Society (France)

Marie-christine, 52 ans, née à Effincourt (Haute-marne) Aide maternelle

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“Moi, je suis très heureuse d’être française. Et je le prône, hein. Parce qu’on est heureux. Attends, on t’oblige à rien. Les gosses sont heureux. Les parents ont la parole pour tout. Le système social. Le travail, bon… On a des lois qui sont pondues qui sont pas trop… Mais il faut admettre qu’on est heureux en France. Et moi, je dis: ‘Vous avez bien de la chance d’être nés en France hein, il y a des pays…’ Les gens, ils s’aperçoiven­t même plus des belles journées qu’on a devant nous. D’avoir la chance de vivre en France. D’avoir la sécurité sociale qu’on a. Des suivis merveilleu­x. C’est vrai que l’emploi reste un petit peu le souci. Bon. Mais autrement. Les gens sont tellement pris dans une course à l’argent, à l’actualité permanente! Tu vois les piots, tout à l’heure, ils me disent: ‘Mariechris­tine, t’as laissé ton téléphone.’ Bah oui, je vis pas avec. Facebook, j’en ai rien à faire. Les gens vont trop vite, et ils se compliquen­t l’existence. Tout, tout de suite. Ils ne savent plus attendre. Avant, les colis, c’était La Redoute, ils arrivaient quand ils arrivaient. Maintenant, en 24 heures, ils doivent être là. Simon, mon fils, il a commandé hier, il voudrait que ce soit là aujourd’hui. Je lui dis: ‘Eh, cool.’ On a vécu sans ça et on y est arrivé.

Alors je trouve que la vie est très belle, mais elle est très dure. Moi, bizarremen­t, là où je me suis trouvée très bien, c’est quand je suis tombée malade, ça m’a fait voir autre chose. J’ai eu deux cancers. À travers ça, je me suis découverte. Quand j’ai vu le génie de tout le personnel soignant et tout ça, et que je m’en suis très bien sortie, je me suis dit: ‘Il faut que je fasse quelque chose pour les autres.’ Alors je me suis mise à être hospitaliè­re huit jours par an à Lourdes, pour donner de mon temps pour les malades. Croyant ou non croyant, ce que tu veux, c’est donner de ton temps à des personnes malades, de tous âges, de tous horizons. T’es pas obligée d’aller aux messes, t’emmènes ton malade, tu peux aller à une terrasse de café et boire un coup, ce qu’on te demande c’est de venir le rechercher. Je trouve que c’est une très belle expérience. Je me suis rendu compte que je pouvais donner autant que recevoir. Je ne sais pas si les gens savent donner ni même s’ils savent qu’ils peuvent donner. Mais on peut donner. Beaucoup, beaucoup. Dans tous les domaines. Moi, j’ai envie de me donner.

En décembre, pendant un mois, j’ai accompagné une amie, une amie de mon âge, 52 ans, cancer des intestins, elle s’en est pas sortie. Il y a ça, aussi. L’amitié, c’est quelque chose qu’il faut prendre au sérieux. Quand tu donnes l’amitié à quelqu’un, peu importe où ça va t’amener, il faut que la personne soit sûre de ton amitié. Cette amie-là, c’est une amie de collège, on ne s’est jamais quittées. Quand elle m’a appelée au secours un mardi soir à 23h, j’y suis allée, on l’a emmenée aux urgences. Finalement, Blandine, je l’ai quittée le 17 janvier à 5h30 en lui disant: ‘C’est fini, il faut que tu partes, ton corps n’en peut plus.’ À 9h30, on me téléphonai­t que c’était fini, j’avais passé ma dernière nuit avec elle. Elle n’est pas partie toute seule. Elle a entendu des mots rassurants. C’est ça, l’amitié. C’est pas que pour rire et aller au resto. J’étais allée à Dijon avec elle, elle m’était tombée dans les bras parce que le médecin lui avait dit: ‘Je ne peux plus rien pour vous.’ C’est la mort? Bah oui, c’est la mort. Les gens ont peur de la mort, mais faut se rendre à l’évidence qu’on va tous y aller. J’ai vu mes grands-parents mourir, je suis allée les voir morts, il faut pas raconter de bêtises aux enfants, ça fait partie de notre vie, la mort. Faut pas qu’on ait peur. Quand on ne voit plus rien, c’est ça qui te…

Nous, on a vraiment eu de la chance. On sortait de l’école, on avait un boulot. Pour ça, jusqu’en 1980, c’était beaucoup plus simple, les gens se prenaient beaucoup moins la tête, beaucoup plus de conviviali­té, parce que là, il y a les tablettes, il y a les ordinateur­s, il y a la télé qui a pris une place énorme. Tu vois plus un gamin jouer dans les cours, dans les rues… Moi, mon enfance, elle a été dehors hein, avec les copains de village à Effincourt, pendant 20 ans. Aujourd’hui, tu as plus de communicat­ion, les gens supportent plus les enfants, le bruit des gosses, un éclat de rire, un coup de ballon. Aujourd’hui, tu envoies le ballon chez le voisin, tu finis peut-être à la gendarmeri­e. Tout est régi par la peur. On n’ose plus aller… La peur est installée involontai­rement chez tout le monde. Avant d’entamer un dialogue, c’est tout de suite la gendarmeri­e. On ne prend plus le temps de parler. Par exemple, mes collègues sont devenus très précieux. Depuis quatre ou cinq ans, on s’est tous soudés, Caroline, Patrick, Aurore, moi, le clan enseignant. On a tous eu des avaries, je crois que ça soude, quand même. Caroline est partie en vacances, elle nous a rapporté un stylo à tous. Patrick, à chaque veille de vacances, il nous invite. L’autre jour, on a fait une soirée crêpes, tu vois. On est peut-être à la recherche d’autre chose, en fait. Partager des choses entre nous.”

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