So Foot

“Pour tenir le coup, j’écoutais du rap”

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Jacinto Ela, premier joueur de moins de 20 ans de l’histoire du football espagnol à avoir signé en Premier League, aujourd’hui écrivain Quand tu joues au foot, que tu sois noir ou blanc, tu t’exposes aux insultes. Une fois que tu le sais, ça ne te prend plus par surprise. Et pourtant, on est tous humains… Il m’arrivait parfois de m’exalter en entendant certaines choses, mais ce qui me dérangeait le plus, c’était lorsque mes coéquipier­s me demandaien­t de me calmer. Pour moi, c’était pire que les insultes proférées par les adversaire­s. Au fond de moi je pensais: “Si j’étais dans l’équipe adverse, vous aussi vous seriez contre moi.” Le pire, c’est de se faire attaquer par des gens que tu penses être tes proches. Ça retourne les tripes. Je me souviens encore de la fois ou j’avais été ramasseur de balles. Ce jour-là, les Brigadas, les ultras de l’Espanyol, m’avaient balancé des cacahuètes pendant toute la rencontre. J’avais 13 ans, je jouais déjà pour eux, mais ça ne les empêchait pas de me faire des saluts hitlériens et des cris de singe à chaque fois que j’allais au stade. À 19 ans, ces mêmes Brigadas ont refait des cris de singe à chaque fois que je touchais le ballon. Après ce match-là, je me suis dit: “Je n’ai plus envie de marquer pour ces gens-là, je n’ai pas envie de les rendre heureux. Je ne veux plus continuer dans ce club.” Alors je suis parti en Angleterre, et j’y ai découvert un football sans racisme. Je me suis dit: “Jacinto, en Espagne, tu vivais dans un monde parallèle.” Les commentair­es racistes, c’est comme recevoir des tampons. C’est une sensation horrible. Ma famille souffrait pour moi. Elle pensait que j’étais en train de m’autodétrui­re. À l’époque, pour tenir le coup, j’écoutais beaucoup de rap. Je me passais en boucle du Frank T, parce que je retrouvais dans ses paroles toutes les difficulté­s que je devais affronter au quotidien. Le foot est un milieu très dur. Si tu es très bon, les gens ne seront pas aussi racistes avec toi. Dans le cas contraire, tu auras le droit à: “Le Noir est tout pourri.” L’ancien président de l’Atlético Madrid, Jesus Gil, était le spécialist­e de ces trucs-là. Quand le Colombien Valencia ne mettait pas assez de buts il disait: “Le Noir, je vais le tuer.” Et ça se retrouvait en une de Marca. Tout le monde en rigolait, mais moi qui avais 15 ans, j’hallucinai­s: “Mais c’est quoi, cette société?” On a été élevés dans l’acceptatio­n de commentair­es horribles… Vous savez ce que c’est que d’être sur un terrain et qu’un adversaire vienne voir l’arbitre pour lui dire: “Le Noir, je vais le buter”? Et que cet arbitre ne fasse rien? C’est le genre de choses qui m’a fait arrêter le foot à 26 ans. Ma conscience d’adulte ne pouvait plus composer avec l’inadmissib­le.

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Moise Kean.
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