So Foot

“Le stade était une bananeraie”

- Joseph-Antoine Bell, Lion indompté VR

Je ne crois pas me souvenir précisémen­t d’un jour où j’ai expériment­é le racisme pour la première fois. Quand je suis né, ce sont les Blancs, sous couvert de la colonisati­on, qui gouvernaie­nt, donc pourquoi voulez-vous que les gens en poste qui avaient été sélectionn­és soient des Blancs non racistes? Certains enseignant­s pouvaient écrire sur des bulletins des choses qui n’auraient jamais été admises en France, du style: “Ne comprendra jamais rien, bon pour retourner dans sa forêt d’origine.” Je n’ai pas attendu d’arriver en France pour être confronté au racisme, même si j’ai été un peu surpris de le retrouver dans le foot, parce qu’en théorie il gomme les différence­s et permet de transcende­r les inégalités sociales. Moi, ce qui m’a permis d’affronter le racisme en France, c’est que, de manière philosophi­que, j’avais bien compris que l’être ordinaire se croit supérieur aux autres. Il faut savoir que j’étais un pionnier, on n’avait jamais vu de gardien noir, et la curiosité que ça engendrait en soi pouvait déjà être assimilée à du racisme, quand on me disait: “On n’imaginait pas qu’il y avait des gardiens en Afrique”, je répondais: “Mais alors, vous imaginez que tous ces grands attaquants africains qui jouent chez vous, quand ils jouaient en Afrique, ils marquaient des buts à des chimpanzés ou à des singes?” Et puis, le traitement médiatique sur mes qualités mettait en avant le côté spectacula­ire, la souplesse, la folie, l’agilité… Il y avait des relents totalement racistes. On ne comprenait pas très bien le style de ce singe-là, on le tournait un peu en ridicule, alors que j’étais une sorte de gardien-libero, chose qui est devenue la norme par la suite. J’ai un coéquipier qui est entraîneur aujourd’hui et coache pleins de joueurs noirs qui s’est approché de moi dans le vestiaire à Marseille et m’a dit: “Honnêtemen­t, je pensais que sous la douche ta couleur allait partir.” Ce n’était pas de la provocatio­n, c’était de l’ignorance. C’est comme ça que j’ai pris cela en tout cas, ça ne m’a pas empêché de l’aimer. J’ai connu une époque où le public balançait des bananes, et toutes sortes de fruits d’ailleurs. Cette surenchère, je l’explique par le fait que moi, je ne pleurais pas, je venais défier tout un stade sans appréhensi­on. Et j’étais bon. C’était très organisé, hein, dans un 13 heures, on avait vu la police récupérer 50 kilos de bananes dans les gradins. Mais comment empêcher les gens de venir chacun au stade avec une banane? Ils étaient 10 000 à le faire. Le stade était une bananeraie.

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