So Foot

“J’ai envie de leur faire boire le poison qui sort de leur bouche”

- Felix Orode, premier nigérian de l’histoire du football argentin, actuelleme­nt à Depro AF

J’ai découvert les “sale noir” en Argentine. Au Nigeria, évidemment, on ne m’avait jamais insulté de cette manière. Mais ici, tout le monde m’a tout de suite appelé “Negro”. Je ne parlais pas un mot d’espagnol, donc au départ, je ne savais pas ce que ça voulait dire. Quand j’ai compris, ça ne m’a pas fait grand-chose… Avec San Lorenzo, j’ai joué des clasicos contre Huracan, et lors de ces matchs-là, 50 000 personnes chantaient: “Orode est un Noir qui meurt de faim, qui vient en Argentine pour vendre des babioles dans la rue…” Quand j’entendais ça, j’avais envie de me surpasser. C’est dans la tête que ça se joue. Quand tu es sain d’esprit, les insultes te rendent plus fort, car elles font partie du football. Qu’on me dise “Negro de mierda” ou qu’on me crie “La chatte à ta mère”, c’est exactement la même chose pour moi. Ça ne me dérange plus, parce que ceux qui balancent ces saloperies le font pour me sortir du match. Je me souviens d’une rencontre ou toute une tribune avait commencé à crier “Negro de mierda”, dès la première minute de jeu. J’étais remplaçant, donc ils ont continué leurs chants en s’adressant à mon entraîneur: “Fais rentrer le Noir.” Je suis rentré, j’ai délivré une passe décisive, et à la fin de la rencontre, j’ai salué ceux qui m’avaient attaqué avec un grand sourire. C’était ma manière de leur faire boire le poison qui était sorti de leur bouche. Certains se sont sentis tellement cons qu’ils sont venus s’excuser: “On voulait te sortir du match, mais c’est toi qui nous l’a mise à l’envers.” C’est ce que j’explique toujours à mon fils de cinq ans lorsqu’il me demande pourquoi on m’insulte: “Tout ce qu’ils veulent, c’est me faire déjouer, mais ils n’y arrivent pas.” Je fais en sorte qu’il prenne ça comme quelque chose de normal, parce que ça va se reproduire à tous les matchs. Ma mère, par exemple, ne s’énerve plus depuis que je lui ai expliqué que c’était normal pour les Argentins de m’appeler “Negro”, elle a compris. Ma femme et ma belle-mère, qui sont argentines, ont plus de mal… Plus d’une fois, elles sont allées voir des types pour leur dire: “Il ne s’appelle pas le Noir, il s’appelle Felix.”

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