La cote présidentielle.
Mais pourquoi les Anglais misent-ils tant sur notre élection présidentielle?
Il fait nuit à Dallas. Seule la lumière d’un bureau éclaire les locaux vides de la Petroles Ewing. Accoudé à la fenêtre, un homme regarde vers l’extérieur. Contemplatif. Un bruit derrière la porte brise le silence. Puis deux tirs l’imposent. John Ross, dit “J.R.”, personnage emblématique de la série Dallas, s’écroule. Fin d’épisode. Et fin de saison. Le 21 mars 1980, plusieurs millions de téléspectateurs partout dans le monde retiennent leur souffle. Qui a tiré? Mystère. Les paris sont ouverts. Trentesept ans plus tard, Graham Sharpe, porte-parole de William Hill, l’un des plus gros bookmakers anglais, se rappelle parfaitement l’événement: “J.R. était le personnage principal de l’une des émissions les plus populaires de l’époque. Pendant un an, en attendant la saison suivante, tout le monde a émis sa propre hypothèse sur l’identité du tireur. Et mieux: tout le monde a parié sur l’identité du tireur.” Time y consacre sa une tandis que Jimmy Carter, alors président américain, blague en débarquant dans la ville texane pour connaître le fin mot de l’histoire et “financer ainsi toute sa campagne”, tant la mise est élevée. Le moment est historique dans le monde de la télé, mais aussi dans l’univers des paris. “C’était la première fois qu’un bookmaker vous permettait de miser sur un événement tiré d’une fiction, explique Sharpe. Ça a bien changé depuis. Aujourd’hui, vous pouvez parier sur tout et n’importe quoi, même sur l’issue des télé‑réalités…”
Pour J.R., c’était la belle-soeur. En revanche, personne ne peut encore dire avec certitude qui remplacera François Hollande à l’élysée au mois de mai prochain, après l’élection présidentielle française. Et c’est actuellement ce débat-là qui agite le plus les bookmakers anglais. À la grande surprise de Graham Sharpe. “C’est la première fois qu’un événement politique ni britannique ni américain crée un impact significatif sur les paris dans notre pays”, témoigne l’anglais. Selon les bookmakers, un peu plus d’un million d’euros auraient déjà été misés sur la campagne française, “un niveau jamais atteint”. Comment expliquer l’attrait pour la politique hexagonale d’un milieu d’ordinaire plus proche des terrains de football que des meetings de Benoît Hamon? “Par un chiffre: 2016, pose calmement Paul Krishnamurty, parieur professionnel à la tête du site politicalgambler.com. Les primaires républicaines américaines ont eu un succès fou grâce à Trump. Quant à nous, Anglais, nous n’avions pas eu un référendum aussi clivant depuis 1975 et celui sur le maintien de la Grande‑ Bretagne dans la Communauté européenne. Le Brexit, puis Donald Trump ont captivé des personnes qui jusqu’ici ne s’intéressaient ni de près ni de loin à la politique. Et bien sûr, les gens font le rapprochement entre le Brexit, Trump et Marine Le Pen.” Dans l’esprit des joueurs, la candidate du Front national s’inscrit dans cette “lignée” populiste. À cela, il faut ajouter le battage médiatique autour du “Penelope Gate”. “Les hommes politiques français font la une des journaux, on parle d’eux à la radio et on les voit à la télé tout le temps, continue Krishnamurty. Alors qu’il y a cinq ou dix ans, les parieurs
n’avaient pour la plupart jamais entendu parler de Nicolas Sarkozy ou François Hollande.” Avec l’allant du connaisseur, Paul Krishnamurty prédit un bel avenir aux paris politiques. Après la France, ce sera en effet à la Russie d’élire son président. Mais pas seulement. “Les bookmakers doivent désormais observer tous les scrutins étrangers, même les plus anecdotiques”, reprend Krishnamurty. D’ici quelques années, assure-t-il, les paris politiques risquent de prendre la même ampleur que les paris sportifs. Un bémol, néanmoins: il existe des pays où jouer sur les élections reste interdit, comme les États-unis ou la France. Seuls les paris sportifs y sont autorisés.
“Les Britanniques apprécient Macron”
Pour construire les cotes des candidats, les bookmakers anglais combinent leurs jugements, ce qu’ils voient, entendent et lisent dans les média, avec les mises des autres joueurs. Et les sondages? “Ils ont un impact direct, explique l’expert Mike Smithson, auteur du livre The Political Punter: How to Make Money Betting on Politics (Comment gagner de l’argent en pariant sur la politique). Certes, les sondages peuvent se tromper mais les instituts français paraissent plutôt fiables, étant donné qu’ils ont prédit l’élection des deux derniers présidents de la Ve République.” Krishnamurty tient un autre discours: “Les bookmakers ont de meilleures prévisions que les sondeurs. En 2012, par exemple, les sondages n’étaient pas sûrs de la victoire d’obama, alors que nous en étions certains à 80%. Pareil pour les élections législatives anglaises: les sondages s’étaient trompés sur la victoire des conservateurs ; nous, non.” Ces dernières semaines, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, pourtant éliminés de la primaire, ont été réintégrés à la course à la présidentielle chez les bookmakers. Certains parient même sur la très discrète Michèle Alliot-marie. “Tout peut arriver, décrypte Graham Sharpe. Pour l’élection américaine, nous avions pris des paris sur une victoire de George Clooney, par exemple. Certains vous diront que cela n’a aucune chance d’arriver, nous leur répondons que Ronald Reagan était une star du cinéma avant d’être président. Alors si vous voulez jouer sur Clooney, libre à vous de le faire.” Le goût des parieurs pour la spéculation connaît néanmoins certaines limites. Nulle trace, ainsi, du candidat Jean Lassalle chez la plupart des bookmakers. “Lassalle, vous dites? bredouille Matthew Shaddick, cadre chez Ladbrokes, en fouillant dans sa base de données. Aucun de nos clients n’a misé sur lui.” Ce qui n’est pas le cas d’emmanuel Macron, actuellement considéré comme le favori. Mike Smithson: “En plus des sondages, je crois que les Britanniques l’apprécient parce qu’il parle un très bon anglais et qu’il est séduisant.” Graham Sharpe, lui, rappelle que “lors de l’élection américaine, Donald Trump recueillait le plus de paris individuels, alors qu’hillary Clinton avait les plus grosses sommes misées sur elle”. Et Le Pen? “Elle a les deux!”
“Le Brexit, puis Donald Trump ont captivé des personnes qui jusqu’ici ne s’intéressaient ni de près ni de loin à la politique” Paul Krishnamurty, à la tête de politicalgambler.com