Manège d’enfer
Il y a quatre ans, Marie* montait dans Space Mountain. Elle n’en est jamais vraiment redescendue. Depuis son tour de montagnes russes à Disneyland Paris, la jeune femme est constamment prise de vertiges. Déclarée travailleuse handicapée, elle a failli per
Dans le cabinet de Maître Cyril Bouchaillou, à Laon, dans l’aisne, les anciens fauteuils moelleux ont été remplacés par des chaises rigides. Moins élégant mais nécessaire pour Marie, l’une de ses clientes. La jeune femme avait à peu près tout pour être heureuse. Cadre dans une grande banque française, sportive, mère d’un petit garçon. Mais il a suffi d’un banal tour de manège pour que tout déraille. En 2013, la jeune Laonnoise, alors âgée de 23 ans, passe une journée à Disneyland avec un ami. Sur place, ils essayent Space Mountain, des montagnes russes d’un kilomètre qui propulsent les visiteurs à 75 km/h dans des loopings à sensation forte. Une des attractions les plus prisées. Mais trois minutes d’enfer pour Marie, qui sent sa tête claquer plusieurs fois contre les arceaux. Prise de violents vertiges à l’arrivée, elle est si mal en point qu’un employé doit l’aider à sortir du manège, avant qu’un sapeur-pompier ne soit appelé en renfort. Deux ans de souffrance plus tard, Marie trouve une réponse médicale à ce mal qui lui cause pertes de l’équilibre, nausées et cette impression de tanguer en permanence. Un médecin ORL du Centre d’explorations fonctionnelles oto-neurologiques Falguière (CEFON) lui diagnostique un “mal du débarquement”, courant chez les marins qui reviennent sur la terre ferme après de longues expéditions. Les cils qui retenaient les cristaux assurant l’équilibre ont été arrachés. L’oreille interne de Marie est touchée de manière irréversible. Prévenu du drame, Disneyland Paris a proposé en 2015 une indemnité de 29 950 euros. Marie a remis son RIB à sa compagnie d’assurance et attendu. Mais l’argent n’est jamais arrivé. Après avoir enchaîné les arrêts maladie et failli perdre son travail, Marie est aujourd’hui officiellement reconnue comme travailleuse handicapée. Sa vie, dit-elle, est devenue un enfer. Elle ne peut plus porter son fils, de peur de tomber et de le blesser. Elle ne peut plus non plus mettre de talons ni de jupes. Même ses rapports avec sa famille se sont dégradés. “Elle est devenue assez irritable”, explique son avocat. Sur le plan mental, Marie a aussi pris un coup. Dernière déception en date: “On lui a proposé d’aller au ski là, mais elle ne peut pas”, rappelle son avocat. Une pause, puis il rappelle: “Elle n’a pas encore 30 ans!”
Un enjeu de santé publique?
Cyril Bouchaillou l’admet volontiers: il est “un peu en colère”. Contre Disneyland, qui n’a jamais versé l’indemnité, et a même accusé sa cliente d’avoir elle-même demandé l’argent. “D’abord, ils prétendent attendre des expertises médicales –alors qu’ils ont le courrier du médecin ORL– et maintenant, ils expliquent que c’est elle qui a demandé l’indemnité. Mais c’est impossible!” Pour l’avocat, si du côté de Disney –qui n’a “rien à dire”– on a brutalement changé d’avis, “c’est parce qu’ils pensaient que la victime allait baisser les bras”. Mais Maître Bouchaillou est un personnage pugnace. Le 22 mars prochain, il saisira le juge des référés à Meaux, en Seine-et-marne, pour demander une expertise médicale complète, afin de chiffrer précisément les indemnités à demander à Disneyland. Il argue que sa cliente a besoin de fonds conséquents pour aménager sa maison et adapter sa voiture à son handicap. Ensuite? Il se réserve le droit d’attaquer le parc d’attraction en justice. “Je ne ferme pas la porte”, prévient-il. Le médecin ORL qui a examiné la jeune femme rapporte en effet recevoir tous les ans des patients se plaignant de leur passage dans Space Mountain. Près d’une centaine, selon Cyril Bouchaillou. Qui conclut: “Il y a peut-être un enjeu de santé publique.”