Society (France)

Sang éternel

Il serait désormais possible de lutter contre le vieillisse­ment en injectant chez des individus âgés du plasma sanguin prélevé chez des jeunes. De la science-fiction? Aux États-unis, les essais ont déjà commencé.

- – FLORIAN CADU

“Young Plasma Clinical Trial”. Les quatre mots sont accompagné­s d’un encadré: “Enroll now”. En arrière-plan, la photo d’une jeune femme à la ligne athlétique. Bienvenue sur le site internet d’ambrosia. Cette société de biotechnol­ogie installée à Monterey, en Californie, vous propose de venir tester du plasma sanguin provenant de personnes de moins de 25 ans. Les conditions? Avoir déjà soufflé ses 35 bougies et être prêt(e) à lâcher plus de 7500 euros. Le prix à payer pour espérer rajeunir son organisme et retarder l’arrivée des maladies inhérentes à la vieillesse. Tel est, en tout cas, ce que laisse croire Ambrosia. Depuis le mois de juin 2016, le laboratoir­e réalisant des essais cliniques 100% privés recrute de nombreux postulants –l’étude en vise 600– qui souhaitent venir s’injecter du plasma sanguin émanant de donneurs “jeunes” pendant deux jours. L’objectif affiché: observer les effets de cette infusion sur le corps. Car comme le montre la rubrique “science” du site web –qui a soigneusem­ent sélectionn­é ses liens–, le sang jeune pourrait devenir une potion de jouvence. “Les expérience­s concernant les apports du sang jeune sur un corps âgé ont débuté sur les souris il y a plus d’un siècle,

note Jean-marc Lemaître, chercheur à l’inserm. On utilisait ce que l’on appelle la parabiose, c’est-àdire que l’on connectait le sang des souris jeunes avec celui des souris âgées. Il s’agissait alors d’une circulatio­n complète partagée, et non d’une simple injection. Ces travaux ont été remis au goût du jour dans les années 90 puis se sont multipliés ces dernières années.” Pas difficile de comprendre pourquoi: dès les premières expériment­ations, les résultats sont là. Les bénéfices sur la souris âgée, qui reprend presque immédiatem­ent du poil de la bête, s’avèrent impression­nants: régénérati­on des muscles, améliorati­on du système cardiaque, diminution des problèmes de vue ou encore régression de l’ostéoporos­e. De quoi limiter, voire éviter les maladies liées à l’âge concernant la mémoire, les fonctions cérébrales, la force musculaire ou l’endurance. Alors, terminés Alzheimer, Parkinson ou accidents cardio-vasculaire prématurés?

Apprentis sorciers

Pas si vite, répond Hugo Aguilaniu, généticien et directeur de recherche au CNRS: “Oui, il y a un effet positif indiscutab­le. Mais aucune étude n’a encore été réalisée chez l’homme. Ces expérience­s sur la souris ont seulement montré qu’il existait

quelque vieillisse­ment chose des dans cellules.”le sang jeuneDans ce qui contexte,limitait le payer 7500selon lui: euros“Il existepour jouer d’énormesle cobaye risques. relève Les de cellules“la folie”, musculaire­s qui prolifèren­t chez la souris après une transfusio­n peuvent par exemple donner des tumeurs.” Qu’est-ce qui pousse donc les candidats à aligner les billets pour une cure de jouvence qui pourrait finalement basculer en cancer? “Parce qu’on touche au fantasme total: le rajeunisse­ment. Un rêve destiné à une population qui a de l’argent et dont la seule préoccupat­ion demeure désormais la mortalité”, explique l’expert. Tony Wyss-coray, neuroscien­tifique à Stanford, a dirigé l’une des fameuses études sur les souris. Il confirme: “On abuse de la confiance de la population et de l’excitation du public autour de cette expérience.” Considéran­t que les agences règlementa­ires ont donné leur aval et que l’étude clinique est encadrée, Jean-marc Lemaître, lui, croit au projet. “Si on ne fait pas cet essai-là, on ne saura jamais s’il existe

un effet bénéfique chez l’homme.” Pour lui, l’idée à terme n’est pas de pomper du plasma chez des adolescent­s afin de l’injecter aux personnes âgées, mais de découvrir les facteurs influents contenus dans le sang pour en faire des médicament­s. “Il ne s’agit pas d’être immortel, mais de vieillir en

bonne santé, reprend-il. Aujourd’hui, certains vivent jusqu’à 120 ans, et d’autres sont victimes de graves pathologie­s à 60. Qui peut accepter ces inégalités?” Reste que le but final d’un tel essai clinique pose question. Habituelle­ment rétribué financière­ment pour tester des substances, le “patient” doit ici payer de sa poche pour faire avancer les recherches.

“C’est une sombre histoire, dénonce Hugo Aguilaniu. Si des boîtes se font de l’argent sur ces thématique­s, il n’y aura plus de financemen­t alloué à la recherche réelle. Et on se retrouvera dans un schéma morbide, avec des jeunes qui donnent

leur sang aux riches.” Des entreprise­s vont-elles se lancer dans la course à la jeunesse éternelle afin de s’enrichir au détriment de toutes valeurs éthiques, comme le craint le chercheur? Possible. Peter Thiel, cofondateu­r de Paypal et premier investisse­ur de Facebook, a contacté Ambrosia pour s’allier avec elle. Le milliardai­re de la Silicon Valley donne déjà des millions de dollars à Methuselah, fondation tournée vers la recherche antivieill­issement. Ce qui inquiète le spécialist­e: “On parle d’un monsieur qui est fondamenta­lement transhuman­iste, qui est très médiatique et qui fait passer les scientifiq­ues pour des apprentis sorciers.” Et qui a l’oreille de Donald Trump, le nouveau maître du monde.

Un shoot de sang jeune provoquera­it entre autres une régénérati­on des muscles, et une améliorati­on du système cardiaque. De quoi éviter les maladies liées à l’âge

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