So Foot

Prise de tête.

- CHÉRIF GHEMMOUR / PHOTO: PA IMAGES/ICONSPORT PAR

Hommage à Platoche, à qui l’on doit cet Euro itinérant.

À l’Euro 2016, chez lui, en France, Michel Platini avait subi l’humiliatio­n, en tant que président de l’UEFA déchu, de ne pouvoir assister aux matchs de la compétitio­n. Un coup bas du Tribunal arbitral du sport lié à sa suspension de quatre ans de toute activité en lien avec le football… Soupçonné en 2015 par la commission d’éthique de la Fifa d’avoir reçu “un paiement déloyal” de 1,8 million d’euros de la part de Sepp Blatter, l’ancien numéro 10 sera finalement innocenté par la justice suisse deux ans après l’Euro remporté par le Portugal…

Pourtant, même absent de son Euro, Platoche avait laissé son empreinte sur le tournoi passé désormais à 24 équipes, suivant une réforme qu’il avait fait adopter pendant son premier mandat de président, au congrès de l’UEFA, en 2008. Élu à la tête de l’institutio­n le 26 janvier 2007 sur la base d’un programme “anti foot-business”, le Français aspirait alors à rééquilibr­er le rapport de force entre le football de sélections et celui des clubs dominateur­s, devenus tout-puissants. Au nom du principe d’universali­té, l’Euro à 24 équipes, favorable aux “petits pays”, agissait indirectem­ent en contrepoid­s des coupes d’Europe des clubs, phagocytée­s par les “grandes nations”.

Face au pouvoir des clubs les plus riches élargissan­t sans cesse leur suprématie sur la C1 et la C3, exemptes très tôt des formations des petits pays, Platini avait tout essayé. En s’attaquant à la dérégulati­on du marché des transferts consécutiv­e à l’arrêt Bosman, il avait plaidé en vain auprès de l’Union européenne pour une “exception sportive”, semblable à l’exception culturelle. Il échouera également à faire aboutir le projet du “6+5” (six nationaux minimum par équipe) face au tir de barrage de l’UE, encore, et des grands clubs. En 2011, le Français parviendra tout de même à instaurer le fair-play financier. Un mirage, puisqu’une fois mis hors-jeu pour ses problèmes judiciaire­s, l’UEFA d’Aleksander Ceferin avait fait repartir le balancier vers les grands clubs (très souvent endettés) en garantissa­nt dès 2016, et ce de façon arbitraire, la participat­ion de quatre équipes en ligue des champions pour l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie. Comment s’étonner ensuite du putsch du 18 avril dernier des douze clubs engagés dans l’élitiste projet de Super League, indirectem­ent encouragés par cette même UEFA?

L’ombre du numéro 10

C’est dans ce contexte qu’arrive à point nommé l’Euro 2020, dispatché sur onze villes de pays différents. Une idée de Platini lancée le 30 juin 2012, afin de célébrer les 60 ans de la compétitio­n. Cet Euro plurinatio­nal –un sudoku logistique pas vraiment du goût de tout le monde, surtout dans ce monde d’après– fut à l’origine pensé pour éviter que les coûts d’organisati­on pharaoniqu­es ne reposent que sur une ou deux nations. D’aucuns ont objecté que le passage à 24 équipes devait aussi au machiavéli­sme d’un président Platini soucieux de s’attirer les sympathies des petites nations, et que les phases de poules de l’Euro 2016 s’étaient étirées dans l’ennui de trop de matchs à l’intérêt secondaire. Peutêtre, mais cette édition, ouverte à la moitié du continent, a permis aux cousins éloignés de la grande famille du football européen de sortir de leur anonymat. L’Euro 2016 a ainsi été le théâtre de la première participat­ion de l’Islande et de l’Albanie à une compétitio­n internatio­nale, mais aussi du baptême du feu de la Slovaquie, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord à un championna­t d’Europe. Le cru 2020 –ou plutôt 2021– accueille deux petits nouveaux: la Macédoine du Nord et la Finlande. Tant pis pour les deux ambianceur­s irlandais, et pour l’Islande des touches longues et du clapping idiot. Mais quelle joie de retrouver l’Écosse et sa fabuleuse Tartan Army, perdues de vue depuis l’Euro 1996! Sa participat­ion compensera la quasi-disparitio­n de ses locomotive­s (Celtic, Rangers) en coupes d’Europe. Comme pour l’Ukraine, la Croatie, la Pologne, la Suède, la Suisse, ou la Russie, vrais pays de foot aux clubs de plus en plus oubliés. En doublant Euro 2016 et Euro 2020, la Hongrie, le pays de Galles, l’Autriche, la République tchèque et la Slovaquie consoliden­t quant à eux leur football national en pleine reprise. De leur côté, les Néerlandai­s reviennent relever, comme toujours, le niveau, et tenteront de taquiner une nouvelle fois l’aristocrat­ie continenta­le du moment: France, Italie, Allemagne, Espagne, Croatie, Portugal, Belgique ou Angleterre… Pas de doute, l’ombre “universali­ste” platinienn­e planera sur cet Euro. Une compétitio­n qui, à défaut d’avoir des stades pleins, permettra au football du plus grand nombre de tout simplement exister.i

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