“Les Russes se plaisent dans le ‘seul contre tous’”
Trois questions à LUKAS AUBIN, auteur du livre La Sportokratura sous Vladimir Poutine, une géopolitique du sport russe, aux éditions Bréal.
Trois ans après une coupe du monde réussie, quelles sont les attentes autour de la Sbornaya? Il y a eu une vraie vague de popularité au lendemain de la coupe du monde. Plein de gens ont commencé à s’intéresser au football. J’ai une amie qui a appelé sa tortue Akinfeïev. Dziouba est devenu une sorte de héros national. Mais ensuite, l’élan est retombé. Notamment car les affaires de dopage et l’exclusion des sportifs russes des grandes compétitions internationales pendant deux ans par le TAS ont créé une forme de colère, et finalement de désintérêt. Cela dit, nul doute que pendant l’Euro, il y aura un nouvel engouement. Parce que les Russes se plaisent dans le “seul contre tous”. Le fait d’évoluer en partie à domicile et de pouvoir concourir sous les couleurs russes –ce qui ne sera pas le cas aux jeux Olympiques– va galvaniser l’équipe et les supporters.
Il y aura 50% des supporters à SaintPétersbourg, une jauge supérieure à celle des autres stades, pourquoi? C’est le fruit d’une politique de Vladimir Poutine. Depuis le début de la crise du Covid, il faut être les premiers de la classe, et cela à tous les niveaux. Temporellement, la Russie a toujours été en avance sur les autres pays européens: le premier à annoncer avoir produit un vaccin (Spoutnik V, l’été dernier), le premier à faire revenir des spectateurs en tribunes. Le Zénith a même proposé que chaque supporter qui vienne voir un match reçoive un vaccin. On voit bien que la Russie utilise le Covid et le sport à des fins de soft power.
Certains joueurs de l’équipe russe ont-ils pris position pour Navalny? Non aucun, les joueurs de la Sbornaya, comme l’immense majorité des sportifs de haut niveau, sont officiellement soit apolitiques, soit proPoutine. En réalité, il est impossible de s’opposer au pouvoir russe actuellement, sous peine d’être exclu du jeu sportif. C’est ça, le risque. Poutine considère les équipes nationales comme un vecteur de patriotisme très fort à l’échelle nationale, et un vecteur d’influence à l’échelle internationale. Si très peu de Russes évoluent en dehors du championnat domestique, c’est aussi le fruit de cette politique qui dit, en gros: “Vous êtes de bons patriotes, jouez pour le Zénith ou le Spartak.” Bref, il est donc hors de question d’avoir un mouton noir qui véhicule un discours pro-Navalny. On l’a vu récemment avec le hockeyeur Artemi Panarine, qui joue aux New York Rangers. Il a exprimé son soutien à Navalny sur les réseaux sociaux. Dans la foulée, une obscure histoire de violences envers une femme qui date de 2011 est ressortie dans les médias. Il n’a pas été retenu pour les championnats du monde.