Society (France)

L’enfance de l’art

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Il y a les dizaines de milliers d’exemplaire­s vendus, les deux disques d’or, le fameux spleen. Et avant ça, il y a aussi eu les jeunes années, durant lesquelles Ademo et N.O.S, les deux frères qui composent PNL, auront appris à se souder envers et contre tout. Story.

Si elle est installée dans le coeur de la ville, cette maisonnett­e-là a tous les airs de ces pavillons de clairière où le temps semble un jour s’être figé par ennui. Dans l’air flotte une odeur de bois d’automne qu’il faudrait jeter dans le feu de la cheminée ; les gros fauteuils sculptés craquent avec fracas lorsqu’on s’y assoit. Contre un mur, un petit autel composé de quelques bougies et d’icônes au visage craquelé. Et puis il y a ces livres poussiéreu­x, des feuilles cornées et des enveloppes froissées, dont celle frappée du sceau des “Oeuvres missionnai­res pontifical­es”, ou encore d’épaisses bobines de fil à coudre. À Orléans, non loin des bords de Loire, Madame Bernadette Petit vit tranquille­ment au milieu des choses de sa vie. Et malgré le bazar certain, cette amusante grand-mère qui porte les lunettes au bout du bout de son nez se présente comme “une très bonne classeuse d’archives”. La preuve, il lui faut à peine un instant pour dénicher cette fameuse lettre. Peut-être aussi parce que celle-ci lui est précieuse, à voir la délicatess­e dont elle fait montre en la manipulant. C’est une feuille d’écolier. L’écriture est appliquée. Celle de Nabil, un gamin sur lequel Madame Petit et son mari Albert, aujourd’hui décédé, ont longtemps veillé, tout comme sur le reste de sa famille, son père René et son frère aîné Tarik. Le courrier, daté du 19 février 2007, commence ainsi: “Cher Albert, merci pour votre lettre, et notamment pour les 100 euros que Bernadette et vous m’avez envoyés. Ce qui me permet d’économiser car j’ai l’intention de m’inscrire au permis.” Nabil et les Andrieu, puisque c’est comme ça qu’ils s’appellent, font partie de ces personnes qu’albert Petit, un ancien magistrat, avait croisées au gré de ses verdicts et qu’il avait décidé d’accompagne­r pendant le reste de leur vie parce que cette dernière pouvait être dure et épuisante. Avec les Andrieu, il y avait quelque chose en plus. Un lien du coeur.

“Une amitié forte et sincère”, dit Bernadette Petit. Elle a également gardé quelques lettres du frère de Nabil, Tarik. Elle dit qu’elles sont pleines de jolies rimes. Tous ces textes sont les reliquats d’une autre époque. Albert Petit est décédé il y a deux ans et son épouse n’a plus de nouvelles des gamins Andrieu depuis un temps qu’elle serait bien incapable de mesurer.

Aujourd’hui, Nabil est “N.O.S”. Son frère se fait appeler “Ademo”. Ils sont chanteurs. Les rappeurs formant ce duo dont on porte haut les couleurs ces saisons-ci. PNL. Pour “Peace N’ Lovés”. Bernadette Petit sourit, demande: “Et ils ont

un orchestre autour d’eux?” Non, ils n’ont pas d’orchestre, mais trois albums au compteur vendus à des dizaines de milliers d’exemplaire­s, deux disques d’or dont le dernier obtenu une

semaine après la récente sortie de Dans la légende et, bien sûr, des millions de fidèles sur les réseaux sociaux. Ils ont voyagé, aussi. En Corée du Sud, en Islande, en Namibie. Bernadette Petit se réjouit de ce succès. Elle a la voix qui tremble un peu: “Je suis heureuse qu’ils puissent exprimer leur talent. Ces garçons aspiraient à un idéal.”

L’histoire de Tarik et Nabil, d’ademo et N.O.S, de PNL, est une drôle de bobine qui, à l’inverse de celles que Madame Petit collection­ne, semble bien compliquée à démêler tant on ne sait rien. De leur vie intime, les deux rappeurs n’ont jamais pipé mot. Leur musique doit pouvoir parler pour eux, dit-on. Les textes, alors. Il y a la cité des Tarterêts, en Essonne. Un spleen éthéré. Et puis c’est tout. Comme si PNL n’était qu’une atmosphère de l’instant, vierge de toute histoire. Si la femme du juge Petit ne connaissai­t rien du succès d’aujourd’hui, elle sait en revanche tout de l’époque où les deux garçons n’étaient pas encore champions. Cette lettre, encore, datée du 19 février 2007. Madame Petit montre l’adresse de l’expéditeur. Brive.

“On ne savait pas d’où il venait”

La sous-préfecture de la Corrèze est une cuvette encerclée par un relief verdoyant qui rappelle la proximité du Massif central. C’est là, loin du “zoo”, comme les habitants des Tarterêts surnomment le quartier, sur cette terre où l’on aime le rugby et Chirac, que Tarik et Nabil ont passé une partie de leur adolescenc­e en compagnie de leur père. La famille Andrieu est installée le long de l’avenue Jean-alvitre – appelée “route de Bordeaux”–, qui court vers l’ouest. L’estavel, quartier tranquille, sans saveur particuliè­re. Une maison aux hauts murs gris et au toit de tuiles. En face, un petit institut de beauté, des bureaux d’entreprise et les lumières du Drop, un bar. Où l’on se souvient de gamins sans histoire ni faits d’armes notoires, qui “ne faisaient pas de bruit, ne traînaient pas avec les autres jeunes du quartier”. À Brive, la scolarité des frangins se déroule sans heurts. Inscrit en BEP électrotec­hnique au collège Cabanis de la ville, Tarik s’en va ensuite poursuivre ses études dans

“Je suis heureuse qu’ils puissent exprimer leur talent. Ces garçons aspiraient à un idéal” Bernadette Petit, qui les a soutenus adolescent­s

un lycée de Tulle. Tous les matins, il embarque dans la petite Clio de son camarade Guillaume qui récupère ensuite Jonathan et Tristan. Au lycée René-cassin, le jeune homme est un élève discret, qui suit sans rien dire les cours de son professeur principal, Christian Dufour. “Renécassin est un très bon lycée de campagne. Tarik faisait partie d’une classe de plutôt bon niveau, avec

une très bonne ambiance”, détaille aujourd’hui l’enseignant. On dirait qu’il est comme tout le monde, Tarik. À la pause du midi, il participe aux matchs de handball organisés dans la grande cour du lycée entre élèves et professeur­s ; il fume un peu en cachette et s’amuse à bourrer le mélangeur à peinture de la classe avec du papier pour faire naître un nuage de fumée. Il a bien quelques accrochage­s avec le professeur de physique, le terrible Monsieur Bousquet, qu’il repousse un jour après que ce dernier l’a attrapé par le col. Mais au fond, qui n’en a pas? Enfin, à y regarder de plus près, le garçon semble avoir ses différence­s. La dégaine, d’abord. Il a cette fichue manie de porter son sac sur l’épaule. “Et il avait aussi ce look banlieusar­d, avec son survêtemen­t dans les chaussette­s, sa casquette Lacoste”, dit son ancien camarade Jonathan Delpierre, aujourd’hui électricie­n à Brive. Pour le reste, c’est un garçon qui économise ses mots et ses gestes. Cédric Zahoui, un autre ancien de Cassin, se souvient d’un camarade “assez mystérieux”. “On ne savait pas d’où il venait. J’aurais pu croire qu’il était orphelin. Parfois, il parlait d’histoires de gangster pour dire qu’il n’était pas rigolo mais on ne faisait pas attention”, se rappelle-t-il encore. “Il était toujours un peu isolé. On aurait dit que quelque chose le taraudait, mais il n’en parlait pas”, note Déborah, une amie du lycée qui, désormais, tient la caisse du magasin But de Tulle. À Brive, au lycée Danton, établissem­ent du centre-ville organisé autour d’une jolie cour champêtre, Nabil effectue, lui, une terminale STG spécialité “Mercatique, commerce et management”. Au même titre que son frangin, on se souvient d’un garçon sans fard, celui qui écoute les blagues, mais ne renchérit pas. “C’était quelqu’un qui observait, qui guettait, toujours en retrait”, décrit l’un de ses anciens camarades. Il est ce garçon qui, dans sa lettre adressée au juge Petit, semble se défier de tout. “Le monde en général me semble hypocrite et chacun ne marche qu’à l’intérêt, écrit-il. Ainsi, malgré mon jeune âge, je me méfie de chacune des personnes de mon entourage.” Dans les vestiaires des différents clubs de football qu’il fréquente à l’époque, notamment l’étoile Sportive Aiglons de Brive, la meilleure formation des alentours à l’époque, il ne se fait pas non plus remarquer. “Il avait toujours ce sac sur l’épaule, silencieux.

Il venait, jouait et repartait”, raconte Romain Bramat, qui joue encore pour L’ESA. Sur le terrain, c’est un élégant milieu qui compte quelques sélections en équipe de Corrèze. Des matchs qui permettent à son coéquipier Cédric, le camarade de Tarik au lycée Cassin, de constater que les Andrieu ne sont pas seuls. Pour chacun des matchs de L’ESA, il est là, supporter du seul Nabil, aboyeur de terrain et de tribune sans adversaire. Le père, René Andrieu.

Un bonhomme à la tignasse, les sourcils et le cuir de son blouson noirs comme la terre du maquis corse où il a grandi. Un personnage indissocia­ble de l’histoire de ses deux fils. De fait, si Tarik et Nabil ont traîné leurs baskets à Brive, c’est parce qu’il fallait suivre René et les sillons de son parcours. Avant la Corrèze, il y a eu Corbeil-essonnes, cette ville trop lointaine de Paris pour profiter pleinement de son dynamisme, mais trop banlieusar­de pour se suffire à elle-même. C’est aux abords de l’autoroute, dans la cité des Tarterêts, que Tarik et Nabil passent leurs premières

années. “C’était un quartier sans arbre ni magasin, mais plein de

sourires”, dit Bernadette Petit, qui s’y est rendue au début des années 90 pour voir la famille Andrieu. On y tire la gueule, aussi. À l’époque, le taux de chômage ne s’aventure jamais trop en dessous de la barre des 30%. Des voitures brûlent et des jeunes saignent. Tarik et Nabil vivent avec leur seul père dans une HLM, après que leur mère a disparu de la circulatio­n. Les temps sont tristes. René Andrieu écrit souvent au juge Petit. “C’était un homme qui souffrait. Il était seul avec ses fils. Ses courriers étaient pleins de désespoir.

Il demandait de l’aide”, pose Bernadette Petit. Rien ne semble alors avoir changé depuis ce jour où le couple Petit croisait pour la première fois la route d’andrieu, braqueur repenti. Dans les rues des Tarterêts, René Andrieu se débrouille toujours pour avoir fière allure. Ses huit années passées à la maison d’arrêt de Poissy en font un personnage incontourn­able de la vie des alentours. À cette époque, le juge Petit l’aide à monter l’associatio­n Tarterêts 2000, qui accompagne les personnes les plus démunies du quartier. René Andrieu organise des collectes alimentair­es, débarrasse des vieux locaux à poubelles et y installe des téléviseur­s et des magnétosco­pes pour les gamins du coin. “Il avait cette image d’homme extraordin­aire

qui faisait tout pour aider”, détaille un autre connaisseu­r de l’histoire de la ville.

1995: l’avionneur Serge Dassault décide de partir à l’abordage de Corbeil, au nez et à la barbe de la vieille équipe communiste en place depuis belle lurette. Si le fils de Marcel dispose de fonds conséquent­s pour porter sa campagne, son arrivée en ville souffre de quelques trous d’air. Ainsi, aux Tarterêts, on se fiche bien de lui. Un jour de visite, une pierre lancée d’un toit lui écorche même le

“Je me pose souvent la question: comment faire pour que chacun trouve le bonheur? Y a-til une solution? Ou bien alors seule la loi du plus fort dirige le monde?” N.O.S, dans une lettre

crâne. “Dassault avait besoin de s’implanter dans les quartiers sensibles, alors il s’est approché de quelques têtes brûlées”, dit-on. Parmi elles, René Andrieu. En échange d’un coup de pouce financier à Tarterêts 2000, mais aussi d’une Toyota flambant neuve pour l’associatio­n, Andrieu est chargé de faire en sorte que le quartier prête allégeance à l’homme d’affaires. Ce sont là les premières pierres de ce que l’on appellera bientôt “le système Dassault”, un vaste réseau de financemen­t informel visant à acheter la paix sociale et asseoir le pouvoir de Serge en ville, notamment dans ses cités. Un machin ubuesque fait de passe-droits, d’emplois fictifs et de valises de billets distribuée­s pour, selon les uns, “aider les Corbeil-essonnois”, et d’après les autres, “acheter leurs voix”. Avec ses effets: pneus crevés, élus frappés, gamins agités envoyés se calmer aux Jeux olympiques d’atlanta –mais qui revenaient avec des t-shirts frappés du sigle “Nique le maire”. S’il est condamné quelques mois pour trafic de stupéfiant­s, René Andrieu obtient rapidement un poste d’éducateur spécialisé au sein d’une nouvelle structure municipale. Il se proclame volontiers “maire des Tarterêts”. En 2001, Serge Dassault est réélu à la tête de la ville. Pourtant, René Andrieu doit soudaineme­nt décamper. Partir des Tarterêts. Quitter Corbeil-essonnes. C’est l’histoire d’une brouille que les années n’ont pas contribué à éclaircir. Il y a ceux qui expliquent simplement que René Andrieu s’est pris le bec avec ses collègues éducateurs. Et puis il y a ceux qui font surgir l’hypothèse d’un règlement de comptes. Un rival d’andrieu dans les petits papiers de Dassault qui aurait voulu se débarrasse­r de lui d’un coup de feu, pour toucher un peu plus du magot du vieil homme. Quoiqu’il en soit, René Andrieu s’en va et embarque avec lui Tarik et Nabil. Direction la Corrèze, où il dispose de quelques attaches familiales.

“Oh, cela a dû leur faire bizarre de débarquer ici,

sourit Déborah, la camarade de Tarik période électrotec­hnique. Je pense qu’ils ne devaient pas être contents d’être là. Ce n’était pas chez eux.”

Ce déracineme­nt subi et la nécessité de se recréer des habitudes à l’aube de l’adolescenc­e semblent miner les frères Andrieu. Nabil, dans sa lettre: “Je me pose souvent la question: comment faire pour que chacun trouve le bonheur? Y a-t-il une solution? Ou bien alors seule la loi du plus fort dirige le monde? (…) Aujourd’hui, il est dur d’avoir foi en quelque chose, que ce soit la justice, l’égalité, la confiance, l’amitié, l’amour, ou même Dieu. Les temps sont tellement durs.” Pour Nabil et Tarik, la solution est évidente. Les deux garçons rêvent d’en terminer avec leur exil. Ce qu’ils veulent, c’est retrouver les Tarterêts. “Pour Tarik, Brive n’était qu’un terrain de bouse, résume en

souriant Jonathan Delpierre. Il n’y avait que les Tarterêts qui comptaient. Je me souviens qu’il parlait toujours de la guerre avec la cité des Pyramides! Il voulait y retourner coûte que coûte.” “Évidemment qu’ils n’avaient rien à faire à Brive! De toute façon, à part le bowling, il n’y a rien ici”, lâche encore Cédric Zahoui. Cela devait donc arriver: un jour, les garçons sont repartis là-haut. D’abord Tarik, puis Nabil quelque temps plus tard. En Corrèze, les deux frères sont partis comme ils étaient arrivés: sans prévenir. Ils étaient là un jour, et le lendemain, ils disparaiss­aient. Aux alentours, personne ne s’est ému de ce départ soudain puisque, en vérité, personne ne l’a remarqué. Comme si Brive, l’avenue Jean-alvitre, l’étoile Sportive, le lycée Cassin et toutes ces choses attachées à la région n’avaient, en fin de compte, jamais existé.

“Évidemment qu’ils n’avaient rien à faire à Brive! De toute façon, à part le bowling, il n’y a rien ici” Cédric Zahoui, un ancien ami

Retour à Corbeil

Le 24 janvier 2013, Nabil Andrieu se connecte sur son compte Facebook et poste un surprenant message. “Pour ceux qui m’ont demandé l’adresse: Maison d’arrêt de Fleury-mérogis. 7, Avenue des peupliers. 91705 Sainte-geneviève-des-bois. Détenu: Andrieu Tarik. Num d’écrou: 400 362. Bâtiment D2.” Il n’aura donc fallu que quelques années après leur départ de Corrèze pour que ce “zoo” qui leur manquait tant ne s’occupe de rattraper les frangins Andrieu. Ces derniers étaient pourtant revenus sur la terre de leurs premières amours pour y poursuivre cette vie normale apprise dans l’ennui de Brive. Le baccalauré­at en poche, Tarik s’était dégoté un poste à la SNCF. Nabil, lui aussi bachelier, avait démarré des études de commerce dans un IUT de l’ouest parisien. Les deux frères avaient vécu un temps chez leur grand-mère paternelle, à Ivry-sur-seine, avant de reprendre leurs quartiers aux Tarterêts lorsque leur père s’était lui aussi décidé à revenir. Le “zoo” n’a pas vraiment changé depuis toutes ces années, et Tarik et Nabil ont eu tôt fait de s’inspirer de ce qui en fait la chair: la vie fraternell­e d’un hall à l’autre et partout ailleurs, du “pont de Tarzan” à la “rue de la mort” en passant par le “stade rouge”, cet argot que l’on maîtrise seulement si l’on est du coin, les “bazizaaouu”, “CLF”, “STEN” ou le fameux “Igo” dérivé d’“amigo”. Il y a surtout cette bande, ces frères de coeur qui s’interpelle­nt par pseudonyme­s –Ilinas, S-pion, Spike la Pioche et les autres– et avec lesquels ils ont passé un pacte. Ils réussiront ensemble, ceux qui rappent et ceux qui les soutiennen­t. Un “tope-là” qui n’est pas encore “Que La Famille” mais qui dure jusqu’à aujourd’hui. En attendant le succès, la troupe grandit comme on pousse aux Tarterêts, entre petites magouilles de sous-sol et go fast pour l’espagne. À Fleury-mérogis, Tarik purge une peine de plusieurs mois pour trafic de stupéfiant­s.

Dans cette affaire, il est défendu par Damien Brossier, l’avocat dont il faut avoir croisé la route pour pouvoir se réclamer du “zoo”.

Pour le reste, le quartier, la ville tout entière même, ont pris ces dernières années les airs lugubres d’un terrain miné. Serge Dassault a jeté tellement de billets pour se maintenir à la tête de l’hôtel de ville que le butin a fini par faire tourner les têtes. Corbeil est un far west. “J’ai assisté à une attaque de diligence en bas des Tarterêts”,

se souvient un observateu­r averti du système Dassault. Affronteme­nts, rackets, attentats: il y a eu tellement d’argent distribué que les jeunes sont

devenus fous.” Le 10 novembre 2012, René Andrieu franchit les portes du bureau corbeilloi­s de Serge Dassault –qui n’est plus maire mais continue de présider aux destinées de la ville– accompagné de son ami boxeur Fatah Hou. Le premier s’est muni d’une petite caméra achetée dans un magasin chinois à Paris, qu’il a dissimulée dans l’une de ses poches. L’enregistre­ment de la conversati­on, qui sera divulgué dans Le Canard Enchaîné, puis en intégralit­é dans Le Journal du Dimanche, résume à lui seul ce grand foutoir qu’a été le règne de Dassault à Corbeil. On y entend notamment Andrieu et Hou estimer “ne pas avoir été payés” pour services rendus à l’occasion de la dernière campagne municipale. L’ancien maire répond qu’il a “tout donné à Younès”. Younès Bounouara, son homme lige sur le marché des Tarterêts, qui a touché 1,7 million d’euros déposés sur un compte au Liban. Mais c’est quelques minutes plus tard que René s’énerve, quand Serge Dassault lui conseille de se chercher un travail. “Travailler? Vous vous foutez de moi? Mon fils, au bout de quatre années d’école de commerce, il est obligé d’arrêter parce qu’il a pas les moyens de payer son école de commerce, et vous me dites de travailler?” Trois mois plus tard, le 19 février, le fameux Younès Bounouara dégaine son 357 Magnum et l’emploie à deux mains, devant témoins. Midi vient de sonner dans les rues de Corbeil. Fatah Hou est grièvement blessé au dos et à l’épaule. René Andrieu évite les balles. Comme il le confiera en mai dernier lors du procès de Bounouara, où on l’entendra comme partie civile, Andrieu a alors vu Fatah Hou “partir sur le côté”. “Je lui ai dit: ‘Ne ferme pas les yeux.’ J’ai appelé les pompiers, j’ai dit: ‘Blessé par balles!’ Ils m’ont mis en attente.

J’ai dit: ‘On y va.’ On est rentrés carrément dans les urgences avec la voiture.”

De cette vie mouvementé­e, Tarik et Nabil ont hérité d’un code, qu’ils ont résumé en un slogan: “Que La Famille”. QLF, le cri de guerre de PNL: l’honneur, la parole donnée, la famille comme cellule de base. Des thèmes qui ont, très tôt, nourri les premiers couplets, balbutiés sur des bancs de Corrèze. À l’époque, lorsque Nabil confie son spleen au juge Petit, Tarik le couche dans des petits carnets, comme il a vu Eminem le faire adossé à la vitre d’un bus dans le film 8 Mile. Au lycée René-cassin, il ne fréquente que ceux qui, comme lui, grandissen­t avec du rap français dans les oreilles. Abdellah, Guillaume, Cédric ou Déborah. “Soprano, Psy 4, Sinik, énumère cette

dernière. Tarik était toujours en train de chanter, de fredonner un truc.” Tarik enregistre des cassettes et participe même à une scène ouverte sur la place de La Poste à Tulle. “Il était convaincu qu’un

jour, il deviendrai­t un rappeur.” À Corbeil, la scène locale est restreinte, sous-estimée par les maisons de disques et les radios parisienne­s. C’est entendu: là-bas, on ne rappe pas. Un autre habitué de la politique corbeil-essonnoise croit déceler ici une nouvelle conséquenc­e du règne de Serge Dassault. “C’est comme si pendant dix ans, la jeunesse de la ville s’était structurée autour de la possibilit­é de ramener de l’argent au moment des élections. C’est une génération perdue: il n’y a pas eu de footballeu­rs

ni d’artistes à Corbeil. Que des guerres.” Ceux qui cravachent au micro se comptent sur les doigts d’une main. Ils enregistre­nt dans ce petit studio des Tarterêts financé avec l’argent du vieil homme. Et lorsque le local se fait braquer, il faut migrer vers le centre-ville, au Block Studio. Quelques mètres carrés dans le sous-sol de la maigrichon­ne rue commerçant­e de Corbeil, une table de mixage, une machine à café, un ensemble canapé-fauteuil en simili cuir et, debout au centre de la pièce, le maître des lieux, en lunettes et pull à col roulé, Lexos. Il dit: “J’ai enregistré tous les Tarterêts.” Le premier d’entre eux, Farceur, un jour d’octobre 2011. Puis les autres ont suivi. Vingt euros l’heure de studio, 30 avec le mixage. Parmi eux, Ademo et N.O.S. Leur production est à mille lieues de ce qui fait le sel de PNL aujourd’hui. C’est un rap

sec, sans fioriture, asséné méthodique­ment. “J’ai travaillé avec N.O.S, reconstitu­e Lexos. La première fois, c’était un dimanche matin, vers 10h, il revenait d’espagne et n’avait pas dormi de la nuit, mais il voulait poser son texte. C’était un client comme un

autre.” En novembre 2011, Nabil se lance enfin sur scène, adossé à l’alias N.O.S. Voici qu’il présente “365 jours pour percer”, un projet habilement marketé, avec ses pages Facebook, Twitter et Skyblog, et ce calendrier prévu pour publier au fil de l’année les différents titres de l’album. Au même moment, alors que Tarik s’apprête à connaître l’ombre de Fleury-mérogis, PNL et le mantra QLF existent déjà, mais n’ont pas encore franchi les frontières de l’essonne. Cinq ans plus tard, PNL est disque d’or. Au sommet avec, en prime, un gigantesqu­e panneau affichant leurs visages au-dessus d’une voie rapide parisienne. Quant à la question de leur Everest personnel, de la quête de ce bonheur que René a toujours souhaité pour ses enfants, et que ces derniers n’ont aujourd’hui de cesse d’interroger de manière lancinante dans leur musique, il n’y aura pas d’autre réponse que celle offerte par le silence. Pour le moment. À moins que, tout compte fait, cette réponse se trouve finalement dans cette lettre rédigée un jour d’hiver, il y a presque dix ans. Nabil avait 17 ans et plus vraiment la candeur des gens de son âge. “Même si nous venions à nous en sortir, cela ne changerait pas le ‘visage’ du monde, écrivait-il ainsi. Les gens sont de plus en plus froids. À croire que nos coeurs se glacent. J’ai l’impression de vivre chaque jour dans le passé, nostalgiqu­e d’une certaine époque, je ne me vois

sombre.”• pas dans l’avenir qui m’a l’air si TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR PB ET RM

 ?? PAR PIERRE BOISSON ET RAPHAËL MALKIN ??
PAR PIERRE BOISSON ET RAPHAËL MALKIN

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