Society (France)

Les parrains

Parmi les onze candidats en lice pour le poste suprême, François Asselineau est celui que l’on attendait le moins. En réalité, on ne l’attendait même pas du tout. Pourtant, le fondateur de L’UPR, étiqueté très à droite et très porté sur les théories du co

- PAR LUCAS DUVERNET-COPPOLA ET THOMAS PITREL, À MONÊTIER-ALLEMONT, RONCENAY ET MEIGNEUX PHOTO: STÉPHANE LAGOUTTE (MYOP) POUR SOCIETY

Tout va très vite dans la vie de Frédéric Robert. En seulement trois ans, ce jeune homme en chemise blanche est d’abord passé d’une vie sans souci de podologue à Monêtier-allemont, village des Hautes-alpes, à celle de leader d’une liste d’opposition pour la mairie. Puis d’un statut de maire sans étiquette de cette commune de 298 habitants à celui d’édile encarté chez Les Républicai­ns. Il a ensuite découvert que les partis n’étaient que des “syndicats d’intérêt mafieux”, dit-il. Jugez plutôt. Frédéric Robert a d’abord compris que le numéro un de la liste unique vouée à succéder à l’éternel maire sortant en 2014, sur laquelle il avait accepté d’être inscrit, avait pour projet caché de se retirer au lendemain de l’élection pour laisser sa place au… fils de l’ancien maire. “On avait parlé de népotisme avec le fils de Sarkozy, et on allait se retrouver avec le fils d’henri Mevolhon, qui s’appelait aussi Henri Mevolhon. Je me suis retiré et interrogé: moi, maire?” L’équipe qu’il finit par réunir autour de lui est élue dès le premier tour. Las, Frédéric Robert découvre une fois aux manettes une dette abyssale et des plans de “technocrat­es” pour fondre sa commune dans une nouvelle intercommu­nalité. N’en jetez plus? Si, si. Devenu membre des Républicai­ns, Frédéric Robert décide de soutenir Nathalie Kosciusko-morizet à la primaire de la droite et du centre. “J’avais fait une vidéo avec elle lors du congrès des maires et je l’avais trouvée jolie”, plaisante-t-il à moitié. Le jeune maire se rend même à la capitale pour rencontrer sa championne. Résultat? Nouvelle désillusio­n. “Je n’ai vu que des personnes qui parlaient d’affaires, ils n’avaient pas de conviction­s profondes. Je pense que si les gens savaient véritablem­ent ce qu’est un parti politique, il y aurait des morts à tous les coins de rue.” En sortant du 107 boulevard Saintgerma­in, Frédéric Robert, dépité, paumé, dégoûté, ne voit plus qu’une seule solution. Il compose le numéro d’un homme dont il a lu la profession de foi à l’été 2016: François Asselineau, fondateur de l’union populaire républicai­ne (UPR). “Quand je lui ai dit que je sortais de chez NKM, il a rigolé, puis il est passé me prendre en voiture et on est allés boire un coup dans le XIXE arrondisse­ment.” En janvier 2017, le maire de Monêtier-allemont se photograph­ie en train de découper sa vieille carte de L’UMP et annonce qu’il donnera son parrainage à Asselineau pour la présidenti­elle de 2017. Tout est allé très vite, aussi, pour François Asselineau. En 2012, cinq ans après la création de son mouvement, il n’avait obtenu que 17 parrainage­s, pour 1 800 maires contactés. Le 10 mars 2017, le Conseil constituti­onnel annonçait que le chef de L’UPR avait officielle­ment recueilli 587 parrainage­s, soit plus qu’il n’en fallait pour valider sa candidatur­e à l’élection présidenti­elle. Qu’estce qui a donc bien pu changer en cinq ans? Pas grand-chose. Asselineau est toujours cet énarque passé par le RPF de Pasqua et De Villiers, dont le corpus idéologiqu­e est entièremen­t tourné vers l’idée que la France doit sortir au plus vite d’une Union européenne créée en secret par les États-unis pour asservir les grandes nations du Vieux Continent. Certes, L’UPR peut aujourd’hui se targuer de posséder l’un des sites internet de parti politique français les plus visités, notamment grâce aux vidéos des conférence­s aux accents complotist­es de son chef, mais les clics n’ont pas valeur de parrainage. Pour obtenir les signatures requises, il a donc fallu chercher ailleurs. En l’occurrence dans des communes habitées par 419 personnes en moyenne, là où Benoît Hamon et François Fillon étaient respective­ment soutenus par des maires de villes de 5 782 et 4 738 habitants. Dans leur immense majorité, les “maires Asselineau” sont de droite ou sans étiquette, et représente­nt une France qui se sent oubliée de tous. Comme Frédéric Robert, Régis Mocquery en est un exemple. Cet agriculteu­r à la retraite, maire de Roncenay, 154 âmes regroupées à quelques kilomètres de Troyes, dans l’aube, reçoit autour d’une table de salle à manger en joyeux désordre, chez lui, au bord de la départemen­tale qui traverse son village. Dans ce dernier, comme dans plusieurs autres visités, il n’y a plus qu’un agriculteu­r, là où il y en avait cinq il y a 30 ans. Quelques jeunes viennent s’installer pour profiter de la tranquilli­té du coin, mais globalemen­t la population baisse. “Cette année, pour la première fois depuis sa création, notre comité des fêtes n’organisera pas la fête du village. De toute façon, ce n’était plus pareil. Avant, les gens avaient un verre dans le nez dès l’apéro mais l’ambiance était bonne. Ce n’est plus le cas. Il y a quelques années, ça a chauffé, il y a même quelqu’un qui est allé chercher la carabine.” Régis Mocquery a vu le Front national grimper dans la région ces dernières années. “J’ai croisé le maire d’un village voisin à la gendarmeri­e en allant déposer les résultats, il se désolait que le FN soit arrivé premier chez lui. Je lui ai répondu que chez nous, s’il arrivait deuxième, c’était vraiment de justesse. Honnêtemen­t, je ne comprends pas ce qui peut amener quelqu’un qui habite ici à voter pour l’extrême droite.” Frédéric Robert a fait face au même phénomène. Aux dernières régionales, il a pu constater que sa commune, qui jusqu’ici mettait toujours le candidat de droite en première place, s’était cette fois laissée séduire par Marion Maréchal-le Pen. “Dans les campagnes, tu entends des gens qui n’ont jamais vu un Arabe de leur vie dire: ‘Les Arabes nous font chier’, je ne supporte pas ça, s’emporte-t-il. Le mec à côté, il produit des fruits et légumes qu’il vend en Algérie et il pleure parce que les frontières sont fermées. Je leur dis: ‘Mais tu te rends compte à quel point t’es con? Tu vas crever! Il faut que tu crèves, de toute façon.’ Il faut les faire réagir.” Et L’UPR, dont le programme ressemble beaucoup à celui du FN, l’aspect antiimmigr­ation en moins, peut, pour certains, ressembler à un début de réponse. “Asselineau ne veut même pas se dire souveraini­ste parce que pour lui, un candidat à la présidence de la république doit forcément l’être, déplie Frédéric Robert. Ou alors c’est qu’on est passés à un autre monde où il est presque anormal de parler de la France comme d’une nation, d’une fierté, d’un drapeau, d’une enfance, de sécurité sociale, de TGV, d’ariane, etc. Asselineau redonne la parole confisquée aux gens qui aiment la France et qui ne sont pas fachos.” Et ces gens, le candidat de L’UPR a finalement trouvé un moyen de leur parler.

L’efficacité du porte-à-porte

Patrick Belessort reçoit dans l’annexe de sa mairie de Meigneux, 240 habitants, en Seineet-marne. Conseiller municipal en 1983, maire depuis 1997. Lui aussi a vu le nombre d’agriculteu­rs diminuer dramatique­ment. Lui aussi a vu sa population rajeunir et les résidences secondaire­s se transforme­r en résidences principale­s. “Il y en a beaucoup qui travaillen­t sur Paris, parce que nous avons le train qui n’est qu’à neuf kilomètres”, expliquet-il. En 2012, Patrick Belessort avait donné son parrainage à Nicolas Sarkozy. Cinq ans plus tard, celui qui avait choisi Juppé lors de la primaire de la droite dit qu’il votera Fillon malgré les affaires parce qu’“on vote pour un programme, pas pour un homme”. Mais cette année, Patrick, retraité des assurances Axa qui n’a plus d’employé municipal et a donc dû installer lui-même les panneaux électoraux la veille, a souhaité soutenir un petit candidat. “Asselineau s’était présenté aux régionales donc je le connaissai­s de nom. Puis un représenta­nt est venu me voir en novembre dernier, on a pas mal discuté, j’ai trouvé la démarche sympa donc j’avais envie qu’il puisse se présenter. Il y

“C’est le seul qui est venu me voir, ça donne plus envie que lorsqu’on reçoit le même mail que tout le monde. Et puis, avec ses idées un peu nationalis­tes, j’espère qu’il pourra piquer quelques voix à Le Pen” Catherine Millet, maire déléguée de Rougemont

a aussi quelqu’un de chez Poutou qui est venu me voir mais j’ai ma carte aux Républicai­ns, je ne me voyais pas donner mon parrainage à Poutou.” De fait, la candidatur­e surprise de François Asselineau n’est pas l’expression d’une adhésion soudaine des maires de France à ses idées. En vérité, pour obtenir l’aval d’autant d’élus, l’ancien énarque a fait appel à un “profession­nel des parrainage­s”. Norbert Chetail –c’est son nom– serait le meilleur dans son domaine. Trois élections présidenti­elles, déjà, qu’il vend ses services à ceux que l’on appelle “les petits candidats”. À son actif, vante-t-on dans son entourage, les candidatur­es de De Villiers et de Dupontaign­an lors des deux derniers exercices. Chetail, communiqua­nt dans le civil, après avoir été encarté au Front national, puis chez Les Républicai­ns, aurait mis au point une stratégie et un discours imparables. Il faut d’abord, expose-t-on, identifier clairement les meilleurs démarcheur­s. Ce sont ceux qui ont la meilleure connaissan­ce de l’histoire présidenti­elle de la Ve République, et entrer dans un processus “mi-commercial, mi-politique”. Le message à faire passer aux élus rencontrés doit être simple et efficace: le parrainage ne vaut en aucun cas approbatio­n du discours du candidat, il n’est que l’expression de la pluralité démocratiq­ue. Cela n’a l’air de rien, mais dans la France des oubliés, avoir en face de soi un représenta­nt d’un parti qui aspire aux plus grandes fonctions fait la différence. “C’est le seul qui est venu me voir, forcément ça donne plus envie que lorsqu’on reçoit le même mail que tout le monde, on se sent écoutés, pris en compte”, explique Catherine Millet, maire déléguée de Rougemont, dans le Doubs. Dans la vie, Madame Millet est professeur­e d’éco-gestion. Elle se revendique “de gauche”, a voté une fois pour l’autre bord, en 2002, et a donné son parrainage au candidat même si elle n’est pas d’accord avec ses idées. “J’ai l’impression de permettre à quelqu’un d’autre de pouvoir exprimer ses idées, et je trouve ça bien, je l’ai fait par souci démocratiq­ue.” Un temps d’arrêt, pour trouver ses mots: “Il va faire moins de 5%, donc ça ne coûtera rien au contribuab­le. Et puis, avec ses positions souveraini­stes, un peu nationalis­tes, j’espère qu’il pourra piquer quelques voix à Le Pen.” Daniel Cimarelli, le maire de Rédange en Moselle, 979 habitants, est dans la même démarche: “C’est pour donner la parole à tout le monde, qu’il y ait débat et que les idées parfois extrêmes ou choquantes des partis qui ont pignon sur rue puissent être confrontée­s à des demandes extérieure­s qui sont plus ou moins fondées.” Et dans cette volonté d’alternativ­e, une idée en particulie­r a retenu l’attention des parrains.

Du bourrage de crâne?

Jacky Alleau est devenu en 2008 le maire du Ménil-hubert-sur-orne, village de 474 habitants situé dans ce que l’on appelle parfois la Suisse normande, une région de collines verdoyante­s aux confins de l’orne et du Calvados. Moins de dix ans après le début de son premier mandat, Jacky Alleau a peur. Peur de la disparitio­n. “L’orne fait partie de ces départemen­ts qui se sont lancés dans les communes nouvelles, raconte-t-il. On avait 505 communes, on en a déjà perdu 110 ou 115, on est passés sous la barre des 400. Moi, je ne vois pas pourquoi il faut être plus grand et plus fort pour être plus intelligen­t. Je suis prêt à faire une commune nouvelle avec deux ou trois autres petites autour, mais je ne veux pas me noyer dans une grande commune. Même si je ne vais pas voter pour lui, un gars comme Asselineau partage ce point de vue-là.” Lors de leur présentati­on aux maires, les représenta­nts de L’UPR ont bien compris qu’ils avaient intérêt à mettre les bouchées doubles sur le deuxième point du “programme de libération” de leur parti: “l’arrêt immédiat des regroupeme­nts forcés de communes” et “l’inscriptio­n, dans la Constituti­on, des communes et des départemen­ts comme des maillons essentiels de la démocratie française”. Le projet de réforme des institutio­ns de François Asselineau est simple (et identique à celui de Marine Le Pen): revenir à un triptyque État-départemen­ts-communes qui se serait progressiv­ement et insidieuse­ment fait chiper ses compétence­s par l’union européenne, les régions et les intercommu­nalités. Et peu importe si le candidat base son analyse sur des arguments comme le fait que “la Bourgogne franche-comté fait la taille de la Virginieoc­cidentale, la Normandie celle du Maryland, l’aquitaine-limousin-poitou-charentes (désormais Nouvelle-aquitaine, ndlr) celle de la Caroline du Sud”. Pour critiquer la réforme des régions, ses émissaires n’ont pas eu besoin d’aller jusqu’à ce niveau de détail. Les autres candidats ont tout simplement sous-estimé le mal-être des élus ruraux à un point tel qu’ils ont ouvert un boulevard aux émissaires de François Asselineau. Même Catherine Millet avoue n’être “d’accord avec aucune de ses conviction­s, à part sur le développem­ent du monde rural”. Dans les faits, et selon tous les édiles interrogés, les représenta­nts du candidat ont particuliè­rement insisté sur ce point. Pour mieux éluder les propositio­ns et positions qui auraient pu rebuter les maires? Philippe Rubel a vu près de 200 maires en Indre-et-loire. Ancien abstention­niste, il s’est lancé à corps perdu dans la bataille des parrainage­s sur les routes du 37, son départemen­t, une fois sa retraite prise. Il a vu certains maires deux ou trois fois pour les convaincre. “On n’a qu’une bouche, mais deux oreilles, alors je les ai surtout écoutés, dit-il. Je leur ai présenté le CV de François Asselineau et je leur ai parlé de pluralité démocratiq­ue. Je n’ai pas fait grand-chose, pas d’intoxicati­on mentale.” Ce n’est pas forcément l’impression qu’ont eue certains maires ayant fini par signer. Régis Mocquery, de Roncenay, assure que Norbert Chetail, qui était déjà venu le voir plusieurs fois par le passé, lui a vendu Asselineau comme “la suite de De Villiers. Moi, j’avais donné mon parrainage à De Villiers en 2007 parce qu’il représenta­it la rigueur, et puis il y a le Puy du Fou. Alors je l’ai donné à Asselineau en 2017. Après coup, c’est vrai que ce n’est pas tout à fait le même parti”. Patrick Belessort, de Meigneux, a découvert après avoir donné son parrainage qu’asselineau “était peut-être un peu extrême. C’est vrai que ce n’était pas tout à fait ce qu’avait exposé son représenta­nt. Mais c’est le jeu”. Aucun maire pourtant ne dira regretter d’avoir donné son blanc-seing au fondateur de L’UPR. En revanche, sur les 587 qui l’ont fait, seuls six ont rejoint le parti anti-européiste. Reste à savoir si les théories du haut fonctionna­ire sur l’appartenan­ce à la CIA des pères fondateurs de l’europe et la mainmise du FBI sur la montée du FN en France passeront l’épreuve du grand public. Frédéric Robert, lui, n’a pas l’intention de lâcher l’affaire. “Je suis podologue depuis douze ou treize ans et quand je parle de la constructi­on européenne avec mes patients âgés, pour eux, c’est téléphoné que les Américains étaient derrière. Ils te parlent par exemple du fait que ces derniers avaient commencé à émettre une monnaie, qui était bleue, et que De Gaulle a dû finir par les dégager.” Une pause, et puis: “Après, le fait que le FBI soit derrière telle ou telle chose, c’est lui qui le dit. Ce n’est pas moi qui étais dans les allées du pouvoir. Asselineau, c’est quelqu’un qui a entendu des choses que le pékin moyen ne connaît pas.” Et si c’était lui, finalement, le candidat du système?

“Après, le fait que le FBI soit derrière telle ou telle chose, c’est lui qui le dit. Asselineau, c’est quelqu’un qui a entendu des choses dans les allées du pouvoir” Frédéric Robert, maire de Monêtier-allemont

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