Society (France)

Joël Emegnonhit­on Degbo, 26 ans, né à Paris Artiste

-

“J’ai délibéréme­nt décidé de m’installer à Aulnay, c’est ce que je kiffe, c’est là où j’ai grandi, et c’est aussi ça qui nourrit mon travail. Je suis artiste, bon, j’aime pas trop ce mot… Mais s’il y a un truc qui fait que t’es ‘artiste’, c’est peut-être que tu sens un peu mieux le grizou, tu captes pas mal de choses, t’es une éponge à conneries. Le fait de voir tout ça arriver, ça te permet de prendre de la distance. À la cité, personne ne pense à se dire: ‘Je vais faire de

la peinture.’ Sinon, ça se saurait. J’avais envie de kiffer, et il n’a pas fallu qu’il m’arrive des trucs horribles pour que je me dise ça.

Quand je suis arrivé en prépa arts, je savais que c’était un truc de galérien, je savais que j’allais galérer dans l’art. Lors de ma première année aux Beaux-arts, je me souviens d’une nana hyperculti­vée, qui m’a sorti: ‘Non mais… on n’aura pas de travail après les Beaux-arts?’ Elle venait de s’en rendre compte. Mais fais autre chose si tu cherches le confort. Moi, ce qui me rend heureux, c’est de réaliser des projets, d’avoir toute ma tête, et de maintenir certaines idées que j’ai. Rien que le fait de produire, ça me rend déjà joyeux. C’est ça, la finalité: d’avoir son carré de pensée, de production, de réflexion et de pouvoir le partager avec facilité. Je pense que les gens malheureux sont souvent ceux qui n’ont pas la possibilit­é de produire quelque chose dont ils sont fiers. Quand je fais des clips ou des vidéos avec les gars de mon groupe, on n’est pas chers. Tu nous donnes cette opportunit­é de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire, on ne va pas te saigner. Même si tu nous mets la douille, on s’en bat les reins, on veut juste produire. On compte, on compte, on compte, on a des galères de fric, mais on ne pète pas un câble, parce que ça te détourne de la vraie question, qui est: quelle est la qualité de la chose qu’on veut rendre?

Moi, j’ai reçu énormément d’attention mais pas de thunes. Et finalement, aujourd’hui, je suis heureux, j’ai eu l’attention qu’un être humain devrait recevoir. On avait tout le temps les huissiers, ça sonnait le mercredi, le jour des enfants. ‘Non mais ils sont pas là.’ On allait être expulsés salement, pendant des années. Toutes ces années, j’avais rien, je me disais: ‘On est pauvres.’ Sauf que mon père envoyait de l’argent au Bénin. Là-bas, il n’y a pas de sécurité sociale. En allant au Bénin l’année dernière, je me suis rendu compte de tous les sacrifices que mon père a faits. J’ai vu tout ce qu’ils ont pu faire grâce à ça. Les oncles qui auraient fini aveugles, eh bien ils sont pas aveugles. L’autre qui a eu d’énormes problèmes de dos, on lui a redressé le dos. Tu vois ce que je veux dire?”

Newspapers in French

Newspapers from France