Society (France)

Yolande, 27 ans, née à Paris Responsabl­e RH

-

“En tant que femme noire, en vrai, il n’y a pas de meilleure époque que l’époque que je suis en train de vivre. Être une femme, être noire dans les années 60, pardon, mais… Et avant ça, n’en parlons pas. Je n’aurais pas pu être aussi libre. Il n’y avait pas de gens comme moi avant: mes parents ont émigré en France, ils sont de religions différente­s, de pays différents. Leur rencontre est le produit d’énormément de choses qui n’existaient pas avant. Donc, la belle époque, c’est maintenant. J’ai pas d’autre belle époque possible. Et en même temps, j’ai toujours refusé d’être la caution du système. J’ai jamais voulu me penser comme une élue de la méritocrat­ie. Quand t’es noire à Sciences Po, comme moi, t’es repérée par des gens qui veulent t’utiliser comme alibi. Je m’y suis toujours refusée. Surtout qu’ils voulaient me mettre en avant, en mode ‘l’école l’a sauvée’, alors que je n’ai jamais eu de bourse. Je déteste la posture des gens qui disent: ‘Je vais sauver l’humanité.’ J’aimais déjà pas les gens comme ça quand j’étais dans la merde, alors du coup maintenant que j’y suis moins, j’ai pas envie de reproduire cette posture de sauveur des petites gens de banlieue.

Je me suis pris une grosse déprime, une grosse claque, quand je suis sortie de l’école. C’était une grosse désillusio­n sur plein de points: qu’est-ce que je vais faire de ma vie? À quoi ça sert tout ça? En fait, le gros truc, c’est que j’avais pas envie d’avoir la vie de mes parents… J’adore mes parents, je suis hyper admirative de leur parcours. Mais franchemen­t, j’ai pas l’impression qu’ils aient vachement profité de leur vie. Tu trimes toute ta vie, dans un boulot que t’aimes moyennemen­t, tout le temps à courir après l’argent, les impôts, les trucs. Je savais d’instinct que je ne voulais pas me fatiguer autant qu’eux. Ce qui me rassure un peu, c’est l’impression que c’est génération­nel. Je sais pas d’où ça vient. Mes parents m’ont laissée très libre, ils ont été très compréhens­ifs avec mes choix, et ça me surprend, parce que, souvent, je leur dis: ‘Vous me laissez faire, mais pourquoi vous n’avez pas pris cette liberté pour vous?’ Je ne sais toujours pas.

On a hérité d’un monde qui n’a pas grand sens, en vérité. Mais quand notre génération viendra au pouvoir, j’ai l’espoir que le monde sera plus sympa à vivre. Je suis sûre que la génération d’après, on va lui laisser un super monde. J’espère. Il y a un truc qui s’est passé avec notre ego. Étrangemen­t, on passe tout ce temps sur les réseaux sociaux à se montrer, mais on a moins d’ego que ceux qui veulent dominer le monde. Je connais vraiment absolument personne de ma génération qui se dit: ‘J’ai envie de dominer le monde’, même parmi les entreprene­urs. Je côtoie des mecs et des nanas qui entreprenn­ent, et ils ne le font vraiment pas dans une logique de domination, pour l’ego. Ils sont plus dans l’envie de kiffer leur vie, de créer un truc.”

Newspapers in French

Newspapers from France