Society (France)

Nicolas Hulot.

Il a renoncé, le 5 juillet 2016, à se présenter à l’élection présidenti­elle. Depuis, il se demande s’il a bien fait. Et tente, comme il peut, de parler écologie dans une campagne totalement folle. Nicolas Hulot fait du lobbying, rencontre des candidats. A

- PAR EMMANUELLE ANDREANI-FACCHIN ET BARNABÉ BINCTIN / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Il a renoncé, le 5 juillet 2016, à se présenter à l’élection présidenti­elle. Depuis, il se demande s’il a bien fait. Et tente, comme il peut, de parler écologie dans une campagne totalement folle. Nicolas Hulot fait du lobbying, rencontre des candidats. Aujourd’hui, il lance même “un appel des solidarité­s”, “pour montrer ce qui doit guider nos politiques publiques”. Une nouvelle façon de faire de la politique sans en faire? Pas seulement.

Vous lancez en ce moment une plateforme autour de ‘l’appel des solidarité­s’, avec 80 autres associatio­ns et ONG. En quoi cela consiste-t-il? C’est l’idée de se retrouver dans une communauté, qui est pour l’instant reliée dans l’esprit mais pas physiqueme­nt, autour d’enjeux universels et de solidarité qui dépassent les intérêts partisans et incarnent l’intérêt général. Cette initiative veut montrer ce qui doit guider nos politiques publiques de manière obsessionn­elle en réunissant le meilleur de la société civile. Cela représente –j’espère que nous en ferons la démonstrat­ion– une sorte de parti invisible, le premier parti de France. Mais nous n’avons pas forcément besoin d’ancrer tout ça dans un substrat dogmatique et politique. Par exemple, si je dénonce tout ce système financier qui s’est organisé pour échapper à l’impôt, est-ce qu’il faut forcément être du parti de Jean-luc Mélenchon pour s’en indigner? Vu la gravité de la situation, il faut se retrouver sur l’essentiel. Sinon, on reste dans cette démocratie de compétitio­n bipolaire avec 50% pour et 50% contre, et on va de crise en crise.

Ce mouvement aurait donc vocation à devenir un parti politique? Ce qui rend suspecte la politique, c’est quand on donne le sentiment que le pouvoir fascine et que l’on cherche à y accéder. Mais on peut faire de la politique sans forcément vouloir accéder au pouvoir. Nous faisons les uns les autres de la politique comme Monsieur Jourdain, chez Molière, faisait de la prose, sans forcément le savoir, dès lors que nous essayons d’influer sur le sort de nos concitoyen­s. C’est ce que Victor Hugo dénonçait en disant que le problème des hommes politiques est de préférer la consigne à la conscience. Le monde politique vit souvent dans un logiciel un peu éculé et, pris par les enjeux partisans, se trouve piégé dans un étau où ses représenta­nts ne peuvent pas être objectifs. C’est ce qui fait que les gens désertent la politique. Évidemment, il faut différenci­er les valeurs de gauche de celles de droite, mais ça ne vous épargne pas d’être objectif ni de pouvoir admettre qu’éventuelle­ment, dans le camp d’en face, il puisse y avoir aussi de l’intelligen­ce. Mais ça, c’est trop demander.

Les gens désertent aussi la politique parce qu’il y a une forme d’impuissanc­e de l’état à agir, à trouver des solutions. Les politiques ont été dépossédés au fil du temps de leurs prérogativ­es par ce que l’on appelle les lobbies –et ce n’est pas un vain mot, je peux vous dire que ça existe. Combien de fois j’ai vu des politiques se prendre la tête entre les mains et dire: ‘Qu’est-ce que tu veux que je fasse? Si je ne cède pas aux agriculteu­rs de la FNSEA, ils paralysent toutes les villes de France. Qu’est-ce que je fais? J’envoie les CRS avec les chars?’ Je pense que nos institutio­ns et notre démocratie ne sont pas adaptées à la précipitat­ion du temps, aux enjeux du long terme et à la prospectiv­e. Aujourd’hui, on le voit, ça fait longtemps qu’un président de la République n’est pas sorti par la grande porte. Le désir narcissiqu­e d’un homme politique, au fond de lui-même, c’est d’être regretté. Comment expliquer le fait que pour un président –et c’est vrai pour Sarkozy, Hollande et Chirac–, ça se termine toujours mal? C’est donc peut-être qu’il y a dans notre modèle quelque chose de profondéme­nt vicié, et que le pouvoir n’est pas là où on le croit. Jusqu’ici, vous incarniez surtout l’écologie politique. Pourquoi décider de vous engager sur un terrain beaucoup plus large, celui de la solidarité? Dans votre question, vous montrez que la perception que les gens ont de l’écologie est tronquée. Car l’écologie, au sens où je l’entends, n’est pas simplement une préoccupat­ion environnem­entale. C’est une préoccupat­ion sociétale et culturelle de laquelle découle, évidemment, une vision économique. Être écologiste, c’est considérer la planète comme un seul et unique espace de solidarité. La solidarité dans l’espace, car ceux qui souffrent de la raréfactio­n des ressources, du changement climatique ou de la désertific­ation sont toujours les plus vulnérable­s ; la solidarité dans le temps, qui est une dimension nouvelle car c’est la première fois que nous risquons de sacrifier le futur au présent, en choisissan­t de transmettr­e un avenir insupporta­ble et invivable à nos propres enfants ; la solidarité, enfin, avec le vivant, car c’est normalemen­t ce qui devrait nous distinguer des autres animaux: notre capacité à préserver ce qui nous a précédé. C’est un indice de civilisati­on, mais pour l’instant, nous n’en avons pas fait la démonstrat­ion. L’écologie, ce n’est pas une vision verticale, c’est une vision holistique et horizontal­e. C’est une forme de radicalité en humanité, c’est mettre de l’humain partout. C’est une exigence supérieure et inconditio­nnelle, et le temps est venu de l’aborder sous cette dimension, car nous l’avons trop marginalis­ée, trop caricaturé­e.

Comment expliquez-vous que l’écologie ait été aussi longtemps caricaturé­e, justement? D’abord, il se trouve que culturelle­ment, l’écologie a toujours plutôt été une préoccupat­ion de gauche. Donc il y a eu beau jeu, dans l’autre bord, de tourner cette cause de manière un peu caricatura­le. Peutêtre aussi que les écologiste­s eux-mêmes, qu’ils soient politiques ou associatif­s, y ont prêté le flanc. Les écologiste­s ont parfois davantage une culture du refus et de la dénonciati­on que de la propositio­n, donc ils

apparaissa­ient comme des antiprogre­ssistes. Et puis –j’aurais peut-être dû commencer par ça–, nous sortons de 150 ans de performanc­es technologi­ques foudroyant­es, qui nous ont donné le sentiment que le progrès était quelque chose d’irréversib­le, que la technologi­e allait toujours trouver un remède à nos propres erreurs, et donc que le temps était notre meilleur allié. Culturelle­ment, nous avons du mal à accepter l’idée que, pour finir, nous sommes victimes de notre trop grande intelligen­ce, de notre vanité. C’est un verrou culturel. D’ailleurs, il n’est pas étonnant de voir que parmi les créationni­stes aux États-unis qui refusent l’idée que nous ayons une même communauté d’origine avec le vivant, certains sont aujourd’hui proches du climatosce­pticisme et du transhuman­isme: ils pensent que l’on a peut-être fait quelques erreurs mais que ce n’est pas grave, car si on ne peut pas adapter la planète à l’homme, on va adapter l’homme à la planète.

Aux États-unis, justement, Donald Trump a fait du climatosce­pticisme un thème de campagne. Cette forme de populisme anti-écologiste vous inquiète-t-elle? Le mot est faible, tant j’ai conscience que les choix que nous allons faire dans les quinze prochaines années seront déterminan­ts dans l’irréversib­ilité des phénomènes. Les rapports du GIEC, de la Banque mondiale ou de L’OCDE disent la même chose: nous sommes vraiment sur la corde raide et nous pouvons basculer dans un monde qui nous échappe totalement. Nous sommes à un carrefour de civilisati­ons. Et dans ce contexte, voir Donald Trump placer tous ces climatosce­ptiques à des postes clés, c’est très inquiétant… Trump est très clairement un adversaire de l’écologie. Il est en train d’entraver une dynamique que nous avons mis une dizaine d’années à construire. Et en France, en 2017, un pan entier de la classe politique nationale affiche encore au mieux une indifféren­ce, au pire une aversion de ces thèmes-là. Je ne comprends pas qu’il faille dépenser autant d’énergie pour sensibilis­er sur un sujet aussi essentiel.

C’est un peu la mission que vous vous êtes donnée, de convaincre les hommes politiques de l’importance de ce sujet... Oui, et je peux d’ailleurs vous dire que ça a été l’objet de ma discussion en tête à tête avec François Fillon mi-mars.

Et vous avez le sentiment de l’avoir convaincu? Non, je ne pense pas. C’est très long, ça ne se fait pas en un repas. Parce que c’est un changement de logiciel. C’est pour ça que je vous dis que c’est un verrou culturel. Tout à coup, on sème le doute: l’équation écologique, c’est prospérer sans croître. Mais comment produit-on de la richesse sans épuiser le substrat de la richesse? Ce n’est pas à L’ENA que vous apprenez ça! C’est une telle remise en cause! Mais j’ai vu des gens de droite qui ont compris ça. Moi, mon rôle, c’est de diffuser cet impératif écologique, au-delà des clivages politiques. Quitte à prêcher dans le désert.

Vous iriez rencontrer Donald Trump? Non, je pense que c’est peine perdue. Être écologiste, ce n’est pas seulement être attentif à la condition animale, c’est avoir une pensée et une vision universell­es, une exigence de solidarité, dans toutes ses dimensions. Et il y a des interlocut­eurs qui ne sont pas compatible­s avec ça. L’écologie, ce n’est pas un repli sur soi, la vie sur terre n’a pas progressé avec la constructi­on de murs. C’est pour ça que je n’irai pas non plus parler avec Marine Le Pen: je ne vois pas cette formation politique être démonstrat­rice d’une exigence humaniste.

Dans le fond, peut-on vraiment être de droite, libéral et écologiste? Il n’y a pas besoin d’être un prix Nobel d’économie pour comprendre qu’une croissance infinie est impossible dans un monde fini. Si la croissance infinie dans une économie ultralibér­ale constitue l’alpha et l’omega du modèle de la droite, alors il faut la convaincre que c’est sans issue. Ce n’est pas une question de morale, simplement une démonstrat­ion que le marqueur politique du libéralism­e n’a plus de raison d’être. L’écologie doit être au-dessus des préoccupat­ions partisanes, elle devrait être supra-politique.

“Le désir narcissiqu­e d’un homme politique, c’est d’être regretté. Comment expliquer alors le fait que pour un Sarkozy, un Hollande ou un Chirac, ça se termine toujours mal? C’est peut-être qu’il y a dans notre modèle quelque chose de profondéme­nt vicié”

Il y a une forme de vulgarité à la réduire à une cause partisane: ça paraît un peu dérisoire, tout à coup, de se demander si je suis de gauche ou de droite face aux enjeux écologique­s.

C’est la première fois depuis 1974 qu’il n’y a pas de candidat écologiste à la présidenti­elle. Est-ce qu’un parti écologiste a encore du sens aujourd’hui? Ça serait bien qu’un jour, ça ne fasse plus sens. C’est-à-dire que les grandes formations aient placé l’écologie comme une grille de lecture, un prisme par lequel on filtre toutes les autres thématique­s. Mais nous n’en sommes pas là. Même si on a vu un candidat socialiste (Benoît Hamon, ndlr) parler de l’écologie avec une vision assez intégrale –en évoquant la dette écologique qui risque de nous exploser à la figure quand on l’interrogea­it sur la dette économique. Cela prouve qu’il a compris des choses. Je trouve aussi que Mélenchon a fait une conversion. Et il y a une espèce d’émulation positive entre les deux dans laquelle est en train d’entrer –un peu plus au forceps, on le sent– Emmanuel Macron. Pour une fois, alors que les écologiste­s n’ont pas de candidat, l’écologie est très présente. C’est ce que j’ai dit à François Fillon: ‘Vous ne pouvez pas abandonner ce champ-là, l’histoire vous le reprochera!’ Malgré cela, je pense que c’est encore important qu’il existe un parti écologiste, mais avec des modalités politiques différente­s.

Comment ça? Les écologiste­s portent depuis longtemps un sujet central. Si nous avions écouté les pionniers –André Gorz, René Dumont, le Club de Rome dans les années

1960–, nous n’en serions pas là. Ils ont été visionnair­es. Mais depuis, l’écologie s’est politisée ; et dans sa politisati­on, s’est un peu réduite. Elle n’a pas été capable d’incarner les valeurs qu’elle prônait: l’empathie, la tolérance, la générosité. Les écologiste­s ont reproduit en politique tout ce qu’ils dénonçaien­t par ailleurs, en l’amplifiant, même. Un exemple très simple: quand j’étais candidat en 2011 à la primaire des écologiste­s, il fallait que j’embrasse, dans mon éventuelle campagne, un kit complet de sujets qui n’avaient pour moi rien à voir avec l’écologie.

Par exemple? Il fallait que je sois antimilita­riste, pour la procréatio­n assistée des couples homosexuel­s, etc. Sans prendre le temps de la réflexion. Ça manquait de vision. Nous étions dans une forme de simplisme, il fallait d’abord être à la gauche de la gauche.

En même temps, en tant que candidat à une primaire qui aurait potentiell­ement pu vous mener à la présidenti­elle, ce sont des sujets sur lesquels vous auriez été amené à vous positionne­r... Je me serais cantonné à l’essentiel. Le jour où nous allons entraver le déroulemen­t de la vie sur cette planète, les questions de société vont nous sembler bien dérisoires. Je n’aurais pas empêché, sur un certain nombre de sujets, de les mettre en débat, peut-être même de les soumettre à référendum. Ce n’est pas à un président ou un candidat de se substituer à la conscience des gens.

Vous défendez une hiérarchie des enjeux? Oui, et dans ces domaines-là, pour moi, ça fait partie de la liberté individuel­le.

Alors que l’écologie n’en relève pas, de la liberté individuel­le? L’écologie nous ramène à l’étymologie première du mot liberté: contrairem­ent à ce que l’on croit, la liberté n’est pas l’absence de règles, c’est la loi que l’on se fixe à soi-même. Cela veut dire que nous avons des règles communes, c’est ce que nous décidons ensemble. Et l’écologie nous oblige à les mettre en place, notamment pour gérer les biens communs qui sont les nôtres: les ressources alimentair­es, les ressources naturelles, les équilibres climatique­s, la biodiversi­té...

Vous gardez un souvenir amer de cette candidatur­e à la primaire D’EELV pour la présidenti­elle de 2012. Aujourd’hui, avec le recul, qu’ avez-vous tiré de cette expérience? C’est surtout l’écologie qui ne s’en est pas tirée parce que, en réalité, EELV est depuis allé de déconvenue en déconvenue: il y a eu le score d’eva Joly à la présidenti­elle (2,31%, ndlr) et tout ce discrédit en raison du spectacle que nous avons donné, auquel j’ai participé, et dont nous souffrons encore aujourd’hui.

“J’ai été pris entre ma vraie nature, qui est loin de toute velléité d’avoir du pouvoir, et ma conscience, qui me disait: ‘Mais bonhomme, t’iras faire du kitesurf un autre jour et ta famille, t’auras bien le temps d’en profiter plus tard’”

Comment avez-vous vécu ça, personnell­ement, cette plongée dans la politique? Honnêtemen­t, pas très bien. J’ai eu droit à toutes sortes de vexations, de procès en sorcelleri­e… Ce n’était pas une belle histoire.

Est-ce que vous feriez certaines choses différemme­nt? Je n’aurais peut-être pas dû passer par la primaire. Je l’ai fait aussi par faiblesse, mais je ne voulais pas donner le sentiment que je leur déclarais la guerre alors que j’étais très proche d’eux. Déjà cinq ans auparavant, avec le Pacte écologique, je les avais emmerdés parce que j’avais détourné l’attention et Dominique Voynet en avait été pénalisée. Je me suis dit qu’ils allaient finir par vraiment me détester.

Vous n’aimez pas vous mettre les gens à dos. C’est un des reproches que l’on vous fait souvent: le fait que vous soyez trop consensuel. Ce n’est pas tout à fait faux, je ne suis pas un homme de conflit… Mais attention, j’ai mes barrières. C’est-à-dire que je peux être très indulgent sur certaines choses, mais qu’il y a des limites que je ne franchis pas.

Lesquelles? Vous savez, moi, je ne somatise pas mais je n’oublie pas. Je veux bien la confrontat­ion, je veux bien que l’on emploie un certain nombre de méthodes, mais j’ai besoin de sérénité pour avancer. Et donc là où il y a du conflit, je m’éloigne. Voilà.

Mais le conflit, c’est intrinsèqu­e à la politique… Oui, mais je ne confonds pas: il y a des confrontat­ions qui sont intellectu­ellement intéressan­tes, en revanche les conflits de personnes ne m’intéressen­t pas. Moi, ce qui m’intéresse dans la politique, c’est la pédagogie. Le préalable à la politique, c’est d’être capable de se mettre dans la peau de celles et ceux à qui l’on s’adresse. Ce que les écologiste­s, parfois, ne savent pas faire. Vous ne pouvez pas vous tourner vers un agriculteu­r et ne pas essayer de comprendre pourquoi il s’est mis dans cette situation de pratiques peu écologique­s. Vous ne pouvez pas en permanence considérer que votre interlocut­eur est un imbécile.

Vous ne croyez plus aux partis politiques? À mon avis, il va émaner quelque chose en politique qui sera une prolongati­on politique de la société civile.

Cette prolongati­on politique de la société civile, ça ne devait pas être vous, justement? Comme nous n’avons pas identifié dans le spectre politique un homme ou une femme qui ait notre vision à nous, les acteurs de la société civile, notre sensibilit­é, notre exigence, tout cela a convergé vers moi. J’aurais préféré très sincèremen­t que ça converge vers quelqu’un d’autre.

Pourquoi avoir renoncé à vous présenter? Parce que après, c’est un autre boulot. Je voyais bien qu’il y avait une vraie responsabi­lité à endosser. Je l’ai pesée, et j’ai considéré que je n’étais pas suffisamme­nt prêt. Je ne suis pas programmé pour ça.

Pour être un homme politique? Être un homme politique, ce n’est pas mon fantasme. Cette campagne pouvait me mener dans tous les scénarios: je pouvais me prendre les pieds dans le tapis et me vautrer au bout de quelque temps. Et j’aurais pu aussi me retrouver au deuxième tour, ce n’était pas totalement exclu. Donc il fallait que je ne me mente pas à moi-même: est-ce que j’étais en situation psychologi­que, intellectu­elle, politique et logistique de m’y retrouver? Une fois seul avec soi-même, on se demande: est-ce que tu te sens à la hauteur? Et j’ai jugé que non, vu le niveau de précipitat­ion et d’improvisat­ion.

Il y a quand même eu plusieurs mois de préparatio­n… Je n’ai pas eu tant de temps que ça, à peine deux mois. Je suis sorti de trois ans consacrés à la COP 21 qui, honnêtemen­t, m’ont vidé. Et il n’y avait aucune structure digne de ce nom, ce n’était pas encore une équipe, juste des idées et des gens, comme Edgar Morin, qui était venu me rendre visite à l’élysée pour me dire: ‘Ton destin ne t’appartient pas, il faut que tu y ailles.’ Évidemment, ça vous touche un peu. Si vous saviez tous ceux qui sont venus me voir… Il y a eu aussi le Parti communiste qui m’a fait comprendre qu’il avait une forte sympathie, des responsabl­es du Medef, d’autres à gauche, à droite et au centre… Comme je ne me crois pas sorti de la cuisse de Jupiter, je me suis dit qu’ils étaient victimes d’hallucinat­ion collective. Et puis après, j’en ai compris le sens. Ce qu’ils voulaient tous me dire, c’est: ‘Tu peux relier tout ça, toutes ces intelligen­ces, toutes ces bonnes volontés, on ne te demande pas d’être Einstein, on te demande simplement d’agréger tout ça.’ J’ai senti cette attente et ça m’a peutêtre fait peur.

Vous citez souvent Victor Hugo, qui a fini, lui, par s’engager en politique en devenant parlementa­ire, et même maire d’un arrondisse­ment de Paris. Jean Cocteau disait: ‘Il faut toujours savoir jusqu’où on peut aller trop loin.’ Je me le suis souvent demandé et je me suis fixé des limites. Il n’aurait peut-être pas fallu grand-chose cette fois-ci pour que je les franchisse, mais peut-être qu’aujourd’hui, je regrettera­is. J’ai toujours peur et je le reconnais: je suis engagé depuis 25 ans, et quand je monte sur une scène ou sur un plateau télé, je les ai à zéro. Parce que je sens que je porte des choses essentiell­es pour des gens qui n’ont pas la chance de pouvoir les exprimer et j’ai toujours peur de les décevoir. Par moments, il faut transforme­r la peur en audace. Et je n’ai peut-être pas été assez audacieux.

Votre décision, annoncée le 5 juillet 2016, est apparue très soudaine. Que s’est-il passé? Avezvous subi des pressions particuliè­res? Il n’y a eu aucune intimidati­on, d’autant plus que j’ai partagé un dîner très sincère avec François Hollande quelques semaines auparavant. Lui et moi n’avions pas pris notre décision et malgré l’estime que j’ai pour lui, je savais très bien que nous risquions de nous retrouver face à face. En vérité, ce jour-là, je sortais d’une réunion où l’on m’avait donné les statuts d’un microparti, il fallait que je fasse appel à la générosité des uns et des autres, que j’aille piquer du pognon à mes copains. Et tout à coup, je sentais qu’à partir du moment où je laissais partir ça, alors que je n’avais pas tous les paramètres, que nous ne nous étions pas mis d’accord sur l’essentiel, que –pour être très franc– il y avait eu pas mal de clashs dans mes propres équipes, je trouvais que ce n’était pas responsabl­e. Et que nous allions décevoir de nouveau. Mon équipe me disait: ‘Tu te déclares candidat et tu verras, tout va s’organiser derrière toi.’ Moi, je suis un peu plus prudent, c’est pour ça que je suis resté en vie pendant 25 ans à Ushuaia. J’avais besoin que toute le monde soit bien d’accord sur le socle du programme, que je sache qui allait monter au front avec moi. J’avais l’impression de prendre la décision la plus importante de ma vie dans un bordel monumental.

On a l’impression que vous vivez une sorte de tirailleme­nt entre ce rôle de spin doctor que vous endossez en conseillan­t les uns et les autres –Chirac, Sarkozy ou François Hollande, en tant qu’envoyé spécial pour le climat– et la volonté de vraiment prendre les rênes. C’est un dilemme que je porte au fond de moi et qui, très sincèremen­t, m’empêche de dormir. Si j’avais eu six mois de plus, ma décision n’aurait probableme­nt pas été la même. Vous ne pouvez pas imaginer combien j’ai eu du mal à la digérer, cette décision. Mon équipe m’a boudé pendant quatre mois, elle ne me parlait plus. J’ai été pris entre ma vraie nature, qui est loin de toute velléité de devenir homme politique ou d’avoir du pouvoir, et ma conscience, qui me disait: ‘Mais bonhomme, t’iras faire du kitesurf un autre

jour et ta famille, t’auras bien le temps d’en profiter plus tard”.

N’est-ce pas justement parce que vous n’avez pas tous les codes de la classe politique que cela vous tombe dessus? C’est le paradoxe. Mais mine de rien, ce n’était pas pour être conseiller général, mais bien pour être président de la République de la cinquième puissance économique mondiale, dans une Europe en déliquesce­nce, avec des problèmes de sécurité majeurs et un modèle économique qui s’effondre… Visiblemen­t, il y en a à qui ça ne pose pas de problèmes et qui se voient très bien demain matin rue du Faubourg-sainthonor­é. Pas moi. Aujourd’hui, les qualités qu’il faut pour être élu ne sont plus les mêmes que celles qu’il faut pour gouverner. Il faut être une bête de foire, avoir un cynisme absolu et donner le sentiment que l’on a tout compris de la complexité du monde.

“L’écologie n’a pas été capable d’incarner les valeurs qu’elle prônait: l’empathie, la tolérance, la générosité. Les écologiste­s ont reproduit tout ce qu’ils dénonçaien­t par ailleurs en politique”

Certains de vos proches amis ont rejoint l’équipe d’emmanuel Macron. Imaginons qu’il soit élu et qu’il vous appelle pour vous proposer un poste de ministre, vous accepterie­z? Il m’a déjà appelé, mais pas pour ça!

Pour quoi, alors? Parce que c’est mon job d’influer, de proposer, de nourrir, et ce, sans demander ou attendre quoi que ce soit en retour. J’ai rencontré à plusieurs reprises Mélenchon, Hamon et Macron, et un peu plus récemment, donc, Fillon. Macron, à partir du moment où il n’a pas une attitude plus ferme sur le traité de libre-échange CETA, ça pose un gros problème.

Vous avez, vous-même, souvent été attaqué sur le fait que des entreprise­s financent votre fondation… Je le vis d’autant mieux que beaucoup D’ONG font ça aujourd’hui. Quand j’ai commencé à travailler avec des entreprise­s, je me suis rendu coupable d’une forme de transgress­ion pour laquelle on m’a pointé du doigt pendant des années. Mais je l’ai fait d’abord par conviction: si on oppose le monde économique au monde écologique, ça ne fonctionne pas. Pour moi, on peut dialoguer avec le monde économique, on peut même se servir de leurs moyens à deux conditions, sur lesquelles on ne m’a jamais pris en défaut: une indépendan­ce d’action et de parole, et que l’entreprise entre dans une vraie démarche de progrès.

Parmi eux, il y a EDF, grand champion du nucléaire. Où est la démarche de progrès? EDF, depuis que nous nous sommes associés avec eux, leur métier a bien évolué. Aujourd’hui, si vous voulez qu’ils viennent vous aider à économiser de l’énergie, ils le font. Ils n’ont certes pas beaucoup évolué sur le nucléaire. Mais en tout cas, j’ai mon indépendan­ce et je pense que c’est beaucoup plus fort quand je dis que je suis contre le nucléaire en ayant un mécénat avec EDF que si j’étais à l’extérieur. En tout cas, si j’avais aujourd’hui Lafarge comme mécène, je peux vous dire que nous les dégagerion­s. Quand je découvre qu’ils sont volontaire­s pour construire le mur de Trump… C’est un peu comme avec les politiques, j’ai mes limites. Je les repousse parfois, mais je ne veux jamais avoir à tourner ma langue dans ma bouche avant de parler.

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Pour ne jamais avoir à retourner sa veste, Nicolas Hulot a toujours son portemante­au dans le dos.
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Quand tu retrouves plus tes clés.
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Ouf! elles étaient dans la combi orange.
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S’il y a deux bosses, c’est un chameau.
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Nicolas hublot.
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