“J’ai eu l’impression d’être une proie”

C’était dans l’Aube, un match de milieu de tableau tout ce qu’il y a de plus basique. Une rencontre très engagée entre deux équipes qui ne s’apprécient pas spécialement, ponctuée par les habituelles erreurs d’arbitrage du dimanche. Au cours du match, jouant au poste de défenseur latéral, je subtilise la balle à l’attaquant de l’équipe adverse qui se retourne et me dit: “Sale Blanc, jamais tu recommence ou t’es mort.” Il avait l’air de penser chaque mot. Cela aurait pu en rester là, mais je crois qu’il n’a pas apprécié le fait que je l’affiche devant ses potes, qui étaient bourrés autour d’un pack de bières. Derrière, à chaque fois que je devais tirer un coup franc ou faire une touche, la petite bande a commencé à me menacer: “Sale Blanc… Face de craie… Sale fromage blanc… Les Blancs comme toi on les dézingue… Va niquer ta pute blanche et casse-toi…” C’était dit dans mon dos, presque à voix basse. Juste suffisamment fort pour que je sois le seul à l’entendre. Sur le moment, j’ai eu l’impression d’être une proie. Je me souviens m’être senti très faible. J’ai eu peur de répondre et que cela empire. Je n’étais pas le seul Blanc sur la pelouse, mais j’étais clairement visé. J’ai tenté d’alerter l’arbitre, qui m’a dit que j’avais mal entendu, que j’étais mauvais perdant… Au coup de sifflet final, la défaite m’importait peu tellement j’étais outré, à la limite des larmes. Vu l’ambiance, j’ai choisi de me taire pour ne pas envenimer les choses. J’ai pris ma douche sans dire un mot et je suis rentré chez moi. J’ai cogité pendant des heures sur mon canapé. Je revois encore les visages. Oublier ce qui est arrivé, je ne pense pas y arriver un jour. Me sentir autant insulté pendant un match de foot, ça m’a rendu malade. J’ai vu ce qu’a enduré Prince Gouano le weekend d’après et j’ai eu mal pour lui, parce que j’ai ressenti la même chose. C’est bizarre à expliquer, mais on se sent sale, isolé. Je suis un passionné de foot, mais là, je ne suis pas sûr de vouloir retourner jouer. Je m’entraîne demain et, pour la première fois, mes chaussures ne sont pas propres.