Le voleur.
Au total, ils sont près de 250 footballeurs belges à s’être fait dépouiller. Sans arme, ni haine, ni violence. Seul ou accompagné, Bertrand* attendait patiemment le début d’un entraînement ou d’un match pour s’infiltrer dans des vestiaires et y faire une
Bertrand a fait psychoter le monde du football amateur belge en s’introduisant moult fois dans des vestiaires pour y faire une razzia de portables et de portefeuilles. Son procès a eu lieu fin 2018 et évidemment, on y était.
“Il avait vidé le sac d’un des joueurs pour le remplir de nos portables et portefeuilles et s’apprêtait à se barrer. On l’a encerclé. Il est resté très calme. Il a tenté de négocier en disant qu’il était au chômage et qu’il devait nourrir sa famille, mais on a appelé les flics” Raphaël, footballeur amateur
Dans la salle du tribunal de première instance de Marche-en-Famenne, en Wallonie, les bancs craquent. Au mur, les portraits classiques et encroûtés du couple royal de Belgique contrastent à peine avec la peinture mi-saumon, mi-jaunâtre des parois sur lesquelles ils sont fixés. L’haleine tout juste rafraîchie par le brossage de dents matinal, une poignée d’individus visiblement familiers discutent dans la salle des pas perdus. “T’es là pour le vol?” “Ouais. J’aimerais bien voir sa gueule, à ce mec.” Une rangée plus loin, un avocat se bidonne avec deux homologues. Il leur raconte une vieille histoire d’un de ses anciens clients qui volait dans des vestiaires de stades ou de gymnases la clé de la plus belle bagnole. Son trip se poursuivait ensuite sur les autoroutes, où il faisait le Fangio à 200 kilomètres à l’heure avant de restituer le bien en état… Mais ailleurs. “Un jour, alors qu’il avait les flics au cul, il a accéléré dans ce qu’il croyait être une flaque. C’était une rivière.” Fin de l’histoire, une sonnette retentit. Le silence se fait. Carnet à la main, une classe d’étudiants assiste à sa première audience. Cette excursion scolaire tombe à pic pour gonfler quelque peu l’assistance, qui peine à atteindre les 50 personnes, soit moins du quart des victimes de l’affaire du jour. Assis dans le fond de la pièce, Bertrand* range son portable, se lève, passe devant l’assemblée et s’approche de la barre. La voilà, sa gueule.
Vols oui, mais sans effraction
D’un air faussement assuré, le juge Jordant s’empare du crachoir. “Monsieur, vous reconnaissez la plupart des faits qui vous sont reprochés. Mais j’imagine que si je reprends prévention par prévention, vous allez me dire que vous ne vous en souvenez plus. Ça me paraît de toute façon inutile. Il y en a 239… euh, deux cents…” “241!”, intervient la procureur du roi. “240”, corrige à nouveau le juge avec un rictus. En face de lui, le trentenaire se tient droit sur son petit banc. Propre sur lui, il porte une barbe de trois jours, un tatouage derrière l’oreille droite et des Converse bleues aux pieds. Il n’a pas d’avocat. Celui qui le représentait a récemment pris sa retraite. C’est donc seul qu’il voit défiler devant lui les victimes constituées parties civiles. “Quelle somme aviez-vous dans votre portefeuille?”, questionne inlassablement le juge Jordant. “Deux cents euros, tonne un quadra vêtu d’un training. Mais j’avais aussi mon abonnement au Standard et ma carte d’identité.” Plus tard, un jeune homme au costume dépareillé réclame 669 euros ainsi qu’un préjudice moral. Des papiers appartenant à son grand-père ont disparu avec son portefeuille. “C’est impossible de chiffrer leur valeur, elle est sentimentale”, précise-t-il, avant de tourner les talons. La plus grosse perte déclarée s’élève à 2100 euros. “Dans un portefeuille? Un marchand de bestiaux, sans doute”, vanne, fier de lui, un journaliste local qui traîne 20 ans de métier dans cette même salle. Bertrand s’est assis. Son regard se perd aux quatre coins de la salle, mais rarement dans les yeux des victimes. Peut-être se replonge-t-il dans ses différents maraudages, dont le mode opératoire n’a jamais changé, du premier au 240e larcin. Retour en 2015, un mardi, un jeudi ou un dimanche, jours d’entraînement ou de match. Peu importe le lieu. Au moment où les joueurs débutent leur séance ou une fois que l’arbitre donne le coup d’envoi, le jeune homme s’introduit discrètement dans les vestiaires, dont il referme immédiatement la porte. Quelques minutes suffisent pour empocher portables et portefeuilles avant de filer. Méfait accompli. Pour avoir lui-même évolué jusqu’en Promotion, l’ancienne quatrième division belge, Bertrand sait que rares sont les portes des vestiaires qui restent closes. Lors des premiers coups qu’il commet avec des amis, il est au chômage. “Après, j’ai eu un boulot en tant que fonctionnaire, un appartement et une compagne, confesse-t-il quelques jours plus tard par téléphone. Mais quand tu prends 1000 euros par semaine, tu rentres dans un engrenage, une chaîne sans fin, l’argent facile…” José* est un peu stressé en ce début d’après-midi du mois de mai 2015. Son équipe est à quelques minutes de disputer un match décisif pour la montée en troisième provinciale, la huitième division du pays. “J’avais pour habitude de poster avec mon téléphone un petit message sur la page Facebook du club pour les quelques followers, glisse-t-il. Je comptais donc le faire juste avant de passer près de l’arbitre pour le contrôle, mais j’ai retrouvé mes poches vides.” Ce jour-là, six autres de ses coéquipiers se font tirer larfeuilles et mobiles. Le tout pour un butin avoisinant les 2500 euros. Un sale coup pour une équipe qui se méfiait depuis quelques semaines de ces mystérieux vols et qui avait pris l’habitude de verrouiller son vestiaire. “On en voulait donc un peu à nos adversaires d’avoir été moins attentifs”, se souvient Jérémy*, incontournable remplaçant de l’équipe. Les vingt premières minutes du match le plus important de la saison, il les passe au téléphone à bloquer ses différentes cartes bancaires. Puis, la victoire en poche, c’est devant un agent de police en train de retaper sa déposition qu’il cuve ses premières bières. Courant 2016, José est recontacté par la police. Le voleur a été retrouvé et elle l’invite à aller au bout de ses démarches. Il se constitue partie civile, se rend au tribunal et jette un oeil aux déclarations de toutes les victimes, classées par ordre chronologique et par bureaux de police. “C’était étalé sur des centaines et des centaines de pages, elles-mêmes posées sur un chariot. J’ai dû demander de l’aide au vigile pour m’en sortir.” Dans la foulée, le meneur de jeu prend contact avec un service de médiation entre les victimes et les prévenus. “Depuis le début, ma seule motivation, c’est que le gars me rembourse. Normal: il s’est fait choper et il est solvable.” Le jour de l’audience, José constate avec surprise l’absence de potes et d’anciens coéquipiers dont il a vu les noms sur la liste des parties civiles. “Avec un meilleur horaire, ça aurait pourtant pu faire office de belle troisième mitemps”, sourit-il. Appelé à la barre, Bertrand nie son implication dans l’effraction de quelques vestiaires bien précis. “Je n’ai jamais commis d’infraction comme à Sauvenière, où un carreau a été pété. Je suis toujours entré quand c’était ouvert. Selon moi, on m’a mis ces vols sur le dos parce que c’était dans des vestiaires et à la même époque. Je reconnais tous les autres, mais je n’ai jamais cassé quoi que ce soit.”
“Je ne me cherche pas d’excuses”
Raphaël est bien placé pour confirmer ses dires. C’est grâce à lui que l’affaire a éclaté. Un soir d’octobre 2015, dans le petit club de Bonnerue, dans le sud du pays. “On avait prévu de faire un entraînement bien physique, se souvient le milieu défensif, qui décide de troquer son pantalon pour un short après quinze premières minutes éprouvantes. Je rentre dans le vestiaire pour me changer lorsque j’entends un bruit dans la douche. Par acquis de conscience, je décide de vérifier qu’elle ne va pas couler pendant tout l’entraînement.” Il tombe alors sur Bertrand, assis sur le carrelage, qui assure se cacher de gars qui veulent lui taper dessus. Pour éviter lui-même de ramasser sur la tronche, Raphaël appelle ses coéquipiers… qui constatent rapidement que quelque chose cloche. “Il avait vidé le sac d’un des joueurs pour le remplir de nos portables et portefeuilles et s’apprêtait à se barrer.
“Quand tu prends 1000 euros par semaine, tu rentres dans un engrenage, une chaîne sans fin, l’argent facile…” Bertrand, le voleur des vestiaires
On l’a encerclé, resitue Raphaël. Il est resté très calme. Il a tenté de négocier notre indulgence en disant qu’il était au chômage et qu’il devait nourrir sa famille. Mais on a appelé les flics. Quand ils l’ont embarqué, on a arrêté l’entraînement et on a discuté autour d’un verre.” La rumeur raconte que la police s’est notamment servie du GPS de sa voiture pour localiser les adresses d’autres clubs de foot aux portefeuilles volants. “Je suis le seul à m’être fait choper, assure Bertrand. L’autre gars qui venait parfois avec moi a été plus malin: il n’avait plus rien chez lui quand la police l’a perquisitionné. Mais aujourd’hui, il continue à revendre ses téléphones sur 2ememain.be.” La longue période infractionnelle, la multiplicité des faits et l’ampleur du préjudice finissent de convaincre la procureur du roi de requérir une peine de 18 mois d’emprisonnement. “Je ne me cherche pas d’excuses, je sais ce qui est bien ou pas. Mes deux mois d’incarcération m’ont permis de réfléchir à tout ça. J’ai commencé une activité complémentaire en novembre dernier. Je veux montrer patte blanche et rembourser ce que je peux.” Après coup, le prévenu demande à recevoir une peine de travail. Celle-ci, assure-t-il, lui permettrait de poursuivre ses deux boulots… tout en lui évitant une ligne sur son casier judiciaire. “Rien à ajouter?”, interroge le juge. “Non, mis à part que je tiens à présenter mes excuses aux parties civiles.” La séance est levée, de quoi surprendre le journaliste judiciaire local. “D’habitude, il y a toujours un avocat qui plaide pendant 45 minutes…” Le verdict tombe un mois plus tard, juste avant le nouvel an. Bertrand écope de 300 heures de travaux d’intérêt général. Pas énorme. “Le prévenu a gagné pas mal d’argent dans cette histoire, estime Olivier Rossillon, avocat d’une partie civile. Premièrement, les vols jugés sont uniquement liés à des plaintes issues des mêmes régions, ce qui veut dire qu’il y a des chances qu’il en ait commis d’autres non identifiés. Deuxièmement, seules trente personnes sont allées au bout de la démarche. Cette clémence n’est donc pas de la faute de la justice: les victimes n’ont pas suffisamment réclamé.” Contactées dans la foulée du procès, beaucoup de parties civiles reconnaissent avoir été découragées par la potentielle lourdeur des démarches. Dans leur apathie, certains ont eu plus de chance que d’autres. Jonathan* a perdu à tout jamais l’alliance de son père décédé, Gus* a dit adieu à son iPhone 6 reçu deux semaines plus tôt en cadeau. “Plus tard, j’ai pu localiser l’appareil à Bruxelles, se souvient-il. Je suis même allé voir sur Google Earth à quoi ressemblait la maison, mais je n’avais pas mon permis et je n’ai jamais osé m’aventurer à l’adresse en question, ne sachant pas ce qui m’y attendait.” Paul* s’en est mieux sorti. Sa montre Hugo Boss aussi. “C’était un beau cadeau reçu à l’occasion de mes 18 ans. Comme le gars était un fan de montres, il l’a gardée chez lui et je l’ai récupérée trois jours après que la police a mis la main dessus.” En ce début de printemps, José attend des nouvelles du service de médiation. S’il ne reçoit rien d’ici un an, il fera appel à un huissier, quitte à y laisser des frais. “Si tout le monde abandonne, le mec ne devra rien payer.” Quant à Bertrand, il affirme mettre tout en oeuvre pour réparer ses torts, et zappe les quelques menaces qu’il reçoit par message. “Du lundi au samedi, je bosse pour rembourser. Le dimanche matin, je suis au bord du terrain. Mais plus pour mes conneries, pour le vrai foot.”
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.