“Les Américains ont toujours été inquiets de leur déclin”

Ancien sous-secrétaire d’état du président Carter, inventeur du concept de Joseph Nye est professeur en relations internationales à Harvard. Il est l’auteur récent d’un ouvrage remarqué, dans lequel il dissipe les doutes: non, l’amérique n’est pas près de

Is the American Century Over?, soft power,

Donald Trump fait sa campagne sur un supposé affaiblissement de l’amérique à l’international. Partagez-vous ce constat? Le thème d’une crise de confiance américaine n’est pas nouveau. On peut même dire qu’il remonte à la création du pays. Les WASP sont venus ici car ils pensaient pouvoir vivre leur religion et honorer leur Dieu de façon plus pure qu’en Europe. Autant dire qu’ils se sont fixé un objectif inaccessible, qui porte en lui l’angoisse de ne pas réussir. Et depuis, en effet, les Américains ont toujours été inquiets d’un éventuel déclin. Le pays a toujours connu des périodes où il pensait que sa façon de vivre était menacée, notamment au niveau international. Les Américains ont un temps pensé que les Russes allaient les détrôner. Puis les Japonais. Souvenez-vous des années 80. Le Japon était alors un pays très prometteur, avec une industrie florissante. Et c’est un fait, il est devenu un pays riche et une société confortable. Mais un concurrent des États-unis? Le Japon n’a jamais eu la même influence internationale que les États-unis, notamment, évidemment, parce qu’il n’a pas de pouvoir militaire.

La Chine n’est-elle pas en passe de devenir un concurrent sérieux? La Chine s’est beaucoup développée ces dernières années, et en termes de ressources, le pays pourrait se rapprocher des États-unis. Mais cela ne signifie pas que la Chine pourrait devenir le pays le plus puissant du monde. Le PIB chinois est d’environ douze milliards de dollars, alors que celui des Étatsunis s’élève à presque 19 milliards de dollars. Leur budget militaire est très faible, c’est à peine un quart du budget américain. Et surtout, vous noterez que le soft power américain marche très bien en Chine, et en Asie plus globalement. Si vous demandez à un étudiant chinois où il veut étudier dans le monde, il vous répondra probablement aux États-unis. C’est un signe que la puissance américaine est toujours la plus forte.

Qu’est-ce que le soft power américain? Il existe trois façons d’avoir du pouvoir. La première, c’est d’utiliser la force. La deuxième, c’est d’utiliser une récompense, généralement de l’argent. Et la troisième, c’est de faire en sorte que l’autre veuille la même chose que vous. C’est précisément ce que j’appelle le soft power. C’est un pouvoir d’attraction. La culture du pays peut jouer sur son pouvoir d’attraction. La France en bénéficie, par exemple. Et les États-unis encore plus. Des enquêtes effectuées en Amérique latine, en Afrique ou en Asie montrent que le soft power américain est aujourd’hui encore l’un des plus puissants. Je crois que l’immigration joue pour beaucoup là-dedans. Nous sommes un pays de migrants, et d’ailleurs, l’immigration permet à la population américaine de continuer d’augmenter, alors que les populations des pays développés ont plutôt tendance à baisser. C’est une force saine. Et plus il y a de gens qui veulent venir en Amérique, plus il y en aura. Quand ces gens ont en outre une famille, des amis, dans leurs pays d’origine, cela crée une connexion supplémentaire qui joue aussi sur l’attraction du pays.

Il y a des pays où les États-unis sont détestés… Oui, notamment au Moyen-orient. Il faut admettre que depuis la guerre en Irak, le soft power américain diminue dans ces régions. Mais il faut aussi préciser que la façon dont les gens perçoivent l’influence américaine est en réalité fausse depuis le début.

C’est-à-dire? On a pu parler d’un ‘siècle américain’. Une période qui démarre en 1944, avec l’entrée des troupes américaines dans la Seconde Guerre mondiale. À ce moment-là, les États-unis sont devenus le pays le plus puissant du monde. Ils avaient déjà l’économie la plus puissante depuis environ 1900, mais après la guerre, l’amérique a décidé de rester sur le sol européen,