Society (France)

Raphaël, 46 ans, né à Échenay (Haute-marne) Garagiste

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“Je suis heureux, là, maintenant. Avant, c’était plus simple, peutêtre. Mais ceux qui pensent que c’était mieux avant, ils ont pas trop la notion de ce que c’était. Donne-moi juste une date! Quand j’étais jeune, j’ai rencontré des vieillards qui semaient dans les champs pieds nus pour pas abîmer les nouvelles chaussures en cuir. Et ils se levaient à 4h du matin, il fallait traire les vaches, ils allaient à pied dans le village d’à côté chercher le pain. Si tu dis que c’était mieux avant, bah tu peux t’y mettre, tu prends une petite baraque avec un lopin de terre, et puis tu commences à cultiver. Tous les ouvriers que je connais, il disent pareil, que c’était mieux avant. D’accord. Mais bon, ils avaient pas de sécu. La moitié, il leur manquait les dents. Il manquait souvent des doigts et tout ça. L’autre, il s’était fait couper le bras, et il travaillai­t toujours à l’usine hein, il était pas requalifié quelque part dans une espèce de service informatiq­ue ou quoi que ce soit, il travaillai­t avec un bras. Quand j’étais gamin, il y avait monsieur Labbé, il était commis du village, il avait qu’un bras. Pour un commis de village hein, tu balayes et tu ramasses les feuilles. Alors, comment il faisait? Bah il faisait. Il collait la pelle comme ça, et avec sa main il ramassait les feuilles.

Je suis revenu vivre ici parce que c’est mon fief. Je suis attaché à ma terre. Quand tu discutes avec les gens, ceux qui sont jamais partis, ils te disent: ‘Ouais c’est dur ici, Joinville, c’est une ville qui est morte, c’est que des cas soc’, tout ça. Pure illusion. Je te le dis parce que je l’ai vécu. J’ai vécu à Reims, à Dijon, à Langres. C’est beaucoup plus impersonne­l quand même. Évidemment, t’as plein d’activités, mais peut-être de trop. Tout le monde dit: ‘Paris, c’est super.’ Mais tout le monde a pas les moyens d’aller au cinéma, au théâtre, aux exposition­s. T’as tellement de choses à faire, tu fais rien. T’es crevé. Moi, je serais super-frustré. Le temps, c’est important. Par exemple, je suis anti-série. Anti-série parce que ça bouffe le temps. Tu veux suivre, tu rentres plus tôt, tu te stresses, tu te dépêches pour ça. Voilà, du coup t’as pas raté ton épisode de ta série. Parce que c’est ta série, tu te l’es vachement appropriée. Donc, il n’y a pas de série chez moi. C’est strictemen­t interdit. Tu regardes un film à la télé si tu veux, mais il n’y a pas de série. C’est mon point de vue hein, il vaut ce qu’il vaut. Mais je pense que mes enfants, ils sont heureux aujourd’hui. Je le sens.

Le problème, en France, pour les gens, c’est qu’ils consomment tout le temps. Tout le temps, tout le temps. Et je crois que ça les rend malheureux, frustrés. J’aimerais pas qu’on tombe dans un système comme aux États-unis, où t’empruntes pour tout et rien. T’achètes une bagnole à crédit, un téléphone portable à crédit, les meubles à crédit... Ils sont vraiment dans la consommati­on. En France, maintenant, le système de consommati­on commence à un très jeune âge. C’est pour ça que pour moi, à l’école, tout le monde devrait avoir le même costume, point. Commence pas avec ton Naf Naf, ton machin. Ça commence là, hein. Tu fais la rentrée d’école, tu te pointes dans le rayon pour les trousses, t’as pas une trousse sans marque, elles sont toutes à Mickey, Lolita, les machins comme ça.

Attention, je suis optimiste. Là, je vois tous les jeunes de la génération de mon fils, il a 20 ans: tout ce qu’ils font en coopérativ­e! Les gens mettent des bouts de jardin, des pieds de tomate, du persil, en copropriét­é, chacun passe faire son petit truc. Là, ils sont en train de réhabilite­r tous les petits jardins des coteaux, où il y avait des vignes dans le temps, pour faire des jardins, comment ils appellent ça déjà… des jardins associatif­s. Je trouve ça génial. Ça peut rendre les gens heureux. En France, on a le système éducatif, quoi qu’on en dise, il est super. Les profs, ils sont bons dans l’ensemble. On a un système de santé qui est exceptionn­el aussi. En France, on a un niveau de vie qui est nettement supérieur à l’ensemble de la population mondiale. On est des privilégié­s. À mes enfants, je leur dis: ‘Oh, on va aller un peu en Inde, tu vas voir comment c’est.’”

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