So Foot

“Je me levais en pleine nuit en criant”

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C’était le 6 mai 2018. Un match de D3 normal entre Mackenheim et mon club, l’AS Benfeld. C’est une ville qui a voté à 53 % pour Marine Le Pen au second tour de la présidenti­elle. Après 15 minutes, ça a commencé à déraper. Quand la balle partait dans la forêt et qu’il fallait aller la chercher, le public nous disait de rester là-bas, que c’était chez nous. Puis c’est devenu plus violent. Je prends une béquille, je tombe, un mec se penche pour s’excuser et me dit à l’oreille: “C’est pas fini, t’as rien vu. On en a encore pour toi.” Quand les premières insultes arrivent, tu laisses passer. Moi, je fais mon match pour me faire plaisir, pas pour m’embrouille­r avec quelqu’un. Et puis arrive la 43e minute, une toute petite étincelle. On mène 1-0, et il y a un gros contact entre un gars de notre équipe et un joueur de Mackenheim. Là, ils plongent à deux sur lui. J’ai vrillé. J’y suis allé pour le tirer de là. Le gardien adverse me saute dessus et me frappe. Toute son équipe le suit. Des supporters descendent même des tribunes pour venir sur moi. Le coach me crie: “Cours aux vestiaires!” Je me retrouve face à un type qui avait une sacoche autour de la taille. Il l’ouvre et en sort un couteau de cuisine. Je m’enfuis en courant, j’arrive dans le rond central, et c’est là qu’ils m’ont entouré. Je donnais des coups de pied, des coups de poing, n’importe où, je ne voyais rien. Ils étaient cinq sur moi. Quand je suis tombé au sol, je me suis dit: “C’est bon, ma vie s’arrête là.” J’ai commencé à convulser. Le capitaine de l’équipe a dû plonger sa main dans ma bouche parce que je commençais à avaler ma langue. Ensuite, il m’a mis en PLS, et l’arbitre, alors que j’étais en train de mourir, m’a mis un carton rouge… J’ai repris le foot six mois après cet épisode, mais j’avais souvent des maux de tête le soir. Quand je touche mon visage là où il y a eu la double fracture, je sens que les muscles n’ont pas encore durci, alors j’évite les têtes. Je ne fais plus de déviations… Mais c’est mentalemen­t que c’est le plus dur. J’ai consulté une psychologu­e, parce que je me levais en pleine nuit en criant. Je faisais des cauchemars, je revivais la scène. Même maintenant, quand je suis seul, ça revient. Alors je mets BFM ou de la musique pour essayer de me calmer. Ça part, mais je sais que ça reviendra la nuit d’après.

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Kerfalla Sissoko, footballeu­r amateur alsacien

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