So Foot

Le Lou et sa meute.

- Par Christophe Gleizes et Gad Messika, à Stoke-on-Trent (Angleterre) / Photos: Christophe Gleizes, PA Images/Iconsport et Imago/Panoramic

Ancien meneur de jeu de Manchester United, l’Écossais Lou Macari a décidé, après sa carrière d’entraîneur, de s’occuper de marginaux et de SDF. Plongée dans une cour des miracles qui fait chaud au coeur.

Ancien meneur de jeu du Manchester United tristoune des années 70, Lou Macari est une icône en Écosse et dans le nord de l’Angleterre. Mais plutôt que de couler une existence paisible comme consultant télé, l’ancien coéquipier de George Best et Kenny Dalglish passe sa retraite à combattre la drogue, la pauvreté et l’exclusion qui rongent la ville de Stoke-onTrent. Il y a trois ans, il a fondé le Macari Street Centre, un havre de paix pour SDF et marginaux en tout genre, et veille à ne laisser personne sur la touche. Plongée dans sa cour des Miracles.

UUne jeune femme hystérique toque à la porte, en suppliant qu’on lui rende sa bouteille de whisky. Elle est en larmes. “J’en ai besoin, Lou, tu sais que j’en ai besoin”, insiste-t-elle, avant de s’enfoncer avec son dû dans la nuit qui vient de tomber sur Stoke-on-Trent. “Merci Lou, je t’aime!” Un peu plus loin, dans le salon, Steve ronfle sur le canapé. Il est tellement shooté depuis ce matin que la bave a séché autour de ses lèvres. Planté à ses côtés, le pauvre Mitch avale péniblemen­t le ragoût du soir devant la télé. Il a perdu ses dents il y a un mois à l’hôpital et sa bouche fait le bruit d’un aspirateur à chaque cuillerée, au point de masquer la voix des commentate­urs anglais qui s’excitent sur le but d’Olivier Giroud contre Malmö. Ailleurs, tout est silencieux. Dans les dortoirs, les pensionnai­res du Macari Street Centre pioncent déjà pour la plupart, au milieu de tas de fringues en boule et de photos jaunies, résidus de vies brisées. Ils sont 33 hommes et six femmes à avoir élu domicile dans ce centre d’hébergemen­t de fortune, créé il y a maintenant plus de deux ans par un petit homme râblé au regard mélancoliq­ue,

que tout le monde ici appelle Lou. Installé dans son bureau mal rangé et presque toujours fermé à clé, le patron de 70 ans dresse le bilan de la journée avec quelques employés. Comme tous les soirs, il offre un peu de réconfort aux nombreux malheureux qui affluent dans son établissem­ent parce qu’ils trouvent porte close partout ailleurs. “Ici, tout le monde a une histoire différente. Certains vivent dehors depuis qu’ils ont 18 ans, d’autres viennent de perdre leur maison, leur emploi, leur femme, leur famille, résume-t-il entre deux coups de fil au standard. Nous, on essaie simplement de leur fournir un lit et un peu de chaleur humaine face au froid de la rue.”

Rupture de Stoke

Luigi Macari, de son vrai nom, est une figure locale. Le genre de type qu’on salue quand il marche en ville. Il fut autrefois un footballeu­r de talent, révélé sous le maillot rayé du Celtic, où il forma, avec Kenny Dalglish, Danny McGrain et David Hay, le redoutable “Quality Street Gang”, avant de briller tout

“Dans les rues, nous sommes des moins que rien, des choses presque invisibles, mais ici, on a le sentiment d’exister” James, pensionnai­re du Macari Street Centre

au long des seventies sous la tunique de Manchester United. Avec 78 buts inscrits en 329 matchs, le prolifique meneur de jeu, ancien internatio­nal écossais, a assuré la difficile succession des légendaire­s Bobby Charlton et Denis Law, à une époque où Manchester United alternait entre la première et la deuxième division. Chez les Red Devils, il est resté dans les mémoires pour ses dribbles chaloupés et ses chaussette­s baissées, et est à ce titre invité chaque week-end sur la chaîne officielle du club pour commenter les matchs. “C’était un sacré joueur, un grand numéro 10, mais moi, je l’ai surtout connu quand il est devenu manager de Stoke, au début des années 90, pose James Cane, qui a trouvé refuge au Macari Street Centre depuis la fermeture du pub où il bossait. À l’époque, le club zonait en troisième division et il a réussi des choses incroyable­s. En très peu de temps, il a redonné de l’espoir et de la fierté à toute une ville.” Depuis l’obtention du titre de champion de Second Division (troisième niveau du football anglais à l’époque, ndlr) en 1993, Lou se sent ici chez lui, dans cette cité ouvrière qui ne jure que par les Potters. “C’étaient mes plus belles années en tant que manager”, sourit-il en montrant quelques photos d’époque sur lesquelles il semble moins soucieux. En octobre 1993, suite à ses bons résultats, le coach a été débauché par le Celtic, avant d’effectuer un comeback quelques mois plus tard. “Le club est venu me rechercher quand ça ne marchait plus trop pour moi en Écosse, et cela m’a beaucoup touché. Par la suite, je n’ai trouvé aucune raison de ne pas rester, parce que les gens du coin sont d’une grande générosité.” Un beau compliment pour ce purgatoire de maisons en briques. Stoke est en effet régulièrem­ent citée comme l’une des villes les plus déprimante­s du royaume. Depuis la fermeture des usines de poterie, ses 260 000 habitants sont pour la plupart hantés par le chômage, le désoeuvrem­ent et le déclasseme­nt social. Pour tuer le temps, ils s’y noient à coups de pintes, de discussion­s sur le Brexit et de défaites en Championsh­ip –malgré un statut de relégués de Premier League, les Potters sont actuelleme­nt quinzièmes, à mille lieues des play-offs. Mais l’autre fléau local, c’est la drogue. Elle est partout, tout le temps. “Donne-moi 20 minutes et je peux revenir avec ce que tu veux”, pose Paul Bowers, un docteur qui fait partie des douze bénévoles du foyer, et dont les traits creusés témoignent d’une vie remplie d’excès. Dans sa jeunesse, Paul s’est shooté avec tout ce qui lui tombait sous la main –alcool, cocaïne, cannabis, ecstasy– avant de devenir clean à l’aube de la quarantain­e et d’intégrer le staff médical de Stoke City. “Comme beaucoup de gens ici, j’étais une bonne personne avec des addictions”, euphémise le miraculé, qui jouait parfois des matchs en amateur “avec cinq lignes de poudre dans le nez”. Autant dire que Paul est de bon conseil pour les pensionnai­res du refuge, souvent désorienté­s. En ce moment, la substance qui cause des ravages à Stoke-on-Trent s’appelle la monkey dust. Vendue seulement deux livres sterling le sachet, elle offrirait des sensations similaires aux amphétamin­es, tout en causant des hallucinat­ions et un sentiment aigu de paranoïa. Ces derniers mois, les autorités, dépassées, ont reçu plus de 800 signalemen­ts de forcenés qui se sont mis à grimper aux arbres ou sur les toits des buildings, comme s’ils essayaient d’échapper à un ennemi invisible. À tous les coins de rue, les incidents s’enchaînent. Dans une interview à Sky News, Rich Frost, le responsabl­e presse de la police locale, s’est affolé des effets de cette poudre synthétiqu­e: “Quand vous essayez de maîtriser ceux qui en ont consommé, c’est comme s’en prendre à l’incroyable Hulk. La force que leur donne ce produit est inouïe.” Anxieux, les médias anglais parlent désormais d’une “urgence sanitaire” et décrivent une situation qui échappe à tout contrôle. Un bref détour par la gare de Stoke-on-Trent permet de toucher du doigt cette réalité. À la nuit tombée, des silhouette­s inquiétant­es et décharnées y errent comme des zombies. “On les appelle les smackers”, décrypte James Cane en fumant sa clope sur la terrasse du centre. James les connaît bien: accro à l’héroïne, il a lui même zoné pendant des années. Désormais, à 54 ans, il ne fait rien de ses journées, hormis se rendre à quelques entretiens d’embauche et aller chez le médecin pour chercher ses prescripti­ons de Subutex. “Le problème avec cette drogue, c’est qu’une fois que tu lui as ouvert les portes, c’est quasiment impossible de les refermer.” D’apparence joviale, James est assez cultivé par rapport aux autres pensionnai­res du centre. À le voir étaler ses théories avec verve, difficile d’imaginer qu’il a passé plus de dix années de sa vie en prison. “Il y a un malaise grandissan­t lié au déclin de l’Europe de l’Ouest, affirme l’ancien employé de pub. La désillusio­n sociale rend les gens fous. C’est pourquoi on cherche à s’évader.” Quitte à tout perdre: famille, emploi, et même parfois la vie. “Depuis qu’on a ouvert le centre, il y a eu six décès, regrette Lou, le regard attristé. Le dernier, c’était un homme qui avait mélangé trois drogues. Il a fait un malaise cardiaque, juste là. J’ai appelé une ambulance, les médecins l’ont sauvé de justesse. Trente minutes après ça, il est sorti du centre pour acheter de quoi se droguer encore. Il a subi une nouvelle attaque dans la foulée, et cette fois, personne n’a pu l’aider.” Il y a aussi l’histoire de ce jeune immigré venu de Pologne qui aimait beaucoup la vodka. Personne n’avait jamais eu de problèmes avec lui, jusqu’à ce qu’il plante un stylo dans la gorge d’un gars du centre, un jour de crise. Condamné à deux mois de prison, il s’est suicidé en cellule. “Ici, on fait tout pour qu’ils se sentent protégés, on essaie de les aider, mais on ne peut pas les sauver. Cela ne peut venir que d’eux-mêmes”, rappelle l’iconique Red Devil. L’ancien meneur de jeu tente une comparaiso­n avec son milieu

“La drogue les empêche d’avancer, mais le plus terrible, c’est qu’elle les réduit en tant que personnes. C’est exactement ce qui est arrivé à Paul Gascoigne, un mec brillant qui n’a pas su accomplir sa destinée” Lou Macari

profession­nel d’autrefois: “La drogue les empêche d’avancer, mais le plus terrible, c’est qu’elle les réduit en tant que personnes. C’est exactement ce qui est arrivé à Paul Gascoigne, un mec brillant qui n’a pas su accomplir sa destinée.”

Suicides, dent en or et fish & chips

Pour prévenir au maximum les drames et assurer une ambiance paisible, Lou impose une seule règle à ses pensionnai­res: “Pas d’alcool ni de drogue à l’intérieur, sinon tu es viré.” Il précise: “On a installé des caméras pour surveiller et empêcher les vols.” Pour le reste, les pensionnai­res du centre sont libres d’aller et venir comme bon leur semble dans la ville jusqu’à 22 h. Si nécessaire, ils peuvent laisser leur bouteille de spiritueux à l’entrée, dans un bureau gardé par le staff, et la reprendre en partant, après un petit sermon amical. Une méthode qui peut surprendre, mais Lou en est persuadé: un sevrage trop brutal s’avère contre-productif. “La différence avec les autres foyers d’hébergemen­t, c’est qu’ici, on nous accepte comme on est. Lou, c’est quelqu’un de très humain”, assure James, sous les approbatio­ns muettes de Denzel, un grand Noir complexé par sa dent en or qui part de travers. “Dans les rues, nous sommes des moins que rien, des choses presque invisibles, mais ici, on a le sentiment d’exister”, poursuit James. Et parfois même de vivre. Les conditions d’hygiène sont bonnes: ils ont un lit, des douches propres, “et la bouffe est délicieuse! Même quand j’avais encore mon job, je ne mangeais pas aussi bien”, s’enthousias­me-til, visiblemen­t adepte des fish & chips huileux. Mais ce qu’il préfère, c’est le personnel. “Les gens du staff sont drôles parce qu’ils croient en des types qui ne croient plus en eux-mêmes. Tous, à leur façon, nous aident à surmonter les difficulté­s.” Parmi les employés, il y a Leah, une jolie blonde de 21 ans qui a dit adieu à l’insoucianc­e et à la naïveté. Elle a quitté son job de serveuse dans un café parce qu’elle voulait “vraiment aider les gens” et vient bosser en cuisine le matin à partir de 6 h. “Cela m’aide à comprendre la vie”, affirme-t-elle. Il y a aussi des figures plus expériment­ées, comme Catherine, une quinquagén­aire qui parle avec un sourire et un détachemen­t quasi robotiques. “Avant de rejoindre Lou, j’ai bossé pendant neuf ans dans une associatio­n pour femmes battues. Maintenant, il n’y a plus grand-chose qui me choque, s’excuse-t-elle presque. Dans ce métier, il faut savoir jongler avec les problèmes. On est juste une grande famille un peu dysfonctio­nnelle.” Patriarche de cette dernière, Lou Macari n’arrête jamais de bosser, parce qu’il se sent “responsabl­e” et qu’il n’est pas du genre à mettre son nom en gros sur le fronton d’un bâtiment sans s’y investir à plein temps. “Il a un coeur en or, affirme Leah. Il fait attention à tout le monde, et en plus, il est très drôle. C’est un peu comme si nous étions tous ses enfants.” Une chose est sûre, le rôle de manager lui va comme un gant. “C’est pareil quand tu es entraîneur d’une équipe, s’amuse-t-il en rangeant des cartons de boîtes de conserve. Il faut s’occuper de tout, marcher au feeling et faire le tri entre ceux qui veulent s’en sortir et ceux qui sont fainéants. Pour les plus présentabl­es, j’essaie de leur trouver un travail, une situation.” Il profite en cela de ses excellente­s relations avec la mairie et le club de la ville, qui lui envoient parfois des dons. Toutefois, quand les problèmes semblent insolubles, Lou ne lâche pas pour autant. “Il y avait ce mec qui venait de Lituanie, il buvait comme un dingue jusqu’à devenir fou, raconte-t-il avec sa gouaille tout écossaise, mais en parlant avec les

mains comme un Italien (on ne s’appelle pas Luigi par hasard). Une fois, il s’est allongé sur la route en espérant qu’une voiture l’écrase. J’ai demandé au staff: ‘Que faire avec lui?’ Personne n’avait d’idée.” Finalement, le Balte s’est repointé au centre un soir, après n’avoir donné aucun signe de vie pendant quelque temps. “Il m’a dit qu’il avait retrouvé une femme et qu’il vivait désormais dans une maison. Il m’a fait un énorme câlin et m’a remercié. Ce soir-là, j’ai compris qu’il ne fallait jamais abandonner et continuer d’espérer, chaque jour.”

“Lou est un mec complèteme­nt fou”

Cet attrait pour la solidarité s’est révélé à Lou un soir d’hiver, un peu par hasard. Un jour qu’il se balade en centre-ville par un froid terrible, il remarque un groupe de jeunes sous le porche d’une agence bancaire. Il engage la conversati­on. “J’ai commencé à leur poser des questions, pour savoir comment ils en étaient arrivés là et s’ils avaient un endroit où aller. En une soirée, j’ai rencontré au moins 20 personnes, tente-til de se souvenir. Grâce à ma petite notoriété, j’ai eu le sentiment de pouvoir les aider. Je ne savais pas comment m’y prendre, ni à qui parler. Heureuseme­nt, le maire est un ancien journalist­e sportif, je le connais bien et je lui ai demandé si un endroit était disponible pour les accueillir.” C’est ainsi que l’aventure a démarré, du jour au lendemain, en février 2016, dans ce local en tôle où sont alignés 40 lits qui affichent toujours complet, à son grand regret. “Ce n’est pas l’endroit idéal, mais c’est un bon début. J’espère trouver plus grand bientôt.”

Pour déménager, cependant, il faudrait de l’argent. Au début, Lou a tout payé de sa poche, a compté sur la solidarité de bénévoles, mais désormais, les financemen­ts viennent à manquer. Le malheur veut qu’il ait évolué à une époque où les footballeu­rs gagnaient 20 livres par semaine, et non pas 60 à la seconde, hors sponsoring. “Mais j’ai quand même eu de la chance, évacue-t-il. J’ai joué des finales à Wembley, évolué dans les plus grands stades, participé à des matchs extraordin­aires contre Saint-Étienne ou Plymouth, et même disputé une coupe du monde, alors que des gars de la trempe de George Best ou Ryan Giggs n’ont jamais connu cette sensation. Quand j’apprends une mauvaise nouvelle, je repense à tous ces moments heureux. Et je relativise.” Aujourd’hui, Lou vit dans une maison qui est “OK”, conduit une voiture qui est “OK”, et il s’en contente volontiers. “Il pourrait garder ses économies, mais il préfère aider les autres, salue Paul Bowers, l’ancien addict devenu bénévole. C’est un mec complèteme­nt fou.” Au centre, il n’y a pas une seule personne qui ne parle pas du boss en termes élogieux. Certains se rappellent de ce soir de Noël où il a emmené tout le monde se régaler au buffet chinois à volonté. “Je n’avais jamais mangé pour 17 livres dans un restaurant de ma vie. Quand j’avais de l’argent, je le mettais directemen­t dans la drogue”, explique Denzel. D’autres racontent avec émotion la première fois qu’ils ont vu la mer lors d’un voyage organisé à Blackpool, à une heure de route. Il y a aussi le bingo hebdomadai­re que tout le monde adore, lors duquel le patron tourne la roue et remet les prix. Autant de petits détails qui humanisent, redonnent le goût de vivre et la force d’avancer à ceux qui l’ont perdue. “Vous voulez savoir à quel point il est respecté?, interroge Bowers. Une fois, il a oublié son portefeuil­le dans le salon. Personne n’y a touché. Mieux encore, le type qui l’a trouvé le lui a ramené sans même avoir pris une pièce, alors qu’il passe ses journées à voler et mentir pour soulager ses addictions.”

Le coeur de Lou

Quand on lui demande pourquoi il s’inflige un pareil quotidien au lieu de profiter d’une retraite méritée, son visage se voile subitement. La réponse se trouve dans un passé douloureux, dont il parle rarement. Il y a d’abord eu la mort de sa mère, disparue dans des circonstan­ces troubles d’une overdose médicament­euse, alors qu’elle vivait seule en Écosse. Puis le suicide brutal de son fils, qui s’est pendu à l’âge de 19 ans. L’affaire avait fait grand bruit au sein des médias anglais, qui disaient le jeune homme dépressif et drogué. “C’est faux, s’insurge le père, les larmes aux yeux. À l’époque, je me suis barricadé, je ne parlais à personne, donc ils ont inventé n’importe quoi. La vérité, c’est qu’il devait aller avec une fille à une soirée, mais elle est montée dans la voiture d’un autre sous ses yeux.” Il marque une pause, cherche ses mots. “Il a vécu quelque chose qu’il n’a pas pu supporter, mais cela n’avait rien à voir avec la drogue. Seulement, j’ai laissé courir ces bruits parce que je ne voulais pas livrer la jeune femme en pâture aux journaux.” Aujourd’hui, son fils repose dans cette ville que Lou refuse de quitter, errant au milieu de questions sans réponses. “J’étais un père strict, mais peutêtre ne l’ai-je pas été suffisamme­nt? Peut-être aurais-je pu mieux faire pour l’aider? Pas un jour ne passe sans que je ne me demande ‘Et si, et si?’” Parce qu’elle a un peu perdu la foi, l’ancienne star de Manchester peine à y voir la source de son engagement auprès des âmes en perdition. Mais l’hypothèse de la rédemption est crédible. Le décès de sa mère est une autre blessure pas encore refermée. Lou estime ne pas avoir été assez intelligen­t à la mort de son père –alors qu’il était encore jeune et concentré sur sa carrière– pour comprendre que sa mère aurait de gros problèmes. “Lorsque j’ai signé à Manchester, je n’ai pas pu l’emmener avec moi, parce que je n’avais pas assez d’argent… Et quand j’ai voulu le faire, c’était déjà trop tard. Trois mois avant de partir à la coupe du monde en Argentine, on m’a annoncé la nouvelle”, souffle-t-il d’une voix faible. Pas de doute, l’homme culpabilis­e: “La solitude qu’elle a endurée et la souffrance que ça lui a procuré, ça j’en suis sûr, c’est de ma responsabi­lité.” Depuis ces événements, de l’eau a coulé sous les ponts de la rivière Trent. En même temps qu’il répare les vivants, Lou masque ses cicatrices. “Guérir, c’est un processus long. Comme pour les gars du centre, cela peut prendre des mois, voire des années, avant qu’ils ne parviennen­t à repartir de l’avant.” S’il y en a un qui s’y connaît niveau balafres, c’est bien Mitch. Il en a une vingtaine sur les deux bras, ce sont des stigmates de ses multiples tentatives de suicide. Aujourd’hui, sa vie se résume à cette pochette bleue plastifiée, de laquelle il sort une ancienne photo des seins de sa femme et quelques articles de journaux. Ancien batteur du groupe de hard rock Marshall Law, Mitch était une célébrité dans la région, qu’il a écumée à coups de concerts endiablés. Comme tous les rockeurs, il a tiré sur la corde plus d’une fois, mais sa vie s’est véritablem­ent écroulée quand sa femme l’a quitté. Sombrant dans l’alcoolisme, il a connu la déchéance pas à pas: d’abord les centres de réinsertio­n, puis la vie dans la rue, où il a côtoyé la violence et la peur pendant de longues années. “J’étais harcelé par une brute qui me battait et me volait tout mon argent. J’ai tout fait pour le fuir, et aujourd’hui encore, j’ai peur qu’il me retrouve quand je sors”, confesse-t-il. La voix tremblante, il raconte des nuits aussi glacées que la mort, la dureté du dehors, les sens qui s’émoussent au point de le transforme­r en pierre, l’impossibil­ité de continuer… Jusqu’à ce jour où il a téléphoné au Macari Street Centre, quand il n’avait plus personne vers qui se tourner. Jamais il n’aurait pensé tomber sur un tel paradis au milieu des enfers. “Je vais avoir mes nouvelles dents dans une semaine, Lou m’a pris rendez-vous chez le dentiste, savoure-t-il, tandis qu’une étincelle brille dans ses yeux d’un bleu transparen­t. Je veux le remercier du fond du coeur, parce que grâce à lui, et pour la première fois depuis très longtemps, j’ai envie de vivre.”

“J’ai joué des finales à Wembley et même disputé une coupe du monde, alors que Best ou Giggs n’ont jamais connu cette sensation. Quand j’apprends une mauvaise nouvelle, je repense à tous ces moments heureux. Et je relativise” Lou Macari “Je n’avais jamais mangé pour 17 livres dans un restaurant de ma vie. Quand j’avais de l’argent, je le mettais directemen­t dans la drogue” Denzel, pensionnai­re du Macari Street Centre

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Lou et ses pensionnai­res.
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Lou Macari fête la Cup en 1977 avec Tommy Docherty et Gordon Hill.
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