Society (France)

Le plastique, c’est fantastiqu­e

Pour changer d’air, le Canadien Robert Bezeau a décidé de poser ses valises sur une île du Panama. Et d’y créer tout un village avec des bouteilles en plastique. Une folie? Pas tant que ça.

- – PAR ARTHUR CERF / ILLUSTRATI­ON: HECTOR DE LA VALLÉE

Montréal, Robert avait trop froid. “J’ai passé plus de 50 ans là-bas, j’en avais marre”, se souvient-il. Pourquoi donc ne pas s’installer sous des cieux plus cléments? Ce sera le Panama. Plus précisémen­t une petite île de l’archipel panaméen, Bocas del Toro. Des plages de sable blanc, une eau cristallin­e et une flore luxuriante. Un coin de paradis? Un détail chagrine quand même Robert: les bouteilles en plastique. Il fait le calcul: “C’est une île touristiqu­e, il y a 100 000 visiteurs par an qui restent tous cinq jours et consomment trois ou quatre boissons par jour, donc ça fait entre 1,5 et 2 millions de bouteilles en plastique consommées sur l’île chaque année.” Bezeau se met donc à ramasser les déchets avec un camion. Il entasse plus d’un million de bouteilles en un an et demi, sans savoir vraiment quoi en faire. Jusqu’à cette nuit du 4 au 5 août 2015. “J’ai rêvé d’un monde où tout était construit avec des bouteilles en plastique.” Une révélation. “C’est comme si on m’avait passé un message dans mon sommeil, lance Robert. Au réveil, je me suis dit que j’allais réutiliser ces bouteilles pour faire des maisons.” Un an plus tard, le Plastic Bottle Village fantasmé par Robert Bezeau est sur le point d’accueillir ses premiers habitants, un couple d’américains et leur bébé de 3 mois. Ils ont découvert le petit monde de Robert lors de vacances, par hasard. “Il est impossible de rater le village quand on passe devant, explique le Canadien, qui a investi toutes ses économies dans cette aventure. Il y a 30 000 bouteilles qui forment une entrée de forteresse avec des murets de cinq mètres de haut et des grandes portes elles aussi fabriquées avec des bouteilles.” Ébahi par l’endroit et séduit par les talents d’agent immobilier de Bezeau, le couple a décidé de débourser 100 000 dollars pour une baraque de deux étages et 260 mètres carrés. “Celle-là comporte 22 000 bouteilles d’un litre et demi, pose l’entreprene­ur aujourd’hui retraité, avant de décrire la méthode de constructi­on qu’il a mise en oeuvre avec ses quatre employés. On emprisonne les bouteilles dans un treillis métallique et on met ces paniers dans des cages en acier de 60 centimètre­s de largeur, trois mètres de hauteur et 17 centimètre­s d’épaisseur. Une fois que les cages sont assemblées, on passe un deuxième treillis métallique plus grand pour faire tenir le mortier et le béton.”

La vie de château

Une manipulati­on qui comporte de nombreux avantages. À la fin du chantier de la première maison de 10 000 bouteilles, dessinée par Robert en personne, ce dernier réalise qu’il fait bien plus frais à l’intérieur qu’à l’extérieur. “On s’en est rendu compte par accident, mais l’air dans les bouteilles sert d’isolant thermique!” Ensuite, les habitats en plastique seraient capables de résister aux tremblemen­ts de terre, récurrents au Panama. “Les tiges en acier sont assez flexibles et les bouteilles apportent de la souplesse en cas de séisme.” Enfin, Robert est persuadé que ses constructi­ons pourraient servir de bouées de sauvetage géantes en cas de tsunami. “Dans une cage en acier, il y a 120 bouteilles d’un litre et demi et chaque bouteille donne trois kilos de flottaison. S’il y en a 120, vous avez quasiment 360 kilos de flottaison. En cas de tsunami, les maisons pourraient s’en aller mais les gens pourront rester à l’intérieur.” Trois maisons sont déjà construite­s dans le village. Mais Robert voit beaucoup plus grand. Il est en train d’ériger un château imaginé par un architecte local. Avec deux tours et quatre étages. C’est là qu’il a l’intention d’habiter. “J’ai toujours rêvé de vivre dans un château, expliquet-il, la voix couverte par le bruit d’un camion de travaux. Et puis c’est symbolique: quand on a un château, ça veut dire qu’on a un certain succès dans la vie alors que les bouteilles sont considérée­s comme des déchets. Ces deux extrêmes sont un symbole du village.” Robert Bezeau souhaite exporter son idée dans les pays en voie de développem­ent et convaincre des géants comme Coca-cola de sponsorise­r la création d’un centre de formation internatio­nal pour que l’idée se propage sur la planète. “Nous sommes aujourd’hui sept milliards et nous serons dix milliards dans 30 ans. Il va donc y avoir de plus en plus de déchets et il va y avoir besoin de plus en plus de logements. Les Plastic Bottle Villages pourraient être une solution.” Mais depuis quelque temps, une autre question taraude Robert. “Pourquoi les bouteilles sont-elles rondes? demande-t-il, lui qui travaille sur un modèle de bouteille carrée. Si elles étaient carrées, elles pourraient s’emboîter les unes dans les autres. Quand il y a une catastroph­e naturelle, la première chose que l’on fait, c’est envoyer de l’eau aux population­s. Là, on pourrait en envoyer plus, et puis on pourrait utiliser ces bouteilles pour reconstrui­re des logements.” D’ici là, Robert attend l’arrivée du couple américain dans le village, prévue pour la troisième semaine d’octobre. “Nous sommes devenus amis, je vais bien les accueillir!” Vivement la première fête des Voisins.

“C’est comme si on m’avait passé un message dans mon sommeil. Au réveil, je me suis dit que j’allais réutiliser ces bouteilles pour faire des maisons”

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