Society (France)

La gauche peut-elle se réinventer?

Oui, mais comment?

- – ANTHONY MANSUY Lire: Accélérer le futur: post‑travail et post‑capitalism­e, de Nick Srnicek et Alex Williams, aux éditions de la Cité du design

Vous présentez votre livre comme un ‘manifeste pour la nouvelle gauche’. Vous pensez que les partis de gauche actuels n’ont plus lieu d’être? Alex Williams: Le seul programme des partis sociaux-démocrates, c’est: ‘Nous allons partager les revenus de la croissance un peu plus équitablem­ent.’ Et c’est vrai, ils ont bel et bien partagé les revenus de la croissance un peu plus équitablem­ent. Le problème, c’est qu’il n’y a plus de croissance. Nick Srnicek: Le déclencheu­r de ce livre, ce fut aussi et surtout l’avènement, et finalement l’échec, des mouvements comme Occupy Wall Street dans le monde entier. Et pourquoi ont-ils échoué? Parce que vous pouvez empêcher la constructi­on d’un aéroport ou la fermeture d’un hôpital de cette façon. Mais ça n’empêchera pas les politicien­s de remettre ce genre de projets en route par la suite.

Vous expliquez que des méthodes comme les grèves, les occupation­s ou les pétitions ont été développée­s à une époque où elles étaient mieux adaptées à la contestati­on. Aujourd’hui, quelles seraient les formes de protestati­on les plus efficaces? NS: Attention, ces méthodes ont encore un rôle à jouer. Mais les syndicats n’ont pas su adapter leur manière de fonctionne­r aux réalités d’aujourd’hui. En revanche, ce qu’a fait Corbyn avec le Labour en Angleterre est intéressan­t. Il a compris qu’il ne pourrait pas l’emporter tout seul. Il a donc créé l’organisati­on Momentum. Après avoir aidé à faire élire Corbyn, Momentum a plus ou moins pris la forme d’un mouvement social rattaché au Labour. Par exemple, il y a quelques mois, il a été créé Momentum Kids, un programme de garde d’enfants pour aider les femmes à s’impliquer, mais aussi intéresser les enfants à la politique. Momentum a également monté un réseau de banques alimentair­es. Son programme, c’est de faire de la politique sans attendre d’être au pouvoir pour accomplir des choses ni demander la permission de l’état.

Vous parlez de la constructi­on d’une contrehégé­monie de gauche au projet néolibéral. Le problème, c’est que la contre-hégémonie qui progresse le plus aujourd’hui est celle de l’extrême droite. Comment se battre sur ces deux fronts? AW: Il ne serait pas idiot de calibrer de nouveaux messages pour le grand public. Par exemple, la fameuse maxime néolibéral­e qui dit que ‘le pays doit être géré comme un ménage’ pour justifier la réduction des dépenses sociales est facile à comprendre. Et qu’importe si ce message est complèteme­nt faux. Cela veut dire que la gauche doit, elle aussi, trouver des petites phrases dans le genre, faciles à intégrer, et qui encapsulen­t une autre vision de la société. Un peu comme la rhétorique contre le ‘1% le plus riche’, distillée avec succès par Occupy Wall Street.

Vous évoquez la stratégie. Mais qu’en est-il des idées? AW: Ce que l’on a modestemen­t essayé de faire avec ce livre, c’est lister des idées pour démarrer la discussion autour d’un programme positif sur la question de la société post-travail. Beaucoup de mouvements de gauche pensent encore que les gens devraient travailler coûte que coûte, et que la robotisati­on est un mal pour l’humanité. On est totalement en désaccord avec cela. La valeur travail, dans la bouche des économiste­s et des politiques, a une résonance religieuse et prend ses fondements théoriques dans la glorificat­ion de la souffrance. Mais pourquoi passer par le stade de la souffrance alors que la prochaine vague d’automatisa­tion permettra à des logiciels et des robots d’accomplir ces tâches à notre place? NS: Les voitures sans conducteur vont priver trois millions de personnes de travail rien qu’aux États-unis, les logiciels d’apprentiss­age automatiqu­e vont remplacer les emplois peu qualifiés dans la finance ou le droit. Près de 80% des métiers où l’on gagne actuelleme­nt moins de 20 dollars de l’heure sont sur le point de disparaîtr­e. Il faut se saisir de ce sujet et en faire une force positive pour l’émancipati­on des hommes.

“Le problème, c’est qu’aujourd’hui la gauche est très centrée sur elle-même, elle passe son temps à convaincre les convaincus” Nick Srnicek

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Speed dating entre fans de Jeremy Corbyn.

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