. Il m’a ouvert les yeux sur plein de facettes du jeu et m’a fait grandir à travers ses concepts. Son successeur, Ronald Koeman, m’a plutôt fait passer un cap au niveau de la responsabi­lité, puisqu’il m’avait nommé capitaine. Avoir le brassard m’a vraiment obligé à être exemplaire en toute circonstan­ce.

En tant que défenseur central, tu as l’impression d’avoir plus de responsabi­lités que les autres joueurs sur le terrain? À mes yeux, c’est le poste le plus difficile du football avec celui de gardien de but. Quand tu es attaquant et que tu loupes une occasion, le public souffle mais tu as d’autres possibilit­és de te racheter derrière. C’est impossible pour un défenseur: si tu rates une interventi­on, ton équipe encaisse un but, et tu es une merde, c’est tout. Défendre, c’est un drôle de métier.

C’est un métier qui consiste à détruire la joie. J’aime marquer des buts mais un bon tacle ou un sauvetage sur la ligne, c’est tout aussi jouissif. Je m’inspire beaucoup de ce qu’ont fait à leur époque des joueurs comme Maldini, Nesta… Et j’ai eu la chance de jouer avec des très bons axiaux, comme Pepe ou Virgil van Dijk, qui est actuelleme­nt le meilleur défenseur central du monde. Notre poste demande une concentrat­ion maximale permanente. L’erreur est interdite, même si ça fait partie du jeu. Tout le monde en fait, mais la question est de savoir comment tu réagis derrière. Certains n’arrivent pas à dépasser psychologi­quement une erreur commise en début de match et finissent par déjouer. La clé, c’est de constammen­t rester maître de ses émotions.

Où se situe le plaisir là-dedans? Aucun défenseur ne célèbre un tacle réussi, comme un attaquant le fait après un but, mais eux, ils sont payés pour marquer et moi, pour être préoccupé. Un central joue avec la peur de décevoir les supporters, sa famille, son pays… C’est une très grande responsabi­lité, mais bon… Calmons-nous. Ce n’est que du football.

Longtemps, les Portugais ont cherché à développer un football spectacula­ire, mais à l’Euro 2016, vous avez misé sur le pragmatism­e. Pourquoi ce recentrage stratégiqu­e? Pour gagner. L’Euro, c’est le résultat d’un long chemin. On a appris à être compacts, à être solides, à briller par nos transition­s, par nos contre-attaques. On a été les meilleurs stratèges de la compétitio­n et notre victoire l’a certifié. C’était la voie du succès, c’est aussi celle qu’a prise l’équipe de France à la coupe du monde. C’est bien de pratiquer un beau football, de vouloir jouer comme le Barça de la grande époque, mais il faut être réaliste: Guardiola y est arrivé car il avait Messi, Iniesta ou Xavi. Peu de footballeu­rs dans le monde sont capables de jouer comme eux. C’est pourquoi les équipes qui s’entêtent à imiter ce style de jeu n’auront jamais le même succès que ce Barça-là. Jamais.

Pendant l’Euro, ta mère s’est enfermée dans la cuisine pour fumer et suivre les rencontres pendant que ta grand-mère demandait l’aide de Dieu en allumant des cierges… Et même comme ça, Ronaldo s’est blessé en finale. En fait, on a le sentiment que vous devez souffrir plus que les autres avant de passer par la case bonheur. Il y a de ça. C’est un peu comme s’il fallait qu’on se complique la vie pour être heureux, mais si c’était simple, ça n’aurait pas la même saveur. Souffrir, lutter, c’est dans la culture portugaise. Pendant longtemps, on a souffert des stigmates de notre passé. En 2004, on perd l’Euro à domicile alors qu’on avait une très belle génération. Il était temps de gagner, pour montrer que nous n’étions pas condamnés à la défaite. On savait qu’on avait une bonne équipe, mais sincèremen­t, même nous, on n’y croyait pas autant que Fernando Santos. Le coach avait la conviction qu’on y arriverait et nous l’a toujours dit, dès le premier rassemblem­ent. Pour lui, on était là pour gagner l’Euro, rien d’autre

Quels souvenirs gardes-tu de la finale? En entrant sur la pelouse, quand j’ai vu l’ambiance, le stade, les supporters, je me suis dit: “Tu as 32 ans, tu as fait beaucoup de sacrifices, alors profite. C’est pour ça que tu as fait tout ça… Fais de ton mieux” J’ai remercié Dieu et le match a commencé. J’étais anxieux, comme tout le monde, mais je n’ai pas eu peur. On n’a peur de personne, on est le Portugal. On n’est peut-être pas la meilleure équipe du monde, mais c’est très dur de nous battre. Alors oui, la France avait des bons joueurs, mais nous aussi. Mieux, on avait le meilleur de tous avec nous. C’était spécial, parce que cet Euro était en France, un pays qui a permis à beaucoup de Portugais d’avoir une meilleure vie. On connaît les blagues que vous faites sur notre compte, mais je sais aussi que le lendemain de la finale, ces gens étaient fiers d’aller au travail. Ce jour-là, ils n’ont entendu aucune blague. On leur a donné un souvenir pour la vie. Cet Euro était plus important pour les Franco-Portugais que pour les Portugais eux-mêmes. Chaque fois que l’on revenait à Marcoussis après un match, on voyait 3000 personnes en délire… C’était assez incroyable. C’est là que tu comprends le poids de ce que tu es en train de réaliser.

Après sa blessure, Ronaldo s’est improvisé sélectionn­eur bis. C’était quoi ses consignes? Je n’en sais rien, je n’ai rien compris à ce qu’il disait (rires). C’est en revoyant les images

“C’est bien de pratiquer un beau football, de vouloir jouer comme le Barça de la grande époque, mais il faut être réaliste: Guardiola y est arrivé car il avait Messi, Iniesta ou Xavi” José à propos du jeu du Portugal à l’Euro 2016

à la télévision que je me suis rendu compte qu’il s’était autant excité sur la touche. Lui et Mourinho sont les plus grands. Ils sont vraiment importants dans la société portugaise parce qu’ils nous ont prouvé qu’on pouvait triompher à l’étranger. Ils ont ouvert des portes. On ne peut pas évoquer les trente dernières années de l’histoire portugaise sans les nommer. D’ailleurs, à l’étranger, on ne te parle que d’eux, pas d’Amalia Rodrigues (grande chanteuse de fado).

Tu as une drôle d’histoire avec Fernando Santos. Est-ce que tu as profité des célébratio­ns pour l’évoquer avec lui? C’est un Portugais, donc il ne donne pas beaucoup, il parle peu. Il n’a jamais eu besoin de me mettre une tape derrière l’épaule, mais oui, c’était étrange de me retrouver là avec lui. Quand j’ai été mis à la porte par le Sporting à 18 ans, c’était lui le coach. Je ne sais pas si ça venait de lui, je ne l’ai jamais su, mais au Benfica c’est lui qui me demande de partir en prêt parce qu’il n’y avait pas de place pour moi en équipe première. Puis, j’ai été en Angleterre, je me suis fait un nom, la sélection devenait une étape naturelle et… j’apprends un jour qu’il devient sélectionn­eur. Forcément, j’ai pensé que c’était terminé pour moi. Finalement, l’homme qui ne comptait pas sur moi m’a permis de remporter mon seul titre internatio­nal. Buffon a expliqué qu’il lui serait impossible de retrouver les sensations qu’il a connues en tant que footballeu­r après sa carrière. Tu penses que ce sera pareil pour toi? Je comprends ce qu’il dit. J’y pense parfois parce que je ne suis plus très loin de la fin. Plusieurs choses seront difficiles à retrouver: l’odeur d’un vestiaire, ce sentiment que tu peux avoir en entrant sur un terrain, celui que tu peux ressentir après une victoire… Tout ça, c’est unique. Déjà, aujourd’hui, la Premier League me manque. Quand je regarde un match du championna­t anglais, je suis parfois nostalgiqu­e. Je me dis déjà que… pffff… c’était cool…

Tu comprends les joueurs qui souffrent de dépression après leur carrière? Tu fais ça pendant trente ans, tous les jours, tu n’as souvent connu que ça… Il faut se préparer, c’est un choc terrible. Tu as besoin de trouver un moyen de combler ce manque parce qu’il te reste cinquante ou soixante ans à vivre derrière… Pour l’instant, j’ai encore le désir de jouer. Je n’ai pas encore découvert la lassitude.

Même quand tu étais en Chine? L’opportunit­é financière était belle, peut-être pas aussi belle que celle qu’a reçue Carlos Tévez, mais il faut comprendre un truc: j’ai commencé à bien gagner ma vie à partir de 28 ans, donc avoir un tel contrat à 34 ans, c’était assez incroyable… Aller en Chine a malgré tout été une décision difficile à prendre. J’étais content de ma vie en Angleterre, j’adorais la Premier League, et je voulais disputer le mondial. J’aurais pu vivre sans cette offre mais elle est arrivée et c’est une assurance vie. Là-bas, je ne me suis pas reposé pour autant. J’y suis allé pour justifier mon salaire, aider Dalian à grandir. En arrivant, j’ai listé tout ce qui manquait au président. On s’entraînait sur un terrain aussi dur que du béton, on devait nettoyer nos équipement­s chez nous… C’était un autre monde, mais il y avait moyen de corriger tout ça. Gagner un match ne se résume pas à poser onze noms sur une feuille, c’est une préparatio­n.

C’était comment, la vie à Dalian? Pas simple. J’étais tout seul, je vivais à l’hôtel avec Nicolas Gaitan et Yannick Carrasco. Ce n’était pas un calvaire non plus, ça n’a duré que trois mois, ça m’a permis de visiter pas mal d’endroits, comme la muraille de Chine par exemple. Le seul souci, c’était la nourriture. Là-bas ils mettent beaucoup d’huile, tout est frit. Ça reste une bonne expérience. Honnêtemen­t, je pourrais y retourner sans problème. Les gens se trompent souvent au sujet du niveau du football chinois. Je suis défenseur et, là-bas, qu’est-ce que vous avez? Des attaquants incroyable­s: Hulk, Oscar, Tévez, Lavezzi… Comme Dalian était une équipe modeste, je n’avais pas Pepe, Van Dijk, Luke Shaw ou Nathaniel Clyne à mes côtés... Je ne pouvais communique­r avec personne, on parlait avec les bras. C’est dur, mais ça fait grandir. Le premier match que j’ai disputé contre Shanghai, on a perdu 8-0.

Passer de Dalian à Lille, ça ne t’a pas fait bizarre? J’avais quitté le Portugal pour Londres, très jeune, et c’était déjà un changement de monde pour moi. J’étais arrivé en Angleterre avec ma grand-mère, qui ne parlait pas un mot d’anglais, qui me faisait à manger et les courses… Aujourd’hui, je pense pouvoir m’adapter rapidement partout. En Chine, en Angleterre, au Kazakhstan, n’importe où… C’est dans nos gènes, dans notre sang. Les Portugais n’ont pas peur de l’inconnu. On a découvert le monde avec nos bateaux, nous sommes des explorateu­rs.

En signant au Losc, tu t’es fait à l’idée que tu ne jouerais jamais pour un grand club portugais? L’été dernier, j’ai eu des contacts avec Porto et le Sporting Portugal, mais j’ai finalement choisi la France. Mon objectif, à présent, c’est de jouer la ligue des champions et Lille est un grand club. Si demain, je reçois une propositio­n d’une équipe plus importante, on en discutera. Je ne suis pas préoccupé par ça, je suis bien ici. Je vis à deux minutes de la vieille ville, j’ai la possibilit­é d’aller boire un café dans le coin si j’ai envie. C’est reposant comme cadre. Je ne supporte pas d’être à la maison toute la journée, je n’aime pas jouer à la PlayStatio­n et, ici, je peux vivre. Je ne suis pas Lionel Messi, Cristiano Ronaldo ou David Beckham, je suis José Fonte. Je suis un mec normal qui va au boulot tous les matins, qui peut faire ses courses, sauf que mon travail, c’est de jouer au foot.

“Je pense pouvoir m’adapter rapidement partout. En Chine, en Angleterre, au Kazakhstan… C’est dans nos gènes. Les Portugais n’ont pas peur de l’inconnu. On a découvert le monde avec nos bateaux, nous sommes des explorateu­rs” José de Gama

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En pleine préparatio­n de braquage.
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Sur le terrain aussi, c’est un bûcheron.
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Air scooter.
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“Je crois que ça va pas être possible.”

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