Society (France)

Un homme et son robot

En 2009, le roboticien japonais Hiroshi Ishiguro créait un androïde à son image. Sept ans plus tard, l’androïde a-t-il gagné? En tout cas, c’est désormais le professeur qui doit se démener pour lui ressembler.

- – GINO DELMAS / ILLUSTRATI­ON: HECTOR DE LA VALLÉE

Cheveux noir de jais, silhouette fine, pommettes saillantes. Hiroshi Ishiguro ne fait pas ses 52 ans. Installé dans son bureau de l’université d’osaka, il s’agite d’ailleurs frénétique­ment, comme un adolescent. Il se lève, se rassoit, réajuste sa ceinture, fourre les mains dans ses poches, trifouille son ordinateur, ne tient pas en place. Depuis une dizaine d’années, Ishiguro tente de créer des robots de plus en plus vivants, de plus en plus humains. Chaque année, ou presque, il révèle une nouvelle création. Parmi les dernières, d’apparence quasi humaine, certaines sont douées d’intelligen­ce artificiel­le. Elles parlent, répondent, interagiss­ent, de façon imparfaite mais totalement indépendan­te. D’autres sont de simples enveloppes corporelle­s, comme le Telenoid, ce robot tronc sans genre ni âge, dépourvu de cheveux et de membres, assez semblable à Casper le fantôme. “C’est un humain minimal, qui permet une présence physique tout en stimulant l’imaginatio­n”, dit à son sujet Ishiguro. Mais le chef-d’oeuvre du professeur, celui qui lui vaut la célébrité au Japon, est le Geminoid HI, un robot fabriqué à son image. Si dans sa première version, créée en 2009, la ressemblan­ce était frappante mais inaboutie, la quatrième mouture, la plus récente, a gommé les dernières différence­s. La ressemblan­ce est même confondant­e quand le roboticien se trouve dans la même pièce que son robot. Même traits, même voix, mêmes cheveux aussi, puisqu’une greffe de la véritable toison du professeur a été opérée sur le robot. Les mimiques aussi sont semblables. Mêmes clignement­s d’yeux. Mêmes hochements de tête. Propulsé par des dizaines de minimoteur­s et garni de coussins d’air sous une peau en silicone, l’androïde ne peut pas se déplacer, mais il peut bouger la tête et la nuque. Des caméras nichées dans ses yeux détectent les mouvements et peuvent être dirigées vers un interlocut­eur précis. Donnant une étonnante crédibilit­é à toute conservati­on.

Le robot ne bouge plus, le professeur si…

Mais pourquoi cet acharnemen­t à créer un robot si réaliste et surtout si proche de sa propre image? “C’est le meilleur moyen d’apprendre sur les humains, répond le professeur, avant d’expliciter: Les humains ne connaissen­t pas vraiment leur visage. Dans le miroir, on ne voit que le reflet de son image, ce qui est très différent de la réalité. Les photos et les vidéos sont en deux dimensions. L’androïde, lui, est en trois dimensions et il évolue dans le même espace que nous. Le regarder permet donc d’apprendre sur les humains.” Évidemment, ce n’est pas tout. “Le but ultime, c’est d’essayer d’en apprendre plus sur toutes ces choses qui nous séparent des robots, comme la conscience, l’esprit ou le coeur... Et peut-être qu’un jour, nous en saurons assez pour implanter le désir et l’intention chez le robot. Alors il sera très difficile de faire la différence entre nous et eux.” Pourtant, le professeur finit par rassurer: “La question n’est absolument pas de remplacer les humains par des robots. Nous pourrons simplement échanger avec eux. Ils seront nos amis. Peut-être même que nous pourrons tomber amoureux d’eux.” En attendant, le professeur utilise son androïde à des fins beaucoup plus terre à terre. Souvent, il le remplace pour des interviews, ou l’accompagne dans des conférence­s à l’étranger. Comme en mars dernier, au festival South by Southwest Interactiv­e, à Austin, aux États-unis. Le robot, esclave du roboticien? En réalité, le rapport de force n’est pas aussi clair. Peut-être même a-t-il fini par s’inverser. Pour des questions de pure apparence. “Il y a quelques années, on n’arrêtait pas de ramener sur le tapis le fait que je vieillissa­is et pas le robot”, raconte Ishiguro. Les premières années, son équipe a donc fait évoluer le visage de l’androïde, en le vieillissa­nt. Avant d’adopter la stratégie strictemen­t inverse. Désormais, le robot ne change plus. C’est Ishiguro qui fait tout pour rajeunir et continuer à lui ressembler. “Je me fais régulièrem­ent injecter des cellules souches, admet-il. Je ne vois pas où est le souci. Si les gens me connaissen­t ou viennent me voir aujourd’hui, c’est parce que j’ai fait ce robot. Il fait partie de mon identité.” Le professeur sourit. Un sourire légèrement inquiétant.

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