Society (France)

3000 LA NAISSANCE D’UNE RÉVOLUTION

À Aulnay, au coeur de la cité des 3000, là-même où le jeune Théo fut agressé par les forces de l’ordre il y a quelques semaines, une voix se fait de plus en plus entendre. Celle d’hadama Traoré, enfant du coin qui défend les habitants des cités, tente de

- PAR RAPHAËL MALKIN / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR

Il y a un policier au pied des tours. Couvé par les hauts murs de la cité des 3000 à Aulnay-sous-bois, l’homme, un fonctionna­ire du renseignem­ent territoria­l, est seul, sans escouade. À quelques mètres de là, sur un bout de grille, flotte une bâche qui assène en bleu, blanc et rouge “Justice pour Théo”, du nom de celui qui fut victime, le 2 février dernier, d’une agression policière à coups de matraque. D’ailleurs, il traîne aux alentours, Théo, noyé au milieu d’une grappe de copains qui ont les mains dans les poches et le regard qui file vers le bas. Tous sont invités en cet après-midi de printemps à venir discuter avec ce policier débarqué du RER en lunettes de soleil. Il s’agit d’une “rencontre” afin, avancet-on, d’aider à rapprocher deux parties que tout semble chaque jour opposer davantage. Une initiative dont l’auteur a les airs tout aussi surprenant­s que les manières. Ce n’est ni le maire ni l’un de ses adjoints qui a organisé la rencontre, mais bien ce bonhomme qui navigue à travers la cité à l’arrière d’un scooter, casque rose sur la tête et mégaphone à la main, en haranguant le voisinage pareil à un troubadour: “Oyez, oyez! Citoyens et citoyennes! C’est l’heure: venez échanger avec la police pour l’avenir d’aulnay!” Hadama Traoré. “Un grand du quartier”, comme on dit. “Hadama n’est pas dans la stigmatisa­tion du policier, tout en étant au coeur de l’actualité. J’étais obligé de répondre à son invitation”, note Alexandre Langlois, l’agent en question, venu expliquer précisémen­t comment les policiers sont formés ou encore dans quel état d’esprit ses collègues investisse­nt un terrain comme celui des 3000. Face à lui, quelques gamins ballon sous le bras, des mères et leur poussette, des militants encartés à gauche. Théo, lui, n’est pas venu, finalement. Mais la prochaine fois, il sera là, doit penser Hadama. “Il n’y a pas d’élus, pas d’administra­tion. Ce sont les gens qui se prennent en charge, balance-t-il dans un large sourire. On montre qu’un policier peut venir sans être embêté dans une cité. C’est une révolution qui commence!”

En plus d’être labellisé grand-des-3000, Hadama Traoré est, disons, grand tout court. Un morceau immense aux épaules larges et à la voix connues du tout Aulnay, “un de ces garçons de cité virevoltan­ts, qui ont du charisme et prennent la parole facilement”, selon l’ancien maire socialiste de la ville, Gérard Ségura, et sur lequel les médias ont braqué leurs objectifs dans la foulée de l’affaire Théo. Catapulté “porte-parole des quartiers”, Hadama Traoré venait alors d’appeler au “réveil citoyen” ainsi qu’à l’émergence d’un “savoir-vivre ensemble”, tout en brandissan­t l’étendard d’un nouveau mouvement: La révolution est en marche. Le voici quelques mois plus tard, dans un pavillon installé à l’ombre d’une rangée de tours. Les enfants courent, sans déranger leur père. Hadama Traoré est occupé à disserter sur ce qu’il a “dans le coeur”. Il ronchonne contre ceux qui érigent la banlieue en terre d’enfer. Ils se trompent: “C’est un endroit de différence­s mâtiné de respect”, martèlet-il. Il parle du couscous et de la ratatouill­e qu’il peut aller manger sur le palier d’à côté, des gens qui travaillen­t honnêtemen­t et qui s’entraident. Il fustige aussi ceux qui les “abandonnen­t”, qui ne “s’occupent” pas d’eux, les politiques, la police et les médias. Beaucoup les médias. “Des gens de BFM-TV sont venus me voir pour que je leur trouve des jeunes ‘qui ont la haine’. Mais c’est quoi ça?” Chaque jour qui passe, comme il le fait avec sa femme, ses amis et tous ceux qu’il croise, Hadama Traoré parle de la nécessité de s’affirmer en tant que collectivi­té. “Mon ami, je parle de révolution parce qu’il faut à tout prix changer le système en banlieue. On doit construire un rassemblem­ent, s’unir. À une époque où le monde est bizarre

“Il connaît notre vie, il a vécu la même chose que nous, il peut parler pour nous. S’il bouge, on sera de tout coeur avec lui” Reda, Badr, Maïdi et Adama, habitants d’aulnay

et la France dans un climat particuliè­rement délétère, il faut être révolution­naire pour penser ça.” S’il déroule par endroits les éléments d’un lexique antisystèm­e un brin stéréotypé, Hadama Traoré a au moins le mérite d’avoir architectu­ré un véritable projet. Parce que rien ne changera si des gens comme lui ne font rien, dit-il. “Je ne suis pas un youtubeur, moi. Je ne poste pas des commentair­es sur Facebook en me disant ensuite que j’ai gagné une bataille. Je suis un homme de terrain.” Il présente La révolution est en marche comme une arche abritant une multitude d’initiative­s citoyennes microlocal­isées. D’une voix d’amiral, il évoque sa Sainte-trinité faite de “civisme, d’insertion et de prévention”, et tous ces “pôles” auxquels il dit vouloir assigner à chaque fois une action en bonne et due forme. Un projet autour duquel plusieurs dizaines de riverains se sont déjà rassemblés. On y trouve notamment la soeur de Théo, Éléonore, qui était présente lors de cette rencontre avec le policier. “Nous devons agir avec la tête, tous ensemble, pour être audibles, dit-elle. Hadama est tout feu tout flamme, mais ce qu’il fait est indispensa­ble. C’est une étincelle pour l’instant, j’espère que cela ira loin.” Dans le quartier de Mitry, où Hadama Traoré a démarré sa carrière d’éducateur, Smaïn, le responsabl­e de l’antenne jeunesse, fait montre d’un enthousias­me haletant: “C’est tout simplement la première fois que je vois quelqu’un d’un ghetto aulnaysien lancer un mouvement de cette ampleur. Avec lui, on ne ferme plus nos gueules.”

“C’est la merde totale”

Très concrèteme­nt, Hadama Traoré balade tous les jours sa gouaille révolution­naire en ville afin de faire vivre chaque ramificati­on de son mouvement. Partout et pour tout. Il y a donc en premier lieu le chapitre policier. Traoré s’est appliqué, en plus d’organiser cette fameuse réunion aux 3000, à ficeler une liste de propositio­ns visant à réguler les relations entre la police municipale et les habitants, qu’il cherche à faire signer par un maximum d’habitants avant de la remettre en main propre à la mairie. “L’essentiel, c’est de faire comprendre que le mot ‘bavure’ n’a pas de sens. Il faut plutôt parler ‘d’atrocités commises par certains individus qui ne méritent pas l’uniforme bleu’”, dit-il avant de détailler ses autres combats. Comme celui qu’il mène contre ces fichues machines Linky, compteurs électrique­s nouvelle génération dont toutes les cités aulnaysien­nes sont équipées et contre lesquels une bonne partie des habitants râlent car ils représente­raient un risque cancérogèn­e. “C’est une affaire de santé publique. J’ai l’impression d’être dans Terminator, la technologi­e nous envahit! On va faire la guerre pour qu’ils enlèvent ces machines!” Le militant fait tourner ces temps-ci une pétition afin de réclamer un référendum municipal sur le sujet. Plus largement, c’est la question du logement dans son ensemble dont

cherche à s’emparer Hadama Traoré. À ce jour, les dossiers de demande de logement social s’entassent par centaines sur le bureau du maire. Proche de certains bailleurs, Hadama Traoré plaide leur cause, parfois avec succès, comme pour cette femme à qui l’on demandait expresséme­nt de quitter le deux-pièces de sa mère décédée même si elle continuait à payer le loyer pour pouvoir y rester. Et puis, il y a la cité des Emmaüs: des ascenseurs cloués au sol, des parois éventrées et des appartemen­ts qui accueillen­t des colonies de bêtes à mille pattes et suintent l’humidité. “C’est la merde totale, il y a des rats, des punaises de lit. J’ai même vu des serpents venus de la forêt! Nos propriétai­res se foutent de nous”, grommelle Papiss, un habitant des Emmaüs, quand l’un de ses voisins, Yaya, tonne encore plus fort: “Il faut le dire: on vit dans un bidonville. On est en train de crever là-dedans.” Regroupés en amicale des locataires, les habitants des Emmaüs sont partis manifester devant le siège de leur bailleur. Tiens donc: c’est Hadama Traoré qui s’est débrouillé auprès de la mairie pour réquisitio­nner des cars permettant à la centaine de manifestan­ts de venir faire le pied de grue sous le donjon d’acier d’emmaüs Habitat à Clichy, dans les Hauts-de-seine. Et c’est aussi Hadama Traoré qui, le jour J, orchestre cette foule composée de femmes, d’enfants et d’hommes, d’anciens ayant bossé toute leur vie chez PSA avant que l’usine ne ferme et de jeunes qui n’ont pas eu le temps de trouver du boulot chez PSA puisque l’usine a fermé. Le dos tourné aux agents de sécurité, surplomban­t du haut de sa silhouette ses camarades de lutte, Hadama Traoré s’égosille au mégaphone. “L’abbé Pierre, qui a fondé Emmaüs, a écrit un texte qui a fait école et

“Je n’ai pas d’ego, mon ami. Je n’ai pas besoin du pouvoir. On ne pourra pas m’avoir” Hadama Traoré

commençait ainsi: ‘Mes amis, au secours.’ C’est à notre tour de dire au secours. On est des gens respectabl­es, on demande la dignité contre les voleurs. On ne bougera pas d’ici tant que l’on n’aura pas ce que l’on veut.” “Hadama est là pour nous aider à prendre conscience de nos droits, note Niamé, une autre habitante des Emmaüs. Il nous met le pied à l’étrier, c’est un moteur. Et il faut du courage pour s’opposer à un bailleur.”

“C’est certain, il y aura un président de chez nous!”

Hadama Traoré a grandi dans l’un de ces immeubles. Et ses parents y vivent encore. La journée, seul son père, retraité, est à la maison. Ce jour-là, les jambes croisées, il regarde depuis son canapé les informatio­ns du journal malien qu’il capte grâce à une grosse antenne installée sur son balcon. Matene, 72 ans, est né et a grandi au Mali, avant de partir cultiver la cacahuète au Sénégal puis de devenir éboueur à Paris et, enfin, de s’installer à Aulnay, où il a élevé ses huit enfants. Derrière ses petites lunettes carrées, il regarde l’épaisse dégaine de son fils Hadama et sourit. “Je suis fier de mon fils, ouais. C’est un gars honnête qui file pas à droite ou à gauche: il va devant.” Matene sourit encore, en faisant glisser ses lunettes vers le bout de son nez. “Il y a dix ans, je n’aurais pas imaginé ça. Je n’aimais pas quand il faisait n’importe quoi.” Hadama Traoré ne s’en cache absolument pas: il était un adolescent compliqué, rétif à l’autorité et se fichant allègremen­t du civisme. Il parle des conseils de discipline qu’il a enchaînés au collège et au lycée, et aussi des bagarres dans lesquelles il s’est fourré presque avec envie, alors. “Comme tous les gamins du quartier, je suis vite devenu grand. Je me suis débrouillé tôt, j’ai tout fait pour avoir ce que mes parents n’avaient pas. J’ai inventé des plans.” Des histoires de palettes, de plaquettes et de paquets de tout fourgués çà et là, murmure-til, en échange de liasses. Heureuseme­nt pour lui, contrairem­ent à d’autres, il n’a jamais fini en prison. “J’ai toujours évité le game over”, se marre-t-il. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a jamais eu affaire à la police. “Pour nous, les policiers étaient des monstres à qui on devait lancer des boules de pétanque, on devait leur rentrer dedans”, pose-t-il. En 2005, lors des émeutes, il est là. Puis, encadré par le Secours catholique, où l’une de ses soeurs l’a inscrit pour qu’il canalise ses humeurs, le jeune aulnaysien passe son diplôme d’éducateur et se fait bientôt connaître en forgeant un armistice entre deux quartiers en guerre. “Cela durait depuis des années, à coups de barre de fer et de flingue. Hadama n’a pas eu peur d’aller parler aux gens”, rappelle Smaïn, son vieux collègue de l’antenne jeunesse. Pour l’animateur, c’était évident que son ami devait finir par engager une “révolution”. Hadama lui-même trouve son cheminemen­t logique. “Je suis quelqu’un d’ouvert et j’ai toujours mobilisé les gens. Quand on trouvait des sous avec les potes, j’étais souvent le premier à organiser un voyage au ski.”

Depuis qu’il est apparu sur l’avant-scène à la faveur de l’affaire Théo, Hadama Traoré a trouvé de l’écho au-delà des frontières de sa ville. Des gens des quatre coins de France, et pas forcément des cités, lui ont écrit un mot de soutien ou lui ont proposé aide et collaborat­ion. Si l’éducateur a eu, par exemple, l’opportunit­é d’organiser cette rencontre au milieu de la cité des 3000 avec un policier, c’est parce qu’il a été joint au préalable par Citoyens & Policiers. Patrick Jacquet, un Lillois proche de ce collectif qui cherche à établir des passerelle­s au sein de la société civile, a pris l’initiative d’envoyer un courrier à Hadama Traoré sitôt après avoir entendu parler de son action. Il parle d’un “langage de paix que l’on ne peut pas négliger aujourd’hui dans la société de conflit dans laquelle on baigne”. Hadama Traoré lui a tout de suite proposé une rencontre, parce qu’il préfère “voir les gens en face”. Dans un tout autre genre, il compte aussi désormais parmi ses relations un publicitai­re parisien, le dénommé Jean-jacques Sebille, passé par Euro RSCG, Saatchi & Saatchi ou DDB. Lui a découvert le jeune homme d’aulnay en tombant sur l’une des nombreuses

“L’abbé Pierre, qui a fondé Emmaüs, a écrit un texte qui a fait école et commençait ainsi: ‘Mes amis, au secours.’ C’est à notre tour de dire au secours. Nous sommes des gens respectabl­es, nous demandons la dignité” Hadama Traoré

vidéos qu’il publie sur les réseaux sociaux. Il lui a envoyé un message, et là encore Hadama Traoré a très rapidement dégainé l’idée d’un rendez-vous. Depuis, les deux hommes échangent régulièrem­ent. “Ce qui est important, c’est qu’il met de la politique là où il n’y en a plus”, dit le publicitai­re. Parfois, Jean-jacques Sebille fait parvenir à son nouveau correspond­ant quelques petites choses, un bouquin ou un film, qui pourraient l’aider à développer sa réflexion, comme dernièreme­nt La Loi du marché. “Moi, je n’ai que l’éducation de la rue, il me faut autre chose”, dit Traoré, qui est aussi parti à Nantes puis à Roubaix pour échanger avec des personnes curieuses de l’entendre. Une manière de se constituer un réseau de relations aussi large que possible. Car Hadama Traoré l’avoue volontiers: il souhaite inscrire son mouvement dans le paysage politique français. Mieux, il se dit persuadé qu’il arrivera un jour à porter le fanion de sa révolution jusqu’à l’élysée. “C’est certain, il y aura un président de chez nous!” En attendant, il votera Hamon à l’élection présidenti­elle. Et il fera tout pour présenter en 2020, année des prochaines élections municipale­s, une liste issue de la frange politique de La révolution est en marche à Aulnay. “Et on gagnera, je suis sûr de moi à 50 000 %! On va tuer les politiques, ils ne vont rien comprendre!” Pour justifier un tel élan, Hadama Traoré et ses camarades déplient la liste de ce qui ne va pas en ville: la survivance de disparités entre le nord et le sud, la hausse générale des impôts, l’absence d’assistante­s sociales rattachées à la ville ou encore la fin des fêtes de quartier. Ils notent aussi le dégoût des gens du cru pour le “clientélis­me”. Mais ce qui nourrit particuliè­rement l’enthousias­me des partisans de La révolution est en marche, c’est la compositio­n de la sociologie électorale d’aulnay. En 2014, le candidat de la droite, Bruno Beschizza, a remporté les élections municipale­s au second tour contre le sortant socialiste Gérard Ségura avec 14 000 voix. Dans une ville qui compte près de 83 000 habitants. Deux chiffres qui, rapportés l’un à l’autre, lèvent le voile sur le nombre important d’abstention­nistes que pourrait possibleme­nt mobiliser l’équipée de La révolution est en marche. “On a une réserve de voix extrêmemen­t importante, s’enthousias­me Omar N’diaye, compagnon de route de Traoré. Simplement, il faut faire comprendre aux gens que c’est possible.”

“C’est une aventure, mais cela peut être désastreux”

Dans une ville où un peu plus de 30 % des habitants ont moins de 25 ans, cette réserve se retrouve surtout parmi les jeunes vingtenair­es, dont une bonne part n’a jamais voté et n’est même pas inscrite sur les listes électorale­s. Toujours la même chose: un désintérêt pour la chose politique fondue dans une rengaine plus générale contre un système qui, dit-on en choeur, se fiche des jeunes. En bordure de ville, là où les rues séparent Aulnay-sous-bois de la voisine Sevran, dans un salon à chicha, plusieurs garçons ruminent contre les policiers qui les obligent à se “mettre en garde”, les rappeurs qui ne les “représente­nt pas”, les gens de la mairie qui leur “refusent” des petits boulots, et leur envie “d’être libres et d’aller à Paris comme n’importe qui”. Ils ont 20 ans ou un peu plus et déjà un début de vie: l’un étudie la comptabili­té, l’autre vient de passer son diplôme d’éducateur, les autres ont entamé un cursus universita­ire de droit. Reda, Badr, Maïdi, Adama. “Et pourtant, on a la haine qui brûle en nous. Et Hadama, il le sait”, disentils. Tous connaissen­t le grand frère des 3000 ou ont entendu parler de lui. “Il sait ce qu’est notre vie, il a vécu la même chose que nous, il peut parler pour nous. S’il bouge, on sera de tout coeur avec lui.” Hadama Traoré dit qu’il ira tous les chercher, ces gamins-là. Qu’il poussera la porte de tous les bars à chicha, écumera tous les arrêts de bus et les sorties de la gare RER, montera sur les toits des tours. Et ils se rallieront à lui. 50 000 %, a-t-il dit. Au sein de l’équipe du maire Bruno Beschizza, un ancien syndicalis­te policier réputé pour ses affinités sarkozyste­s, l’activisme d’hamada Traoré ne fait pourtant pas lever beaucoup de sourcils. “Il ne représente personne, n’est le porte-voix de rien”, croit savoir quelqu’un à l’hôtel de ville. Quant à Gérard Ségura, aujourd’hui chef de l’opposition municipale, lui aussi se refuse à voir dans La révolution est en marche une véritable menace pour l’échiquier politique local. Selon l’ancien édile, Hadama Traoré se tromperait en s’imaginant rafler les voix de tous ceux qui, pour l’instant, se sont tenus à l’écart des moments électoraux: ce n’est pas parce que l’on ne vote pas que l’on attend forcément une réponse comme la sienne, dit-il en substance. “Et puis, je ne pense pas qu’hadama Traoré ait la capacité organisati­onnelle pour porter le fardeau d’une campagne. Il ne faut pas quelques fantassins pour faire élire quelqu’un, il faut un bataillon. Et un programme! Pour l’instant, je ne vois rien.” Gérard Ségura connaît bien Hadama Traoré: il était son élève lorsqu’il enseignait encore l’espagnol au lycée technique Voillaume d’aulnay. Comme Hadama, Moktar Farhat vient du nord de la ville. Comme Hadama, il a eu, en son temps, l’idée de bâtir une plateforme citoyenne visant la conquête de la mairie. C’était en 2014 et contre toute attente, la liste “Aulnay vers le haut” menée par cet entreprene­ur avait grappillé un peu plus de 5% des voix du scrutin. “Nous avons ouvert une brèche”, dit-il aujourd’hui. Contrairem­ent aux caciques de la droite et de la gauche, Moktar Farhat, qui n’envisage pas de se représente­r en 2020, estime que La révolution est en marche peut légitimeme­nt imaginer quelques ambitions pour les prochaines élections. Pas forcément au point de présider le conseil municipal, mais plutôt pour jouer les trouble-fête: 10 % des voix, anticipe-t-il. Mais il faudra être prêt à guerroyer. Être capable de résister aux petites sournoiser­ies et magouilles des campagnes. Ces militants qui arrachent les panneaux du camp d’en face, ces colistiers en larmes qui se retirent après avoir reçu des menaces anonymes. “Si Hadama Traoré veut avancer, il faudra qu’il soit habile et qu’il se protège, prévient Moktar Farhat. C’est une aventure, mais cela peut être désastreux.” “Jamais de la vie!” Lorsqu’on le prévient de ce que disent les autres, Hadama Traoré annonce qu’il n’a pas peur. Il le répète: les révolution­naires vont jusqu’au bout. “Je n’ai pas d’ego, mon ami. Je n’ai pas besoin du pouvoir. On ne pourra pas m’avoir.” D’ici là, il y a de toute façon toutes ces petites choses qui alimentent la routine des cités d’aulnay et dont il faut encore s’occuper. Sous le soleil de ce début de printemps, des gyrophares strient de leur lumière bleue les rues des 3000: un jeune à moto a tenté d’échapper à une brigade, avant de s’encastrer contre une voiture et de s’enfuir à pied. Aussitôt, le long des trottoirs, au milieu d’une nuée d’enfants et de jeunes gens, sous le regard interloqué de mères aux balcons, plusieurs colonnes de policiers sévères, Serflex à la ceinture et Flash-ball au poing, se sont mis à patrouille­r dans la cité. L’état d’urgence pour un resquilleu­r. Alerté par cette descente improbable, Hadama Traoré a rappliqué en trombe. Face aux forces de l’ordre, il braque l’objectif de son téléphone portable. “Tu es dans mon champ”, l’avertit l’un des hommes en bleu. “Je suis dans le champ? s’interroge en retour le grand frère. Attention, tu ne sais pas qui je suis. Regarde-moi bien dans les yeux: je suis un citoyen. Ne l’oublie jamais.”

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 ??  ?? La Rose-des-vents, à Aulnay.
La Rose-des-vents, à Aulnay.
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Hadama Traoré en leader de manifestat­ion devant le siège d’un bailleur social.
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Avec Sonia, une militante, à Bobigny.

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