Sociologue de combat

Il aura fallu un seul livre à Alice Goffman, 34 ans, pour à la fois redorer le blason de la sociologie et y susciter la controverse. On the Run, Fugitive Live in an American City (En fuite, vie fugitive dans une ville américaine, non traduit en français) est l’aboutissement d’un travail de terrain entamé lors de sa deuxième année de fac à l’université de Pennsylvanie. Goffman a alors 22 ans et emménage dans une banlieue noire de Philadelphie. Elle y découvre une vie quotidienne devenue, pour ses colocataires Chuck et Mike, et pour tous les jeunes du quartier, une cavale. Alice Goffman consigne méthodiquement dans ses carnets ce qu’elle voit et entend: les raids de policiers, les allers-retours en prison, ces pères de famille qui préfèrent manquer la naissance de leurs enfants plutôt que de se rendre à l’hôpital, où ils ont peur de se faire arrêter. On the Run a été salué par la critique et a affolé le monde intellectuel. On a dit qu’alice Goffman, fille d’erving, lui-même grand sociologue, se serait payé un frisson chez les pauvres avant de tranquillement retourner à son confort. Et qu’elle aurait déprécié la rigueur académique en plongeant trop profond dans son sujet, comme en témoigne la scène finale du livre: au volant d’une voiture, Alice conduit Mike sur les traces de l’assassin de son second colocataire, Chuck, elle-même envahie “jusqu’aux os” par le désir de vengeance. Sans doute parce que On the Run est aussi bien plus qu’une thèse de sociologie. C’est le récit littéraire d’une immersion dans une communauté –sa manière de parler, de vivre, sa relation aux institutions– et la chronique de deux échecs de l’amérique: la guerre contre le crime et celle contre la drogue. Alice Goffman dit aujourd’hui qu’elle voudrait “démolir les prisons” et qu’elle entame l’écriture d’un second ouvrage. L’amérique aurait-elle trouvé sa nouvelle mauvaise conscience?