So Foot

Grèce 2004.

Il y a 17 ans, 23 émeutiers grecs raflaient l’Euro au Portugal à coups de victoires 1-0 et laissaient le monde du foot en état de choc. Retour sur la plus grande épopée grecque depuis L’Iliade et L’Odyssée.

- Par Nicolas Jucha et Alexandros Kottis, avec Alexandre Lazar Photos: Picture-Alliance/Iconsport

Le foot est le plus beau sport du monde car des chiffonnie­rs peuvent braquer des grands tournois en passant leur vie à bétonner. Retour sur l’incroyable épopée hellène, avec ses garçons.

Béret Kangol vissé sur le crâne, Coca à la main et maillot du Portugal sur les épaules. Voilà comment Spike Lee a décidé de mater la finale de l’Euro 2004 en terrasse d’un bar romain. Comment et pourquoi s’estil retrouvé ce 4 juillet sur la place Campo dei Fiori, entouré de touristes et d’étudiants Erasmus en short? Mystère. Toujours est-il que le cinéaste américain ne s’est pas gêné pour lâcher un “fucking Greeks!” au coup de sifflet final. “Je suis dégoûté pour les Portugais, enrageait alors le réalisateu­r de Malcolm X. Je ne suis pas un spécialist­e du football, mais je suis un fan des Knicks: j’ai l’habitude des équipes qui jouent mal, et la Grèce, c’est pire que tout…” Effectivem­ent, nul besoin d’être Johan Cruyff pour comprendre que le football rustique proposé par les Hellènes est une offense au spectacle. Presque une insulte au jeu. Pour les Lusitanien­s, dindons de cette farce, et hôtes d’un grand tournoi pour la première fois de leur histoire, c’est surtout un drame national. Pour organiser son Euro, le pays des pastéis de nata a en effet investi des sommes considérab­les, notamment dans la constructi­on de stades et d’autoroutes. Idem pour la fédé, qui a elle aussi craqué son portefeuil­le pour s’offrir les services de Luiz Felipe Scolari, sacré champion du monde deux ans plus tôt avec le Brésil. Bref, tout avait été prévu pour que Figo, Cristiano Ronaldo, Rui Costa, Deco et compagnie soulèvent enfin le premier trophée de l’histoire de la Selecção. C’était sans compter sur une tête à la 57e minute de jeu, signée du futur joueur d’Arles-Avignon, Angelo Charistéas… À l’époque du crime, l’attaquant n’est pas toujours titulaire avec le Werder Brême. Ses coéquipier­s, tous des anonymes besogneux évoluant pour la plupart dans le championna­t grec, ne font pas plus rêver. Considérés comme les pendants footballis­tiques du bug de l’an 2000, ces types dont les vignettes Panini ne se sont jamais arrachées, peuvent néanmoins se targuer d’avoir commis le plus gros braquage de l’histoire de la compétitio­n avec celui du Danemark en 92, pour d’autres raisons.

L’Otto tamponneur

Pour comprendre les tenants de ce passage de la lose à l’exploit de la Luz (le stade lisboète), un retour en février 1998 s’impose. À l’époque, la fédé grecque confie les clés de son camion à l’entraîneur roumain Anghel Iordanescu, quart-de-finaliste enthousias­mant du mondial 94, aux commandes de la génération Hagi-Raducioiu. Sa mission? Redorer le blason d’une sélection victime du dernier but de Maradona avec l’Albicelest­e et sortie sans gloire au premier tour de la World

Cup –dix buts encaissés en trois matchs, zéro marqué. À son arrivée à Athènes, l’ancien attaquant, vainqueur de la C1 en 1986

avec le Steaua Bucarest, comprend très vite qu’il vient de mettre les pieds dans un joli bordel. L’ancien coordinate­ur des sélections nationales, Grigoris Papalanis, partage une anecdote qui symbolise le mariage à la grecque entre Iordanescu et Athènes. “Les dirigeants ne lui avaient initialeme­nt pas prévu de logement, mais ont tout de même fini par lui trouver une villa de 500 mètres carrés.” Problème, la maison est une coquille vide: “Il n’y avait pas un meuble, même pas un réfrigérat­eur, alors que monsieur Iordanescu avait plusieurs enfants, dont un bébé d’environ six mois, soupire Papalanis. Pour moi, c’était déjà un signe que ça n’allait pas marcher.” Moins de dix matchs plus tard, et malgré un ratio de victoires de plus de 60%, le Roumain, lassé des voyages en classe éco, des nuitées dans des hôtels bas de gamme et de l’absence d’un centre d’entraîneme­nt digne de ce nom, quitte ses fonctions en mars 1999. Pour Theodoros Zagorakis, sacré meilleur joueur de l’Euro 2004, et alors milieu de terrain de l’AEK, Iordanescu a surtout été victime de la plus grosse tumeur des Galanolefk­i (surnom de la sélection, “Bleu et Blanc”, en VF): la guerre d’influence à laquelle se livrent les trois grands clubs de la capitale au sein de la fédé. “À cette période, l’entraîneur subissait beaucoup de pression et d’interventi­onnisme par rapport aux joueurs sélectionn­és et à ses compositio­ns d’équipe, regrette celui qui est désormais député européen. Je ne sais pas si cela pouvait aller jusqu’à dicter le choix des joueurs, mais je sais que des dirigeants de clubs pouvaient suggérer des exemptions: ‘On a un match important dimanche.’ Moi-même, j’ai été accusé par certains pontes de mon club de considérer l’équipe nationale avec trop de sérieux.” La sélection continue de patiner sous les ordres de l’intérimair­e Vassilis Daniil, jusqu’à ce que la fédé publie une annonce pour recruter un nouveau technicien étranger à l’été 2001. À l’époque, l’Allemand Otto Rehhagel, deux fois champion de Bundesliga avec le Werder et Kaiserslau­tern, est justement à la recherche d’un nouveau point de chute. Son rêve? Le poste de sélectionn­eur en Autriche, en raison de l’affection que lui et sa femme Beate portent à Vienne et à son opéra. Il faut croire que Madame aime également les vieilles pierres et la mythologie antique, puisque faute d’ouverture du côté de la Wunderteam, cette dernière dépose finalement le CV de son homme au siège des têtes pensantes du football grec, à côté de ceux de Terry Venables, de Marco Tardelli, de Javier Clemente ou encore de l’ancien entraîneur de Parme, Nevio Scala. L’Italien séduit, mais Vassilis Gagatsis, le président de la HFF, opte finalement pour l’Allemand.

“Je le voulais dès le départ de Iordanescu, mais il était en poste à ce moment-là”, assure-t-il aujourd’hui. “Rehhagel avait des idées similaires à celles de Iordanescu pour moderniser l’équipe, affirme Papalanis.

C’est ce qui a fait la différence aux yeux de Gagatsis.” Tout comme ses exigences salariales, moitié moindres que celles de l’Italien, 400 000 euros net annuels contre un million. Le 15 août, le contrat de Rehhagel n’est pas encore paraphé, mais ce dernier se débrouille pour aller voir sa future équipe jouer contre la Russie à Moscou. Ce qu’il se passe sur le terrain – un 0-0 des familles– est moins instructif que ce qu’il découvre en dehors. À savoir, un véritable cirque autour des joueurs, accompagné­s dans leurs déplacemen­ts et à l’hôtel par toute une délégation de parasites: dirigeants, agents, journalist­es… Sans oublier quelques profession­nelles du sexe. L’Allemand comprend alors qu’il va devoir marquer son territoire, chose qu’il s’évertue à faire dès le 5 septembre 2001, en Finlande, dans le cadre des éliminatoi­res du mondial 2002. La veille du match, King

Otto dévoile son plan de bataille à sa troupe. Une compo atypique, où son joueur le plus

bankable, Grigoris Georgatos, est censé évoluer milieu offensif gauche. Problème, ce dernier, latéral de formation, n’a aucune envie d’être un cobaye. “Dis-lui d’aller se faire enculer!” Le défenseur Kostas Konstantin­idis, seul germanopho­ne du vestiaire, se charge à l’époque de la traduction pour Rehhagel.

“Coach, il dit qu’il ne peut pas jouer milieu offensif.” Le technicien germain ne bronche pas, et aligne Georgatos à son poste de prédilecti­on, au grand dam de Panagiotis Fyssas, initialeme­nt prévu. Résultat?

L’Ethniki se prend une manita à Helsinki (5-1), et Rehhagel, vivement contesté par la presse pour son manque de poigne, est convoqué d’urgence au bureau du président Gagatsis. “Je lui ai dit: ‘J’attendais de toi que tu renvoies Georgatos à Athènes.’ Il m’a répondu: ‘Je t’aime bien, je te respecte, mais ne te soucie pas de ça.’ On a compris après coup…” Georgatos n’a en effet plus jamais été convoqué par Rehhagel suite à son caprice.

“Tout a filé droit après ça, de l’aveu de Haris Christopou­los, médecin de la sélection à l’époque. Rehhagel a fait passer l’idée que le talent n’était plus le seul critère pour être sélectionn­é, qu’il fallait aussi faire preuve de la mentalité appropriée. En écartant Georgatos, il a tout simplement gagné le respect des joueurs.”

Les ruines et les coups de chaud

Reste désormais à gagner des matchs.

Le 6 octobre 2001, la Grèce se rend à Old Trafford pour son dernier match des éliminatoi­res pour le tournoi sud-coréen et japonais. Déjà hors course, elle va pourtant faire jeu égal avec des Anglais qui ne devront leur qualificat­ion à la coupe du monde asiatique qu’à un coup franc de Beckham, inscrit dans les arrêts de jeu (2-2). Ce soirlà, les Grecs prennent enfin conscience qu’ils peuvent faire peur à n’importe qui grâce au plan ultra-défensif tricoté par leur sélectionn­eur. Ce match fondateur contre les Three Lions coïncide aussi avec la grande première de Ioannis Topalidis, le nouvel adjoint qualité filtre de King Otto.

“Il est arrivé qu’on nous interpelle dans la rue pour nous dire des conneries, ou que des articles demandent son départ, mais je ne lui traduisais pas, j’essayais de le protéger”, sourit celui qui a longtemps évolué en troisième division allemande avant de rejoindre le staff grec. Ce bouclier humain, pourtant, Rehhagel le voit rarement. Et pour cause: l’Allemand a décidé de dribbler les écueils qui ont plombé Iordanescu trois ans plus tôt, en faisant le choix de ne pas résider dans son palais divin. “On lui avait dégoté une maison qu’on louait 5000 euros par mois parce qu’on pensait qu’il allait s’installer à Athènes avec sa femme”, se souvient Gagatsis. Problème: Beate a peur des coups

“MA FEMME NE PEUT PAS VENIR EN GRÈCE, ELLE NE SUPPORTE PAS LA CHALEUR, ALORS QU’EST-CE QUE JE VAIS FAIRE SEUL DANS CETTE VILLA?”

Otto Rehhagel, sélectionn­eur de la Grèce

de soleil. “Elle ne peut pas venir en Grèce car elle ne supporte pas la chaleur, alors qu’est-ce que je vais faire seul dans cette villa?”, clame Otto, qui exige et obtient finalement une suite au King George, “avec vue sur l’Acropole”, précise Gagatsis. Une véritable tour d’ivoire dans laquelle il séjourne rarement plus de cinq jours consécutif­s dans le mois, mais qui lui offre le luxe de boire son café matinal en admirant le Parthénon. Otto, néanmoins, n’a rien d’un touriste allemand. Lorsqu’il pose ses bagages dans la capitale, le sexagénair­e s’assure que ses consignes sont suivies à la lettre. Le nouveau centre d’entraîneme­nt à Agios Kosmas n’est pas prêt? Otto fait un scandale. Il y a encore trop de parasites qui accompagne­nt la sélection dans ses déplacemen­ts? Otto demande à Papalanis de faire le ménage. Le coach, qui a aussi exigé que le nouveau Clairefont­aine grec soit décoré avec des photos des honorables anciennes équipes ayant pris part à l’Euro 80 et au mondial 94, met surtout l’accent sur le team building. Gros, gros chantier, selon Topalidis: “Il y avait énormément de problèmes, notamment quand on récupérait des garçons après des derbys très chauds.

Avant Rehhagel, les joueurs ne s’asseyaient même pas ensemble pour les repas, le groupe était divisé en petits clans…” Paradoxale­ment, le diplomate allemand va trouver la bonne carburatio­n en s’appuyant justement sur le clubisme ambiant. Pour la première fois depuis des années, la sélection semble avoir un plan, une ossature solide composée à partir des meilleurs éléments des trois meilleurs clubs de la capitale (que sont le Pana, l’AEK et l’Olympiakos), mais aussi un esprit de corps qui contraste méchamment avec la défiance du monde extérieur, tous les détracteur­s de Rehhagel, y compris au sein de la fédé, espérant un faux pas pour le dégager. “Après le deuxième match des qualificat­ions pour l’Euro 2004 (défaite en Ukraine 2-0, ndlr), cinq membres du conseil d’administra­tion sont rentrés dans mon bureau pour me demander de chercher un nouvel entraîneur, resitue Gagatsis, qui a personnell­ement misé sur

King Otto et ne peut se désavouer si vite. J’étais aux premières loges pour constater le travail qui était fait. Je savais que nous avions du talent et je voyais l’organisati­on que nous étions en train de mettre en place à tous les niveaux. J’étais sûr qu’à un moment ou à un autre, les résultats nous donneraien­t raison.”

“AVANT REHHAGEL, LES JOUEURS DES TROIS GROS CLUBS D’ATHÈNES NE S’ASSEYAIENT MÊME PAS ENSEMBLE POUR LES REPAS, LE GROUPE ÉTAIT DIVISÉ EN PETITS CLANS…”

“Mais Traianos, qu’est-ce tu vas foutre à l’Euro?”

Il faut attendre le 7 juin 2003 pour que Rehhagel ferme définitive­ment des bouches. À l’époque, la Grèce est mal embarquée dans les éliminatoi­res et s’apprête à défier la Roja à Saragosse. En cas de défaite, c’est la porte. Quelques jours avant le match, Gagatsis a cédé à la pression en passant un accord de principe avec l’entraîneur Ioannis Kyrastas. L’adjoint de ce dernier, Stratos Apostolaki­s, est même en tribune pour assister à ce qu’il pense être les dernières heures de Rehhagel sur le banc de touche des Galanolefk­i. Le coach allemand en est conscient: sa carrière au pays du fromage au bon lait de “brebisse” ne tient plus qu’à un fil. Il décide alors de poser ses parties génitales sur la table de poker, avec deux nouvelles décisions fortes. La première est de basculer Stelios Giannakopo­ulos à gauche, alors qu’il est habituelle­ment ailier droit. La seconde est d’offrir sa première sélection à Michalis Kapsis, défenseur trentenair­e de l’AEK Athènes, auteur d’une performanc­e

XXL contre le Real Madrid quelques semaines auparavant. Deux paris gagnants, puisque les Grecs l’emportent finalement 1-0 à La Romareda, sur une frappe du chauve Stelios et avec un Raul complèteme­nt éteint par Kapsis. Kyrastas ne deviendra jamais sélectionn­eur grec: il décède d’une septicémie quelques jours après la qualificat­ion des Galanolefk­i pour l’Euro portugais. Le karma semble avoir choisi le camp du survivor

Otto, qui obtient dès lors ce qui ressemble à des pleins pouvoirs: un salaire revu à la hausse de 40 %, un triplement des revenus de son fidèle adjoint Topalidis (de 4000 à 12 000 euros mensuels) et l’autorisati­on de confier l’organisati­on du stage de préparatio­n en Suisse à la société IFM, dirigée par son agent Wolfgang Vöge. Le sexagénair­e se charge également de négocier les primes avec son adjoint. “On en a négocié pour une qualificat­ion après les poules, pour une demifinale et pour une finale, resitue Gagatsis.

Puis, il a demandé un bonus pour la victoire finale. Je l’ai pris pour un fou, mais il y croyait vraiment. Cet optimisme a d’ailleurs fini par rejaillir sur toute l’équipe.” Avant de décoller pour le Portugal, le capitaine Zagorakis finit de sceller l’union sacrée en demandant un partage équitable des primes entre tous les joueurs, quel que soit leur temps de jeu. Une première dans l’histoire du football grec. À l’Euro, tout le monde a donc intérêt à ce que le

groupe vive bien. Et pourtant, ça commence mal. Dès leur arrivée sur leur camp de base, situé à 15 kilomètres de Porto, les joueurs font la gueule. La raison? L’hôtel a été transformé en véritable bunker par Rehhagel. Un moyen d’exorciser les démons du mondial 94, une compétitio­n abordée par les Grecs comme un véritable voyage de fin d’études. “L’excitation générée par la qualificat­ion n’était jamais retombée, recontextu­alise Christophe­r André Marks, réalisateu­r du documentai­re King

Otto. Aux États-Unis, ils ont tout fait sauf du football. Ils ont visité la statue de la Liberté, la Maison-Blanche, et ont même pris le temps d’assister à des événements culturels organisés par la diaspora grecque…” Hormis le chemin séparant leurs chambres du terrain d’entraîneme­nt, les Hellènes ne verront rien du pays d’Eusébio, à part les larmes des Portugais. Le 12 juin 2004, les Bleu et Blanc saccagent le match d’ouverture de l’Euro en l’emportant sur le pays hôte (2-1). Dans son premier discours de préparatio­n, Rehhagel avait usé de la métaphore du sac de boxe, assénant que son équipe n’avait pas vocation à être un sparring-partner. Ce premier match le conforte: un premier but, des premiers points et une première victoire historique en phase finale. La World Cup 94 n’est plus qu’un lointain souvenir, et l’hôtel initialeme­nt décrié par les joueurs ne pose plus problème, selon Giannakopo­ulos. “Nous sommes superstiti­eux, donc nous ne voulions plus bouger.” Un match nul contre l’Espagne (1-1) et une défaite

(1-2) contre une Russie éliminée plus tard, l’Ethniki doit cependant changer de camp de base: deuxième de son groupe, elle s’offre le droit de poursuivre l’aventure contre les champions en titre, la France de Zidane et d’Olivier Dacourt, tout surpris de retrouver son coéquipier de la Roma, Traianos Dellas, à ce stade de la compétitio­n. “Quelques mois plus tôt, avec Cassano, on se foutait de sa gueule: ‘Mais Traianos, qu’est-ce tu vas foutre à l’Euro? Tu peux déjà réserver ton billet de retour, le 22 juin tu es à Rome!’” Des mots que le natif du 9-3 va amèrement regretter en voyant Charistéas crucifier Barthez d’un coup de tête. Les Bleus sont éliminés (1-0). Froidement. “On a contrôlé tout le match, ils n’ont rien pu faire”, résume Zagorakis. Au coup de sifflet final, Dellas, lui, a d’autre chose à foutre que d’analyser la prestation de son équipe. Il cherche Dacourt pour lui souhaiter un bon voyage de retour. “Bon, Olivier, on dirait que c’est toi qui as un avion à prendre ce soir…” À l’image de tous ses coéquipier­s, la tour de contrôle romaine prend ce soir-là une confiance qui lui permettra notamment de dégoûter la République tchèque en demifinale, en inscrivant le seul but en argent de l’histoire du football dans un grand tournoi. “Le coup de tête de Dellas est probableme­nt le pire moment de ma carrière”, assure encore Pavel Nedved, toujours incapable d’expliquer comment ces Grecs au football minimalist­e ont pu se hisser jusqu’en finale.

La fin du sirtaki

On dit qu’un âne ne trébuche pas deux fois sur la même pierre. Il faut croire que ce n’est pas le cas des Portugais. Malgré la défaite lors du match d’ouverture, les amateurs de Super Bock se voient déjà fêter le sacre de la bande à Figo face à un adversaire davantage à leur portée qu’une Tchéquie débordant de talent et s’appuyant sur le Ballon d’or en titre (Nedved) et le meilleur scoreur de l’Euro (Baros). Une assurance digne d’un supporter français à l’Euro 2016, qui agace passableme­nt Scolari. La veille de la finale du 4 juillet, le Brésilien, prudent, rend d’ailleurs un vibrant hommage à son adversaire, “exemple parfait de la façon dont la force collective peut vaincre le talent individuel”. Cette recette est justement celle qui va faire monter les larmes de Cristiano Ronaldo et de tous ses compatriot­es le lendemain. Score final: 1-0, encore. La clim est énorme, tout comme la rage des puristes du beau jeu, dépités par le triomphe d’un football dépouillé de toutes considérat­ions esthétique­s. Cet Euro soulevé au pied-debiche, la Grèce ne l’a pourtant pas volé, selon le finaliste malheureux Jorge Andrade: “Quelle équipe c’était! Des guerriers. Ils étaient unis, solidaires, on avait l’impression de jouer contre une famille.” Il faut aussi noter qu’elle sera venue à bout du pays organisate­ur et grand favori par deux fois, du tenant du titre, et de la sélection la plus brillante. Dixsept ans après les faits, ces liens du sang remuent toujours autant les tripes du gardien grisonnant Antonios Nikopolidi­s. “Au coup de sifflet final, j’ai cru que mon coeur allait exploser, s’émeut encore le sosie officiel de George Clooney. Difficile de décrire le déluge d’émotions, mon esprit était vide, je ne saurais mettre des mots sur ça. Ma première pensée concrète a été pour mon père décédé. Il aurait été particuliè­rement fier de moi…” Moins par la suite, car à l’instar d’Icare, mort après avoir volé trop près du soleil, le football hellène n’a jamais su capitalise­r sur son exploit portugais. Les supporters grecs doivent aujourd’hui se contenter d’une sélection en ruine, absente des trois dernières grandes compétitio­ns internatio­nales. De quoi marquer un peu plus au fer rouge cette année 2004 comme la plus belle qu’ait vécue la Grèce depuis la fin de la dictature des colonels en 1974. Quand il replonge dans cette époque formidable, Gagatsis voit des émotions et une fierté qu’il n’a plus jamais retrouvées depuis l’apparition de la crise des subprimes. “Après notre victoire à l’Euro, nous avions disputé un match amical en Australie. Sur place, nous avions été reçus par le recteur grec de l’université de Melbourne. Il nous a dit: ‘Nos enfants sont fils d’immigrés de la troisième et quatrième génération. Avant le tournoi, ils disaient qu’ils étaient australien­s. Grâce à vous, ils sont fiers de dire qu’ils sont grecs.’” Reste désormais à savoir si Spike Lee roule toujours pour la

Selecção.

“QUELLE ÉQUIPE C’ÉTAIT! DES GUERRIERS. ILS ÉTAIENT UNIS, SOLIDAIRES, ON AVAIT L’IMPRESSION DE JOUER CONTRE UNE FAMILLE” Jorge Andrade, finaliste malheureux de l’Euro 2004

 ??  ?? Joga Mochito.
Joga Mochito.
 ??  ??
 ??  ?? “Excusez-moi, vous auriez du feu?”
“Excusez-moi, vous auriez du feu?”
 ??  ??
 ??  ?? “Et hop! Le noeud a disparu!”
“Et hop! Le noeud a disparu!”
 ??  ?? Victoire les yeux fermés.
Victoire les yeux fermés.
 ??  ?? C’est pas comme ça que vous serez pris en stop.
C’est pas comme ça que vous serez pris en stop.

Newspapers in French

Newspapers from France