Effet papillon.
Comment la tentative avortée d’interdiction des duels de la part du Roi-Soleil a empêché l’Aviva Stadium d’accueillir quatre matchs du tournoi.
Ce sont les duels à l’épée entre gentilshommes au XVIIe siècle qui ont amené l’UEFA à zapper Dublin de sa liste de villes hôtes en 2021. Stupéfiant.
VERSAILLES 1643
Lassé de voir l’aristocratie bleublanc-rouge se trucider à coups d’épée pour des histoires de coeur, de fesses ou de code d’honneur, Louis XIV promulgue pas moins de onze édits entre juin 1643 et octobre 1711, pour faire interdire la pratique du duel. Bien tenté, mais raté: le monarque ne parviendra jamais à complètement stopper les fous du fleuret. Les sujets de son royaume continueront de respectueusement se charcuter la couenne entre gentilshommes de bonne société.
ÎLE SAINTEMARGUERITE 1772
Lieutenant militaire, le distingué marquis de Jouffroy d’Abbans perd légèrement la boule en croisant le regard d’une duchesse. Pour s’octroyer les faveurs de la jouvencelle, il défie en duel le responsable de son régiment, le comte d’Artois, qui n’était également pas insensible aux atouts de la demoiselle. Courageux, mais périlleux: ledit comte est le petit-fils du roi Louis XV, qui envoie d’Abbans au cachot du fort royal de l’île Sainte-Marguerite, au large de la côte méditerranéenne. Qu’importe, Jouffroy va mettre à profit son temps au mitard pour faire marcher son brillant intellect. En observant le passage des galères qui voguent sur l’océan depuis sa cellule, il imagine ainsi son célèbre palmipède, un prototype de ce qui deviendra le bateau à vapeur.
EUROPE 1832
Lancée à toute berzingue dans le siècle de la vapeur, l’humanité se met à parcourir les sept mers beaucoup plus aisément que du temps où les capitaines devaient attendre que le vent pousse leurs rafiots. Les routes commerciales se multiplient, les échanges aussi et, avec eux, les risques épidémiques, alors que les voyageurs du monde entier trimballent leurs microbes aux quatre coins du globe. En 1832, des épidémies de choléra touchent pour la première fois la France et l’Europe. Cette fois-ci, le pangolin n’y est pour rien: le foyer de la maladie serait localisé dans le delta du Gange, où il s’est avéré qu’abuser de matières fécales humaines en guise d’engrais agricole n’était bizarrement pas l’idée du siècle.
CANNES 1834
Habitué à séjourner en France et lord révéré de la cour britannique, Henry Brougham se voit refuser l’entrée des portes du comté de Nice, en quarantaine suite à une vague de choléra qui touche la région. So shocking, mais l’ami Henry n’a pas dit son dernier mot. En route pour Grasse, il fait une pause à Cannes, et tombe sous le charme de ce qui constitue alors un tout petit village. Le gentilhomme est séduit au point d’y faire construire une vaste demeure, où il invite ses relations de l’aristocratie anglaise. En l’espace de quelques années, la ville côtière devient le spot favori de la noblesse britannique, qui peut y débattre des mérites du dernier roman de Dickens tout en sirotant un afternoon tea.
IRLANDE 1920
Flambeuse émérite, Charlotte Long, épouse d’un propriétaire terrien britannique, accumule les dettes, notamment en multipliant les fêtes dispendieuses à Cannes, où elle convie le gratin de la société anglaise. Pour rembourser ses créanciers, son fils, Walter Long, pourtant passionné de vénerie, doit abandonner son rêve de diriger un attelage de chasse au renard. Il choisira notamment de se consacrer à une plus lucrative et respectable carrière politique. En 1920, Long rentre dans l’histoire en proposant de créer deux entités irlandaises, l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, une réforme qui aboutira un an plus tard à la sécession de cette dernière.
NYON 2021
Mi-avril, L’UEFA annonce que Dublin se voit retirer son statut de ville hôte de l’Euro. En cause, l’épidémie de coronavirus, que la ville de James Joyce n’a pas suffisamment maîtrisée pour pouvoir remplir son stade à 25 % de sa capacité. Ce qui ne serait précisément pas arrivé si l’Irlande était restée sous domination de l’Union Jack, alors que l’Angleterre accueillera sans trembler à Wembley. Si près de 60 % des Britanniques ont reçu au moins une dose de vaccin, la patrie de Robbie Keane joue beaucoup moins vite de la seringue: près des deux tiers de sa population attendent encore de se faire injecter une dose d’antivirus. Un argument de plus pour les royalistes. oPAR ADRIEN CANDAU / PHOTOS: DR