So Foot

Histoire vraie.

Le 6 novembre 2004, les joueurs de Rodez s’envolent vers la Corse pour affronter la réserve du SC Bastia. Alors qu’ils survolent la Méditerran­ée, la porte de l’appareil explose. Parmi les rescapés de l’accident, un miraculé: Patrick Videira.

- TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS ANDREI À BORGO, (CORSE) / ILLUSTRATI­ON: PEP BOATELLA

En 2004, les joueurs de Rodez s’envolent vers la Corse pour affronter la réserve du SC Bastia. Un voyage dont Patrick Videira se souviendra toute sa vie… et vous aussi.

“Mon coéquipier m’a dit de lui attraper la main. C’était un moment de survie, je n’ai pas réfléchi. Même si j’avais été suspendu dans le vide pendant deux heures, je n’aurais pas lâché sa main” Patrick Videira, miraculé

Au dessus de l’aérodrome, le ciel est d’un bleu limpide. Dans leurs survêtemen­ts gris, les joueurs du Rodez Aveyron Football sont tout sourire. Ils ont beau être en CFA, ils se déplacent en jet privé, celui du président du club, Joël Pilon, ponte des magasins Leclerc de la région. Seul hic, le jet ne dispose que de huit places, alors deux traversées sont prévues pour rallier Bastia. Le deuxième gardien fait partie de ceux qui doivent être du premier voyage, mais celui-ci déclare forfait peu avant d’embarquer, en raison de l’accoucheme­nt de sa femme. Patrick Videira, milieu défensif formé au PSG, prend alors sa place. À bord, il choisit d’occuper un siège individuel, situé face à la porte de l’appareil. Perpendicu­lairement à lui, deux canapés disposés face à face accueillen­t les autres joueurs, qui entament une partie de cartes. “Il lisait l’Équipe, puis d’un coup, il a eu envie de pisser en plein vol, se souvient son coach, Régis Brouard. Le souci, c’est qu’il n’y avait pas de chiottes, alors on lui a dit: ‘Patrick, tu nous emmerdes. T’as qu’à le faire dans une bouteille!’” Videira s’exécute. “Je me suis rassis, j’ai attaché ma ceinture, chose que je ne faisais pourtant jamais… Puis, la porte de l’avion a explosé…”

“On va jouer, on va gagner et on va repartir tranquille­ment”

L’appel d’air est violent. Sur le coup, bagages et passagers sont projetés vers l’avant de l’appareil. “À ce moment-là, on ne voyait plus Patrick… On pensait qu’il était parti”, souffle Brouard. Caché par une paroi de 20 centimètre­s, Videira a toujours les pieds à bord, mais c’est tout. “Tu entends un bruit sourd, comme quand t’es à moto et que le pot d’échappemen­t pète, rejoue-t-il aujourd’hui. La porte est tombée et mon corps entier s’est retrouvé face au vide.” Rattaché à la vie par cette ceinture qu’il ne se souvient pas avoir bouclée, il est finalement secouru par son coéquipier David Merdy. “Il m’a dit de lui attraper la main, relate Videira. C’était un moment de survie, je n’ai pas réfléchi. Même si j’avais été suspendu pendant deux heures, je n’aurais pas lâché sa main.” Malgré ce sauvetage hollywoodi­en, Patrick et ses coéquipier­s de la carlingue ne sont pas sortis d’affaire pour autant. La terre ferme bastiaise est encore à vingt minutes de vol. Videira craque. Il pleure et pense à sa femme, alors enceinte de son premier enfant. Les passagers se refont le film de leurs vies, sauf le pilote, qui a la présence d’esprit de contacter la tour de contrôle de l’aéroport de Bastia-Poretta pour que les pompiers soient présents au moment de l’atterrissa­ge. “Le pilote savait qu’une fois sur la piste, la porte qui était plaquée sous l’avion ferait des étincelles et que ça prendrait feu”, éclaire Videira. Sains et saufs, les passagers apprendron­t plus tard que c’est le caoutchouc de la porte qui faisait joint qui était défaillant. Dix jours plus tôt, l’avion avait pourtant fait l’objet d’une révision: RAS. Sur le tarmac, Brouard, qui a un match à gagner, refuse toute aide psychologi­que. “J’ai expliqué à mes joueurs que le meilleur remède, c’était de jouer. ‘On va jouer, on va gagner et on va repartir tranquille­ment.’” Le lendemain, les Aveyronnai­s, Videira y compris, se rendent donc à Furiani pour affronter la réserve bastiaise. Correct, le Sporting suggère l’idée d’un report, mais Brouard décline une nouvelle fois. Une décision qu’il ne regrettera pas puisque ses joueurs, gonflés à bloc par le sentiment d’avoir trompé la mort, marchent sur l’eau. Score final? 3-0. “Même contre le Real Madrid, on aurait gagné, s’amuse Videira. On était prêts à mourir les uns pour les autres. S’il y avait eu une bagarre, on aurait mangé les Bastiais tout cru. Ils pouvaient faire venir Tyson, c’était pareil.” La victoire en poche, reste à aborder le vol retour… Pas simple, d’autant que Videira supplie son coach de le laisser prendre le ferry. Brouard se montre intransige­ant, bourre son joueur de Myolastan et le met dans l’avion. “Dès qu’on a décollé, un orage a éclaté, pouffe le coach. On était au-dessus des montagnes, ça n’arrêtait pas de bouger.”

Les nerfs à vifs et l’huile de serpent

Sur le reste de la saison, les déplacemen­ts ne nécessiten­t pas de prendre les airs. Videira est soulagé, mais Rodez loupe la montée de peu. Brouard signe dans la foulée à Nîmes, en National. Dans ses bagages, il emporte Patrick, qui foire totalement son début de saison. Le 17 décembre 2005, les Crocodiles se déplacent au Gazélec Ajaccio. Un match qui fait ressurgir les fantômes du passé chez le milieu... “Si j’avais bien commencé, je pense que je n’y serais pas allé. Là, j’y étais obligé, Régis était en mauvaise posture, il avait besoin de moi.” Dès le décollage, le joueur a des sueurs froides.

“J’étais comme mort, tout mou. C’était un vol régulier, personne ne s’est rendu compte de rien. À l’atterrissa­ge, j’ai été incapable de me lever. Je pouvais parler, mais mon corps ne répondait pas.” Transféré à l’hôpital d’Ajaccio, Patrick est rapatrié chez lui avant d’être envoyé dans un établissem­ent médical de Capbreton, dans les Landes. Les médecins l’assurent: ils n’ont jamais vu ça. Le système nerveux de Patrick a décidé que ses jambes ne pouvaient plus le porter. Il lui faudra quatre mois pour réapprendr­e à marcher. Trop frêle pour reprendre la compétitio­n, il espionne les adversaire­s de Nîmes pour Brouard, avant que ce dernier ne lui accorde quelques minutes en fin de saison. La lumière au bout du tunnel? Pas vraiment, car le club lui invente une faute grave pour le licencier. “L’avocat du club m’a prévenu qu’à Nîmes, ils connaissai­ent tous les juges… Quand je suis rentré dans le bureau de Michel Mézy aux Costières, Régis pleurait, se souvient-il. Mon fils venait de naître et il avait une méningite. Ils savaient tout ça. Régis m’a défendu mais Mézy ne voulait rien entendre. Il avait besoin de libérer un contrat, alors il m’a viré.” Une semaine plus tard, Patrick apprend que son fils va mieux. Il reprend doucement le foot dans des clubs régionaux et passe ses diplômes d’entraîneur. Pendant onze ans, il ne grimpe dans aucun avion, mais essaie de se soigner via l’hypnose ou l’acupunctur­e. Il voit des marabouts et prend même des bains à l’huile de serpent. Rien n’y fait, il n’arrive toujours pas à surmonter sa phobie. “Au bout d’un moment, je me disais que je ne pouvais pas continuer comme Dennis Bergkamp (1), rigole-t-il. Je privais ma famille de trop choses.” En 2016, il décide donc de vaincre le signe indien en réservant des vacances à l’île Maurice. Un vol de dix heures auquel il survit, avec pas mal de calmants dans l’estomac. Quelques mois plus tard, il devient l’entraîneur de Furiani-Agliani… en Corse. Le club évolue aujourd’hui en National 2. Pour signer son contrat, Patrick a pris l’avion seul, comme un grand. Et toutes les deux semaines, il doit s’envoler pour le continent lors des matchs à l’extérieur, à Chartres, Saint-Malo ou Granville. “Aujourd’hui, je ne suis pas le passager le plus agréable, mais je prends sur moi, sourit-il. J’ai un traitement à vie et des douleurs chroniques, mais je suis un miraculé. Comment expliquer que je sois toujours là? C’est la vie, c’est tout. Il se passe

bizarres.”• toujours des trucs (1) L’attaquant néerlandai­s avait la phobie de l’avion et ne faisait jamais des très longs déplacemen­ts.

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