Society (France)

“Il y a deux Amériques qui vivent dans deux univers différents”

Comment les États-unis sont-ils devenus les États désunis? Qu’est-ce qui fait qu’un électeur de Donald Trump et un soutien d’hillary Clinton semblent voués à ne plus jamais se réconcilie­r? Et pourquoi Obama n’a-t-il pas tout changé? L’écrivain George Pack

- PAR HÉLÈNE COUTARD, À NEW YORK / PHOTO: STACY KRANITZ

Peut-on parler d’une crise de confiance des Américains? Oui, et je pense qu’on peut la dater: cela a commencé avec la seconde guerre en Irak. Ce conflit n’a pas été seulement un échec individuel pour les dirigeants du pays, mais un échec global pour les États-unis. Les médias aussi ont échoué, ils n’ont pas posé les bonnes questions. Le résultat, c’est que les gens ont perdu confiance dans le pays et ses institutio­ns. Ils se sont aperçus que leur pays se foutait d’eux. Parallèlem­ent, vers 2008, les banques, l’immobilier, tout s’est mis à dégringole­r d’un coup. C’est là qu’est né ce que j’appelle l’unwinding process: le sentiment que les gens s’éloignent les uns des autres, de la société, qu’un certain contrat social est en train de se briser. Avant le 11-Septembre, ce pays avait déjà connu au moins trois grands événements qui avaient mené à un changement de la société: il y a eu la création des États-unis, la guerre civile et la crise financière de 1929. À chaque fois, le gouverneme­nt et les institutio­ns avaient eu des réponses –bonnes ou mauvaises– aux questionne­ments engendrés par les événements. Mais aujourd’hui, c’est comme si le public ne croyait plus au pouvoir du gouverneme­nt ou à ses décisions.

Pourquoi Obama n’a-t-il pas su faire face à cette crise de confiance? Je pense que les présidents qui ont vraiment changé l’amérique sont au nombre de deux: Roosevelt et Reagan. Roosevelt a créé l’état moderne. Les grandes transforma­tions du pays, c’est lui: le New Deal, le contrat social. Puis est arrivé Reagan, qui s’est détourné de cela en faisant la promotion du libre marché, qui est une idéologie très forte ici. Quand Obama a été élu, on pensait qu’il allait, lui aussi, orienter le pays vers une nouvelle direction. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Et je crois que ce n’est pas uniquement de sa faute. D’abord, le Parti républicai­n est nihiliste. Les républicai­ns ont voulu détruire chacun de ses efforts –y compris pour résoudre la crise économique–, et faire de sa présidence un échec, quel que soit le prix à payer. Dans notre système démocratiq­ue, l’opposition a beaucoup de pouvoir. Il existe ici le filibuster: c’est une obstructio­n parlementa­ire, une règle qui autorise une minorité du Sénat à bloquer une loi. Les républicai­ns l’ont beaucoup utilisée contre Obama, c’est devenu une habitude. Autrement dit: aux États-unis, si vous ne pouvez pas gagner une élection, vous pouvez toujours en ruiner une. À côté de cela, Obama lui-même n’avait peut-être pas assez d’expérience pour convaincre le Congrès. Et il a probableme­nt été trop gentil avec Wall Street, aussi. En 2009, les gens étaient très remontés contre les banques, Obama aurait pu faire quelque chose, mais il s’est contenté de dire: ‘Ne vous inquiétez pas, on va vous remettre sur pied.’

“Les célébrités deviennent nos politicien­s. À ce compte, en 2020, Kanye West risque de se présenter à la présidenti­elle”

Est-ce la fin du fameux rêve américain? Si vous entendez par ‘rêve américain’ la volonté d’améliorer ses conditions de vie, qu’importe d’où l’on vient, et de souhaiter une vie meilleure à la génération suivante, alors la société américaine regorge encore d’exemples correspond­ant à cet idéal. Ici, on peut avoir une deuxième chance, changer de vie, repartir de zéro. Mais il y a parallèlem­ent beaucoup de gens qui sont devenus très pessimiste­s et qui pensent qu’en réalité, cela n’est plus possible. Que leurs enfants auront forcément des conditions de vie pires que les leurs. Et ils ont des arguments. Par exemple, la sécurité sociale a toujours été plus faible aux États-unis qu’en Europe. Mais avant, c’était compensé par une économie forte et un taux de chômage faible. Aujourd’hui, la sécurité sociale est toujours faible, mais beaucoup de gens, même en ayant deux ou trois boulots, n’arrivent pas à faire vivre leur famille correcteme­nt. C’est bien le signe qu’il y a un problème. C’est de ce sentiment que vient le dicton ‘The game is rigged’ –‘Le jeu est truqué’–, que Trump utilise beaucoup. Les gens pensent qu’en effet, les règles du jeu de la vie sont faites pour que les élites s’entraident, mais que rien n’est fait pour le peuple. Et même si Trump fait lui-même partie de ceux qui profitent de ce jeu truqué, quand il leur dit: ‘Make America

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