Society (France)

Trompe la mort. La folie Blue Whale Challenge.

Pour le moment il n’y a pas eu de mort. Mais depuis un mois, en France, certains adolescent­s s’isolent, se scarifient et se mettent en danger. Tout ça pour participer au dernier “jeu” à la mode sur les réseaux sociaux: le Blue Whale Challenge. L’épreuve u

- –SWANN BORSELLINO ET WILLIAM THORP / ILLUSTRATI­ON: ALEX GAMSU JENKINS POUR SOCIETY

Elle ne lui a dit qu’une seule chose: “Je fais le Blue Whale.” Une petite voix. Quinze ans. Puis elle lui a envoyé des photos de ses avant-bras. Scarifiés. François Rigaud, responsabl­e chez Net écoute sent le traquenard. Alors, il investigue, se “met à la page” avec son réseau européen. Et découvre vite que le Blue Whale Challenge est un “jeu” partagé sur les réseaux sociaux et en provenance de Russie. “Au téléphone, elle nous a dit qu’elle avait rencontré une personne qui se présentait comme une fille de 15 ans sur Facebook, commence-t-il. Cette personne lui a donné une liste de 50 défis à relever.” L’adolescent­e doit d’abord s’écrire un code sur la main et lui envoyer une photo. Simple. Puis écouter telles musiques, visionner telles vidéos. Plus le temps passe, plus les défis s’assombriss­ent. Une fois, elle doit se lever à 4h20 pour regarder des images morbides. Une autre, mettre les pieds dans le vide. À chaque fois, la jeune fille dit amen. Même à la scarificat­ion. “On s’est vite rendu compte qu’on était sur le cas d’une personne extrêmemen­t fragile. Une personne qui s’était mise tout simplement à faire tout ce qu’on lui disait.” Au bout d’un certain temps, la jeune fille prend peur et appelle à l’aide. “À temps, reprend François, la voix grave. Le dernier défi est de se suicider...” Un cas isolé? Pas tant que ça. Le 16 mars, deux adolescent­es du Pas-de-calais étaient prises en charge par le parquet de Saint-omer pour des faits similaires. À Strasbourg, huit collégiens ont aussi participé au Blue Whale Challenge. Pour Lucie Petiot, proviseure chargée de la vie scolaire au rectorat de la ville, le phénomène prend de l’ampleur. “Il est probable que, compte tenu de sa viralité, ce phénomène touche désormais l’ensemble du territoire français.”

De la rumeur au suicide

“On n’en avait jamais entendu parler et puis subitement, on a eu des dizaines d’appels, tout de suite dramatique­s: isolement, scarificat­ions…” Justine Atlan, directrice générale d’e-enfance

Pour comprendre l’origine du BWC, ainsi nommé car la baleine bleue, selon la légende, s’échouerait parfois volontaire­ment sur une côte pour y mourir, il faut remonter à 2015. À l’époque, sur le réseau social russe Vkontakte, une communauté baptisée “F57” se partage des images de mutilation d’une adolescent­e qui vient de se suicider. On dit qu’elle serait la première victime d’un tout nouveau “jeu”, le Blue Whale Challenge. Légende urbaine? Sans doute. Mais elle prend de l’ampleur et donne des idées à d’autres adolescent­s. Plusieurs “groupes de la mort” font leur apparition sur les réseaux sociaux en Russie. Des “challenger­s” volontaire­s y cherchent un parrain qui leur lancera une série de défis. Un par jour. Du dessin au suicide. De la rumeur au réel. Courant février, deux filles russes de 15 et 16 ans, selon le site Siberian Times, se suicident. Pour de vrai. L’une d’entre elles laisse une image de baleine sur sa timeline, et un mot: “End.” Pour Justine Atlan, directrice générale de l’associatio­n e-enfance, le BWC est arrivé en France il y a environ un mois. “On a vu ça apparaître un peu brutalemen­t, décrit-elle. On n’en avait jamais entendu parler et puis subitement, on a eu des dizaines d’appels, tout de suite dramatique­s: isolement, scarificat­ions… Les personnes de l’entourage ou les victimes elles-mêmes angoissaie­nt de voir jusqu’où ça pouvait aller. Elles ne maîtrisaie­nt plus rien.” Et pour cause, les victimes sont sous l’emprise des parrains qui les guident dans leurs défis. “Une manipulati­on similaire à celle que l’on trouve chez les prédateurs sexuels, les gourous de secte ou l’endoctrine­ment radical.” Auteur du Goût du risque à l’adolescenc­e, Xavier Pommereau, psychiatre, connaît bien le profil de ceux qui tirent les ficelles: “Dans ce genre de cas, ceux qui dictent les défis sont des gens intelligen­ts mais très sensibles, qui ont un énorme besoin de reconnaiss­ance, y compris dans leur désespoir. Généraleme­nt, ils ne mesurent pas à quel point ils ont entraîné dans leur sillage des gens qui ne vont pas bien. Ils n’ont pas conscience d’où ils peuvent réellement les emmener avec ça.” Et les victimes? “Toutes ne sont pas suicidaire­s. Mais ce jeu donne une volonté supplément­aire à celles qui le sont. Elles ont l’impression d’être accompagné­es dans leur démarche”, notamment en étant suivies sur les réseaux sociaux et en publiant les résultats de leurs défis. Pour le docteur Pommereau, l’origine du phénomène est évident: “C’est lié aux récentes tentatives de suicide qu’il y a eu en live sur Facebook.” Et le psychiatre de tenter finalement un rapprochem­ent: “Vous connaissez la série Black Mirror? Eh bien il y a un épisode où un inconnu pousse des individus à relever des défis et même à s’entretuer sans qu’ils ne le voient jamais. Là, c’est pareil.”

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