So Foot

Soso Maness.

- Par Mathias Edwards et Gad Messika

Le rappeur des quartier nord de Marseille a connu les Baumettes, ambiancé les virages du Vélodrome dans sa jeunesse et vendu quelques produits stupéfiant­s à des joueurs olympiens. Et pourtant, il s’est fait connaître avec le titre

Neymar. Interview avec un gros fada.

Sorti de prison en 2017, où il a été incarcéré durant un an pour trafic de stupéfiant­s, le rappeur Soso Maness a longtemps fréquenté le virage Nord du Vélodrome aux côtés des ultras du collectif MTP. C’est d’ailleurs dans cette tribune qu’il offrira un petit showcase lors de la dernière journée de championna­t contre Montpellie­r. En attendant, il reçoit chez lui, à Font-Vert, une cité des quartiers Nord de Marseille. Interview avec un vrai minot.

Quels sont tes premiers souvenirs liés au foot? L’euphorie suite à la victoire de l’OM en Champions League. J’étais tout bébé, je ne me rappelle quasiment pas du match, mais j’avais un sentiment de bonheur, grâce à la joie de mes parents et des klaxons dans la rue. Après ça, évidemment, il y a la victoire en 98 et ma première déception footballis­tique, en 1999, quand Laurent Blanc fait une tête en retrait à Crespo et qu’il nous plombe la finale de coupe de l’UEFA contre Parme… Moi, je suis un nationalis­te marseillai­s, j’ai le sang qui est bleu et blanc. J’aime tellement ma ville que, aujourd’hui, j’ai réalisé mon rêve: j’ai déménagé en face du Vélodrome. Je viens de la zone, et maintenant, je m’installe sur mon balcon et j’ai une vue pleine sur le stade! C’est magnifique!

Et tu penses à quoi, le matin, quand tu prends ton café devant le Vélodrome? À mon enfance, au chemin parcouru… Je suis passé du virage Nord aux loges, mais je m’y sens mal à l’aise. Je déteste ça! Quand je suis allé en loges pour la première fois, je me suis dit: “Wow! Je vois un crooner en train de chanter, ça déguste du foie gras en buvant du vin, alors qu’il y a des types qui se gèlent dehors depuis 15 h pour mettre des bâches dans le kop…” C’est pas pour moi… Je préfère les virages, je sens plus le truc. J’ai passé mon adolescenc­e avec les MTP (Marseille Trop Puissant). Maintenant, c’est le virage Depé (surnom de Patrice de Peretti, ancien capo des South Winners, fondateur des MTP et référence du mouvement ultra marseillai­s, disparu en 2000, ndlr), paix à son âme. Mais je ne me considère pas comme un ultra, je suis juste un passionné de l’OM. Les ultras, eux, ils consacrent leur vie au club, c’est un step audessus. Ils peuvent aller à Dubrovnik en car! (Rires) Il y a plein de petits de Font-Vert qui font les déplacemen­ts. L’un d’entre eux me disait que grâce à ça, il avait vu Chypre, l’Allemagne ou bien Bilbao. Moi aussi j’en ai fait, Stamford Bridge, San Siro… Mais la première fois que je me suis vraiment senti en osmose avec Marseille, c’est en 2010, quand Lucho met le troisième but contre Rennes et qu’on devient champion de France. Et là, c’est vraiment une sensation… Rien que d’en parler, ça me file des frissons. Ces petits moments exceptionn­els qu’on vit au Vélodrome, notamment avec la campagne européenne l’année dernière, montrent encore une fois que Marseille, ce n’est pas pareil. Si on avait les moyens du PSG, je pense qu’on aurait déjà gagné une deuxième Champions League, dix autres championna­ts, Koh-Lanta et MasterChef. Quelle est la spécificit­é des virages du Vélodrome, selon toi? Faire résonner leurs voix pour encourager les joueurs, et parfois aussi mettre des coups de poing sur la table, car l’OM, faut bien le comprendre, ça appartient au peuple, pas à McCourt. Quand il a acheté le club, il a aussi acheté ses supporters. Après, est-ce qu’il l’a assimilé? Je ne pense pas, ce n’est qu’un businessma­n, contrairem­ent à LouisDreyf­us, qui était fasciné par l’OM… Paix à son âme. Au début, j’ai vu l’arrivée de McCourt comme une aubaine, parce que ça partait vraiment en couille à l’époque. Mais deux ans et demi plus tard, ça reste un gros bordel, malgré cette finale d’Europa League. Nous, on a besoin de jouer la Champions League! J’espère que le club va se bouger le cul pendant le prochain mercato, parce qu’on est en train de devenir un club lambda.

Tu as cinq grands frères. Ce sont eux qui t’ont initié au foot? Ici, il n’y a pas besoin d’y être initié. J’ai débuté aux Cheminots Marseillai­s, juste en bas, avant d’arrêter quelques années. Puis j’ai repris

“Avec les moyens du PSG, l’OM aurait déjà gagné une deuxième Champions League, dix autres championna­ts, KohLanta et MasterChef”

“Mandanda… Merci ‘El Fenomeno’! On t’aime du fond du coeur, mais raccroche les gants, papa! Depuis que je suis poussin, on me dit de ne pas donner le ballon dans l’axe. Pourquoi tu le fais en finale de coupe d’Europe?”

au club de Font-Vert. Là, c’était comme dans le film Les Collègues. Entre les mecs qui jouaient avec un bracelet électroniq­ue, ceux qui pesaient 150 kilos, les mecs de 40 ans et moi qui rentrait de bringue à 7 h du mat’… C’était un sketch. Et en face, c’était pareil. On jouait contre des clubs 100 % turcs, sénégalais ou arméniens. Parfois, pour renforcer l’équipe 1, qui jouait en PH, on inscrivait en traître des joueurs de National ou de CFA. Ils mettaient des frappes de 45 mètres, ils dribblaien­t tous les joueurs. Un jour, on a même fait entrer un type de la réserve de l’OM, Samir Abbes, à la mi-temps. Il a mis un but de 35 mètres après avoir dribblé trois joueurs. Un phénomène… On a eu des bons joueurs à Font-Vert, mais ils n’ont jamais réussi à ouvrir la dernière porte. Et ça, ça casse les couilles. Parfois, je me dis que s’ils avaient été formés à Lyon, ils auraient percé. Je ne suis pas un grand footballeu­r, mais des Zidane et des Mbappé, j’en ai vu tous les week-ends jouer en Promotion d’honneur. Il y a des bombes ici, mais non, l’OM ne veut pas les prendre! Il n’y a pas de passerelle entre les quartiers Nord et le club. Dans le temps, des mecs de quartier se sont fait mal voir à l’OM, et depuis, les nouvelles génération­s paient les pots cassés…

Quel est le joueur qui ressemble le plus à FontVert? Zlatan! Il vient de la favela, il est sûr de lui. Comme on dit à Marseille, “il est mariole”. Il en impose.

Ce qui est imposant, aussi, c’est l’odeur de joint qu’il y a parfois dans les virages. C’est les seuls endroits de France où c’est toléré. Sans ça, la fête est moins folle d’après toi? À Marseille, tout le monde fume, dans toute la ville. Mais le stade, c’est l’un des seuls endroits où tu peux ouvrir les vannes. Ce qui m’emmerde, c’est que maintenant que je fais de la musique, je ne peux plus faire le fou comme avant, quand je finissais torse nu, un plot sur la tête, sous Ricard! J’ai pas envie de me retrouver sur Snapchat, alors je me contrôle.

Quand tu dealais, il t’arrivait de te barrer d’un point de vente pour aller au stade? Jamais! On finissait à 22 h, donc je ratais uniquement la première mi-temps. Et puis, de toute façon, les gens gueulaient toujours quand il y avait un but.

Il y avait des clients

pendant les matchs? Beeeh oui! Le gars, quand il veut fumer, il veut fumer, hein! Même si c’est une finale de ligue des champions! Ils viennent pendant la mitemps. Le four, ça reste le four.

Si un jeune de l’OM était venu pour t’acheter quelque chose, tu le lui aurais vendu? Je ne peux pas dire leur nom, mais il y en a certains qui sont déjà venus, il y a cinq ou six ans. Je leur ai vendu ce qu’ils voulaient, mais je ne pense pas que c’était pour eux. Les joueurs apprécient ce côté urbain, dire: “Je connais untel, je traîne dans la rue…” Maintenant, ils vont beaucoup dans les bars à chicha pour se faire photograph­ier. Ils sont autant influenceu­rs que footballeu­rs, en fait.

Justement, à Marseille, il y a plein de légendes urbaines au sujet de l’influence qu’aurait “le milieu” sur l’OM… La vérité, c’est que c’est surtout un fantasme de Parisiens. Est-ce que le milieu marseillai­s existe encore? Peut-être que oui, peut-être que non. Maintenant, il y a les quartiers, et c’est pire que le milieu! (Rires) Ici, on est de l’autre côté du mur. Comme dans Game of Thrones! Dès qu’il y a une manne d’argent conséquent­e, c’est tout à fait normal que les gens s’y intéressen­t. Je reste persuadé que les gardes du corps de certains joueurs du PSG n’en sont pas vraiment. Les joueurs ont un discours du type “Oui, je les aide!”, mais non frérot, ils t’ont pas laissé le choix, c’est juste des types qui te disent: “Tu nous payes et basta!”

T’as l’air de bien connaître le sujet. J’ai fait des soirées avec des joueurs de l’OM dans le temps, je me suis bien soûlé avec eux. On en croise toujours, d’ailleurs. Ce sont des jeunes qui ont de l’argent, tu ne peux pas les blâmer. Le p’tit est sorti de chez lui à 12 ans, il est conditionn­é, à 18 ans il est pro, et

“Depuis que je fais de la musique, je ne peux plus faire le fou comme avant en tribunes, quand je finissais torse nu, un plot sur la tête, sous Ricard! J’ai pas envie de me retrouver sur Snapchat…”

à 20 ans il est peut-être millionnai­re. Comment tu veux lui donner une conscience politique? Comment tu veux qu’il donne son avis sur les gilets jaunes? C’est un athlète qui n’a pas eu d’adolescenc­e, et généraleme­nt, il tombe sur une meuf intéressée…

À ce propos, que penses-tu des liens entre les joueurs de l’OM et les starlettes de la téléréalit­é? C’est néfaste. Pour moi, l’exemple à suivre, c’est le couple Ribéry.

Malgré Zahia? Mais il avait 22 ans! (26, en fait) C’est pas possible de garder les pieds sur terre si jeune avec tant d’argent! L’homme est fait pour pécher! Aujourd’hui, il a 36 ans, quatre enfants, il aime sa femme, qu’il n’a pas quittée pour une Kardashian. Regardez Kanté: tout le monde l’aime parce qu’il est discret et qu’il n’emmerde personne. Il ne roule pas en Ferrari, alors qu’il pourrait le faire. On préférera toujours blâmer des jeunes un peu turbulents, parce qu’on a tendance à considérer que le foot, c’est comme l’armée, rien ne doit dépasser, comme à Barcelone, où personne ne pète plus haut que le copain. Là-bas, ils ont dit à Zlatan: “Casse-toi!” Parce que Barcelone, c’est une institutio­n. Le PSG, par exemple, c’est juste un club. Et à Paris, Zlatan pouvait être au-dessus du club. Marseille, au contraire, c’est une institutio­n. Si Balotelli fait trop le con, il aura droit à une banderole “cassetoi!”. Ça n’arrivera jamais à Paris. Neymar peut y faire ce qu’il veut, ils feront tout pour le garder.

Pourquoi est-ce que ton premier tube, Neymar, n’est plus disponible sur ta chaîne YouTube? C’est le son avec lequel j’ai obtenu mon premier million de vues, mais quand il a signé à Paris, je l’ai directemen­t supprimé. Parce que l’OM passe avant le nombre de vues. Je préfère qu’on gagne la ligue des champions plutôt que d’avoir un disque de platine. Bien sûr! Marseille va mieux quand le club gagne. Les brasseries sont pleines, les gens sont plus cool, et puis une Champions League, ça peut relancer l’économie locale. Ça conditionn­e des millions de gens au bonheur. Plus que si je faisais un disque de platine, en tout cas…

Comment ça se passait aux Baumettes pour regarder les matchs? Tu ne peux pas mater le match à plusieurs, ce n’est pas comme dans les films. Tu le regardes dans ta cellule, avec ton cocellulai­re. Et ça tue! Déjà, on a Canal +, c’est payé par l’administra­tion. Parce qu’il faut l’OM pour les Marseillai­s, l’OL pour les Lyonnais, etc. Il y a d’autres supporters en taule, alors ça permet de se charrier. Quand l’OM marque, c’est le bordel! Tout le monde tape à la porte, c’est incroyable. Boum! Boum! Boum! J’étais aux Baumettes pendant l’Euro 2016 et c’était le feu! Avec nous, il y avait des hooligans russes qui s’étaient bastonnés avec les Anglais. Les surveillan­ts ne parlaient pas anglais, moi oui, alors parfois ils venaient me voir pour les aider à traduire un truc. Comme ces abrutis ne comprenaie­nt rien, j’en profitais pour parler biz avec les Russes: “Tu veux du shit?” Quand les matons tiquaient un peu, je leur disais: “Je leur demandais s’ils voulaient des chips”… La détention, mine de rien, ça m’a permis d’upgrade. J’ai peaufiné mon anglais et j’ai beaucoup lu, surtout des biographie­s.

Tu lis quoi, en ce moment? Condé, un flic à la PJ de Pierre Folacci. C’est intéressan­t de voir l’autre côté. Je n’apprends rien, mais ça me confirme que lorsque tu choisis ce métier, c’est par conviction. Tu y laisses ta vie. Ce que je ne savais pas, c’est que c’est le métier dans lequel il y a le plus de divorces et de suicides. Il y a un fonctionna­ire qui meurt tous les quatre jours! C’est fou…

Et les hooligans russes des Baumettes, ils étaient fous, eux aussi? Oui. C’étaient des machines, comme dans les films. Ils étaient bodybuildé­s, avec des têtes de mort tatouées partout. En promenade, ils faisaient quatre heures de sport sans s’arrêter. Des pompes en lévitation et tout. Je pense que c’était des mecs d’extrême droite, donc là, ils devaient être choqués de n’être entourés que d’Arabes et de Noirs. Mais bon, ils se sont adaptés, ils n’avaient pas le choix. Et puis personne ne leur cassait les couilles, vu leurs gabarits. En vrai, ils étaient cool. Ils faisaient de la boxe, qui est une de mes passions, donc on en discutait souvent. Leur but, c’était vraiment la bagarre. Prendre un car, venir en France, se battre, et rentrer chez eux. C’était leur délire.

C’est dur d’être incarcéré aux Baumettes sans être supporter de l’OM? Non… Je me souviens d’un match où on se fait tuer contre Paris. On perd 4-1 là-bas, je crois. Et il y avait un Parisien qui gueulait à chaque but, pour nous charrier. Au troisième but, j’ai sauté de mon lit, je suis allé à la porte et je l’ai insulté de toutes mes forces. Alors que je l’aimais bien, ce mec. Mais le foot, ça rend con. Le lendemain, je suis allé m’excuser de lui avoir parlé comme à un petit.

Tu as déjà rêvé de jouer à l’OM? Une fois, j’ai fait un rêve qui sonnait vraiment vrai. Je n’arrive pas à admettre que c’était faux. Il pleuvait, il faisait froid, je portais le maillot de l’OM, et je regardais les supporters avant d’entrer en jeu contre Parme… Pourquoi Parme? J’en sais rien… J’aurais adoré jouer pour l’OM, même si c’est exigeant. Il faut assumer. Si tu fais un mauvais match, tu es le joueur le plus pourri de l’histoire. Surtout avec les réseaux sociaux, où les supporters te harcèlent comme dans la rue. Si Germain ou Mitroglou passent là, les gens vont leur dire: “Cassetoi! T’y es nul!” Mitroglou, j’ai essayé de le défendre le plus possible, hein, mais c’était dur… Je me disais que ce n’était pas possible d’être aussi largué, autant dans le placement que dans la finition, le jeu de tête, tout… J’étais à la finale de ligue Europa à Lyon. Quand j’ai vu Germain rater cette occasion d’entrée… J’ai laissé passer six mois avant de regarder le résumé du match. Et Mandanda… Merci “El Fenomeno”! On t’aime du fond du coeur, mais raccroche les gants, papa! Depuis que je suis poussin, on me dit de ne pas donner le ballon dans l’axe. Pourquoi tu le fais en finale de coupe d’Europe?

Sur le terrain, à côté de nous, il y a des enfants avec des maillots de Chelsea, de la Juve ou même du PSG, mais aucun avec le maillot de l’OM… Parce qu’ils veulent les avoir tous! Lundi c’est Chelsea, mardi c’est l’Atlético, mercredi c’est Dortmund, etc. Ils ne sont pas supporters, ils les mettent juste parce que c’est beau. En 2010, quand je montais à Paris en survêt, les gens me demandaien­t si j’allais à l’entraîneme­nt. Et maintenant, ils sont tous habillés comme des Marseillai­s, avec leur survêt, leurs cheveux longs et leurs Asics. Incroyable. L’album Rescapé de Soso Maness est disponible partout.

“L’homme est fait pour pécher, mais aujourd’hui, Ribéry a 36 ans, quatre enfants, et il aime sa femme, qu’il n’a pas quittée pour une Kardashian”

 ??  ?? Même pas de quoi acheter un demi Mbappé.
Même pas de quoi acheter un demi Mbappé.
 ??  ?? “C’est vous, Christiano Ronaldo?”
“C’est vous, Christiano Ronaldo?”
 ??  ?? La coupe de Franck.
La coupe de Franck.

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