La mosquée et la peur
Cela se passe à Dammartin-en-goële, en Seine-et-marne, là où les frères Kouachi étaient venus finir leur cavale après l’attentat contre Charlie Hebdo. Deux ans et demi plus tard, un projet de construction de mosquée fait naître des crispations.
Tous les matins, en arrivant au travail, il a la boule au ventre. Michel Catalano n’arrive pas à “vomir”, comme il dit, cette journée du 9 janvier 2015 où les frères Kouachi ont débarqué dans son imprimerie de Dammartinen-goële, en Seine-et-marne, pour le prendre en otage. Avec son collègue Lilian, caché sous l’évier. Depuis, il s’est réfugié dans le boulot pour lutter contre ses “tsunamis dans la tête”, assure qu’il va un peu mieux. La ville s’était calmée, l’agitation autour aussi. Mais depuis fin mars, c’est reparti. La raison? Un terrain nu, sur lequel une association de la commune a pour projet de construire une mosquée. Michel Catalano grimace. Il sait “faire la différence entre des terroristes et des musulmans”, mais “les traumatismes perturbent votre esprit”. Et une chose est sûre: “Ici, ils n’en veulent pas.”
Mais de quoi au juste? Un bâtiment de 1 769 mètres carrés, avec deux salles de prière, des salles de cours, un salon de thé et un centre culturel, le tout situé dans les nouveaux quartiers du nord de la ville et financés par les dons des fidèles. Une réunion de présentation du projet aux habitants s’est tenue le 26 mars dernier. Ce jour-là, dans le gymnase Jesse-owens, l’ambiance est tendue. Sébastien Maniglier, l’architecte en charge de la construction, raconte: “L’accueil a été très compliqué. Avec des arguments complètement délirants. Par exemple, un homme nous a demandé pourquoi dans le salon de thé, on ne vendait pas de bière. Il y a eu des propos racistes, insultants, diffamatoires. Quelqu’un nous a dit à la fin que l’on était en train de bâtir un mausolée pour les frères Kouachi. Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça?” À quelques mètres du possible futur chantier, les pavillons crémeux se succèdent. Élisa vient tout juste d’y emménager. “Il peut y avoir une synagogue, une mosquée ou une église, je m’en fiche, désamorce-t-elle. Les gens ont le droit de prier.” Quelques pas plus loin, Vanessa* n’est pas de cet avis: “Je vivais en région parisienne, j’ai vu les villes évoluer, les habitants avec. Les jeunes sont plus facilement endoctrinés. Il n’y avait pas autant d’extrémistes avant.” Elle dit que “la mosquée fait peur. Et, sincèrement, vu le manque de commerces et de place dans les écoles ici, il y a d’autres priorités.” Dans le centre- ville, Aïcha dit comprendre ces “Dammartinois”. “L’épisode des frères Kouachi influence leurs pensées. Depuis, les gens ont tendance à tout mélanger.” Michel Dutruge, le maire LR, a, lui, le visage maussade. “À chaque nouvel attentat, il y a des journalistes en ville ; à chaque fois, cela nous rappelle ce qui s’est passé ici. Les gens sont encore sous le choc. La moindre polémique fait ressurgir ce passé. Il faut travailler sur la reconstruction.”
“Il faut rassurer”
Cette vision de Dammartin-en-goële n’est pas celle de Stéphane Jabut. Il n’y a pas d’avant et après Kouachi pour l’ancien maire de la ville, candidat PS aux législatives de la septième circonscription de Seine-et-marne. “Quand je me balade, personne ne me parle du 9 janvier 2015. Si les gens sont inquiets, il faut les rassurer, faire de la pédagogie. Le maire ne fait rien, il cultive l’ambiguïté”, attaque-t-il. Michel Dutruge affirme n’avoir jamais été prévenu de ce projet de mosquée, et avoir tout découvert au moment de la réunion, à laquelle il ne s’est d’ailleurs pas rendu. Il dit aussi que, de toute façon, “les terrains sont déjà réservés pour d’autres activités”. Sébastien Maniglier s’insurge: “Le maire est au courant depuis le début! Attendez: toute la ville est au courant, la presse est au courant, l’opposition est là, même des représentants d’en marche! sont présents, et lui ne saurait rien?” Et pour les terrains? “Juridiquement, un terrain réservé, cela ne veut rien dire. Soit il a fait une promesse de vente qui a été validée par le conseil municipal, soit il n’y a rien.” Pour Jabut, cela ne fait pas de doute: “Il ment, rien n’est vendu. Il ne veut tout simplement pas de cette mosquée.” Pourtant, à en croire Saidou Diallo, le président de l’association culturelle et cultuelle de Dammartin, le besoin est “réel”: “Nous avons une grosse communauté musulmane ici. Lors de la dernière fête de l’aïd, la mairie avait mis une salle à notre disposition, nous espérions 50 personnes et plus de 200 étaient venues.” L’homme veut éviter ce qu’il appelle l’“islam des caves”. Il poursuit: “Nous voulons juste un lieu de culte digne de ce nom, transparent, où l’état a un droit de regard et où les prêches sont surveillés.” En filigrane, la polémique autour de la mosquée est aussi le signe d’une ville qui change et gagne chaque année en population. “Aujourd’hui, l’accès à la propriété attire beaucoup de gens, constate Michel Dutruge. Quand vous habitez dans des villes comme Tremblay, Gennevilliers ou Aubervilliers, vous aspirez à un terrain avec un jardin. Dammartin-en-goële est très attractive.” Michel Catalano a vu les changements s’opérer. Les nouveaux arrivants ont toujours été, selon lui, bien accueillis. “Les gens ici étaient contents de voir la ville évoluer, constate-til. Et puis à partir de 2015, j’ai vu un repli sur soi.” Il s’interroge à voix haute. “Est-ce que c’est arrivé à cause du 9 janvier ou bien est-ce l’environnement général en France qui fait ça? Je ne sais pas.”