Society (France)

Dernière danse.

Le 19 janvier dernier, à l’aube, un corps était retrouvé calciné dans une Honda Civic au bord d’un chemin en terre à Saquarema, à une centaine de kilomètres de Rio de Janeiro. Pas n’importe quel corps: celui de Loalwa Braz, la chanteuse de La Lambada. Que

- PAR AMÉLIA DOLLAH ET LÉO RUIZ, À SAQUAREMA / ILLUSTRATI­ONS: CHARLOTTE DELARUE POUR SOCIETY

Le 19 janvier dernier, à l’aube, un corps était retrouvé calciné dans une Honda Civic au bord d’un chemin en terre à Saquarema, à une centaine de kilomètres de Rio de Janeiro. Pas n’importe quel corps: celui de Loalwa Braz, la chanteuse de La Lambada. Que s’est-il donc passé?

La sonnette ne fonctionne pas. Au numéro 3333, le portail bleu, agrémenté d’un fil barbelé sur sa partie basse, est solidement cadenassé. De l’autre côté, la petite cabine d’accueil est vide et éteinte. Sur un mur est fixée une plaque de rue française, dont on peut lire le nom: “Boulevard de l’espérance”. Pour se faire entendre, il faut crier. Plusieurs fois. Puis Amilton, torse nu, finit par s’approcher. Installé avec sa femme dans la première maison de la propriété, Amilton est le nouveau gardien des lieux. Il propose de faire le tour du propriétai­re. Au milieu de palmiers, d’eucalyptus et d’arbres tropicaux à fleurs rouges s’enchaînent trois premières constructi­ons, toutes récentes. “Pour les hôtes, précise le gardien. En tout, il y a huit petits appartemen­ts.” Le chemin continue jusqu’à une piscine, sur les parois de laquelle sont peintes des notes de musique et l’ombre d’un saxophonis­te. Et enfin, tout au bout, la partie principale: une maison élégante malgré les dégâts, dont le sous-sol est une immense terrasse avec vue privilégié­e sur la baie de Saquarema. Quand la pousada – maison d’hôtes, au Brésil– tournait encore, il s’agissait de la partie bar-restaurant. Aujourd’hui, seuls les sept chiens viennent y vider leurs gamelles. À l’étage, deux larges balcons donnant eux aussi sur la baie laissent imaginer ce qu’étaient les lieux. Mais en cette soirée de mars, tout est vide et en partie détruit. “Ils ont tout brûlé”, explique Amilton, avant d’être rappelé à l’ordre par son épouse. “Elle ne veut pas rester toute seule, glisse-t-il. Et encore moins la nuit. Depuis ce qui s’est passé, tout le monde est un peu sur ses gardes. Personne ici n’aurait pu imaginer ça. C’était une zone calme, sans histoire, où tu dormais la fenêtre ouverte.” Jusqu’à cette nuit du 18 au 19 janvier. “Ils l’ont volée, tabassée puis brûlée vive dans sa voiture, au bord d’un chemin, à un kilomètre d’ici.” L’affaire a fait grand bruit, au-delà des frontières brésilienn­es, jusqu’en France. Pourquoi cela, alors que chaque jour, des gens se font assassiner au Brésil? Parce que la victime n’était pas n’importe qui. Loalwa Braz était la propriétai­re du site. Dans une autre vie, elle avait surtout été la chanteuse du groupe français Kaoma, resté dans l’histoire avec sa chanson Chorando se foi (Parti en pleurant, en VF), plus connue sous le nom de La Lambada.

Ce quartier, on l’appelle Barreira, comme le chemin en terre qui le relie à l’estrada de Santo Antonio, la route asphaltée qui longe la baie. Son profil n’est pas vraiment celui que l’on attend du lieu de résidence d’une star de la musique. Passés les quelques ranchs de l’entrée, y vivent des familles pauvres, entassées dans des petites habitation­s modestes. Les femmes vont à vélo ou moto faire le ménage et la cuisine dans les belles maisons de la région. Les hommes vivent de la constructi­on et de la pêche. Ici, rares sont ceux qui savaient qui était Loalwa Braz. Bira, qui profite de la tombée de la nuit pour fermer son bar –une terrasse avec deux tables en plastique– et s’en aller pêcher la crevette, le dit sans détour: “On a appris qu’elle avait été chanteuse à la télé, après sa mort.” C’est peu dire que depuis la fin de l’aventure Kaoma en 1999, la carrière de Loalwa, native de Rio de Janeiro, avait pris du plomb dans l’aile. “Elle faisait encore des shows, explique Walter, son frère, installé depuis 27 ans à Vitoria, dans l’état voisin, Espirito Santo. Mais pas avec la même force qu’avant, c’est sûr.” Il était venu lui rendre visite à la pousada Azur quelques jours avant le drame, du 6 au 10 janvier. “Cet endroit, elle l’aimait beaucoup, assure-t-il. Pour le paysage, et parce qu’elle adorait la nature. Elle l’avait acheté avec son mari, un Français, en 2011. Ils ont retapé la maison et construit les appartemen­ts pour les touristes. Après des années en Europe, Loalwa voulait reprendre sa carrière au Brésil. En attendant, cette pousada était une alternativ­e à la musique.” Calée sur la côte atlantique, à une petite centaine de kilomètres de Rio, Saquarema a l’avantage de la tranquilli­té, contrairem­ent à la très chic Buzios –située 80 kilomètres plus loin–, repaire de Brigitte Bardot dans les années 60 et envahie tout l’été par les touristes argentins. Itauna, la plage référence de Saquarema, serait la meilleure du Brésil pour les surfers, à tel point qu’elle remplacera Rio comme étape brésilienn­e du Championsh­ip Tour, en mai prochain. De quoi remplir les hôtels du coin, dont la maison d’hôtes de Loalwa Braz, déjà bookée pour le carnaval. Nazaré avait travaillé à la pousada Azur. C’était il y a quelques années déjà. “Je suis celle qui a duré le plus longtemps”, sourit-elle devant la petite maison blanche où elle est née et vit aujourd’hui avec ses trois enfants. Car à Barreira, Loalwa avait une réputation: celle d’une patronne difficile à vivre. “Disons qu’elle était frontale et pas toujours agréable, détaille Nazaré. Mais elle avait un bon coeur. À Noël, elle offrait du matériel scolaire à la fille de sa voisine. Quand la mienne s’est séparée de son copain, elle l’a invitée chez elle et l’a sortie en ville pour lui changer les idées et faire les magasins.” Au fil du temps, une autre rumeur insistante a gagné le quartier: la difficulté de la chanteuse à sortir l’argent de sa poche. “Elle tardait à payer, oui, confirme l’ancienne employée. Ou alors, elle m’emmenait en centre-ville et remplaçait ma paie par des courses au supermarch­é.” Des pratiques qui auraient dissuadé les gens du quartier de travailler à la pousada. Peutêtre est-ce la raison pour laquelle, lorsque ce jeune homme de 23 ans venu de Sampaio Corrêa, un district de l’ouest de Saquarema, s’est présenté pour proposer ses services à l’approche du réveillon en toute fin d’année dernière, Loalwa Braz a accepté sans poser de questions.

“Le gars était louche”

Insensible au souffle glacial de la climatisat­ion, l’inspecteur Paulo Gravina s’installe devant l’ordinateur de son bureau, au premier étage du poste de la 124e delegacia de police, dans le centre de Saquarema. Au bout de son bras musclé où sont tatoués deux prénoms féminins, sa main clique sur la souris, à la recherche du dossier Loalwa. Le policier imprime deux pages rédigées en Courrier New. “Tout y est, pose-t-il. L’enquête a débuté à 7h et s’est terminée à 22h. En une journée, c’était réglé.” En haut du rapport, un nom: Wallace De Paula Vieira. Le nouvel employé. Le soir du crime, sur le coup de 21h, il aurait entendu les appels à l’aide de la victime et couru chercher du secours auprès de Denilson, le gardien, dont la maison se trouve à une trentaine de mètres. Ce dernier appelle alors la police. Premier arrivé sur les lieux, le militaire Andrette fait venir les pompiers pour éteindre l’incendie chez Loalwa Braz, puis découvre, plus tard, le corps de la chanteuse carbonisé dans la carcasse de sa Honda Civic. À 7h30, Wallace fait une première déposition. “Le gars était calme, froid. C’était louche, décrit l’inspecteur. On lui reposait plusieurs

Le meurtre était-il prémédité? Rien n’est moins sûr. Si Wallace “détestait sa patronne”, il semblait surtout en vouloir à son argent

fois les mêmes questions pour qu’il répète les faits, et à chaque fois, sa version changeait, des détails ne collaient pas. Sa chemise était déchirée. Il se disait lui aussi victime des malfaiteur­s. Mais on trouvait bizarre que dans la violence de ce crime et ce corps calciné, lui n’ait qu’un vêtement abîmé.” Après une heure d’interrogat­oire, le commissair­e chargé de l’enquête, Leonardo Macharet, tente un coup de poker. “Je lui ai dit qu’il y avait des caméras dans la maison. Il a avoué tout de suite.” Le coupable balance le nom d’un de ses complices. Dans l’après-midi, Gabriel Ferreira Dos Santos, 21 ans, est arrêté sur la praça Santo Antonio, le centre névralgiqu­e de Bacaxa, banlieue populaire de Saquarema. Puis Lucas Silva Lima, 18 ans, le troisième larron, tombe à son tour, vers 18h, lui aussi attrapé sur cette place où traînent les jeunes du coin. On retrouve dans ses affaires la carte bancaire et le téléphone portable de la victime. En réunissant ces trois témoignage­s, la police est parvenue à reconstitu­er plus précisémen­t le déroulemen­t des faits. Le soir du meurtre, Gabriel et Lucas ont pris un taxi au posto 11 de la zone Santo Antonio, en remontant la rue commerçant­e qui part de la place centrale. Direction la pousada de Loalwa Braz. La suite est linéaire. Le chauffeur, surnommé “Semilla”, dépose les deux jeunes devant la maison de la chanteuse. Quelques heures, plusieurs coups de couteau et de bâton plus tard, Lucas et Gabriel traînent la victime inconscien­te dans sa voiture et reprennent la route pendant que Wallace met le feu à la demeure. Problème: en chemin, la Honda rend l’âme. Pour effacer leurs traces, les deux jeunes incendient le véhicule, Loalwa avec, et s’enfuient. Le meurtre était-il prémédité? Rien n’est moins sûr. Si Wallace “détestait sa patronne”, il semblait surtout en vouloir à son argent. “Il savait où se trouvaient les 15 000 réis (4 500 euros, ndlr) que la victime gardait chez elle, raconte le commissair­e Macharet. Le but était aussi de voler ses disques d’or pour les revendre. Pour moi, il s’agit d’un vol qui a dégénéré. Ils avaient pris de la cocaïne pour se donner du courage et ne se doutaient pas des proportion­s que ça prendrait, ni pendant ni après.” Ni sans doute de la lourde peine qu’ils encourent: 20 à 30 ans de prison. En attendant le procès, les trois jeunes ont été transférés dans la prison de Bangu, réputée particuliè­rement dangereuse, à l’ouest de Rio de Janeiro.

Toujours pas d’autopsie

Affaire classée? Pas pour tout le monde. Deux mois ont passé, et la famille de Loalwa Braz n’a toujours pas pu faire son deuil. Dans le contexte de la grave crise économique qui frappe le Brésil, les caisses de l’état de Rio sont vides. Alors depuis plusieurs mois, les fonctionna­ires se sont mis en grève pour protester contre leur salaire en retard et le manque de moyens matériels. Et la famille de la chanteuse, elle, attend toujours les prélèvemen­ts ADN qui confirmero­nt l’identité du corps. Depuis son bureau de l’institut médicoléga­l (IML) d’araruama, à 20 kilomètres de Saquarema, Dr Kesley hausse les épaules, impuissant­e. “J’ai envoyé un fragment d’os du fémur de la victime au siège de L’IML de Rio pour l’identifica­tion ADN. Obligatoir­e, vu l’état du corps. Mais ils n’ont pas de quoi acheter le nitrogène liquide pour effectuer les prélèvemen­ts, du coup les restes du corps patientent encore dans un frigo ici. On a attendu une bonne année pour les résultats d’un simple test d’alcoolémie, alors imaginez pour une analyse ADN… Et ça fait plus d’un an que Rio se trouve dans cette situation.” Une alternativ­e s’offre aux proches de la chanteuse: faire effectuer les prélèvemen­ts dans un laboratoir­e privé et, évidemment, y mettre le prix. Walter, le frère, ne sait qu’une chose: “Loalwa sera enterrée à Vitoria, aux côtés de notre mère.” Pour le moment, le seul endroit où se recueillir se trouve sur le lieu même du crime, sur ce chemin en terre, devant une prairie broutée par un âne et trois chevaux. Des morceaux de pneu gisent encore sur le sol noirci par l’incendie. Une couronne de fleurs séchées ornée d’un ruban blanc a été déposée, avec la formule d’usage au Brésil: “Saudades”.

“Loalwa faisait encore des shows. Mais pas avec la même force qu’avant, c’est sûr” Walter, son frère

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