Society (France)

La génération Mélenchon.

- TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR AP

En 2012, il avait réalisé une OPA sur la gauche de la gauche. Cinq ans plus tard, il a fait le match jusqu’au dernier moment pour la qualificat­ion au second tour. Pour passer de 11,1% à près de 19%, Jean-luc Mélenchon a attiré vers lui pas mal de brebis socialiste­s, mais pas seulement…

solidarité vis-à-vis des plus pauvres, c’était Mélenchon. Je me retrouve dans son discours économique et social, dans sa volonté d’éradiquer la pauvreté, de limiter les contrats précaires, de donner les meilleurs soins à tous.” Même sur le plan de l’écologie, l’étudiant relie le pape et le politique: “François dit de prendre soin de la Terre parce que Dieu nous l’a offerte et Mélenchon parce qu’on n’en a qu’une et que la transition énergétiqu­e va créer les emplois de demain. Mais le message est le même: en finir avec le court-termisme et que le bien de tous prime sur les intérêts privés, l’avidité des spéculateu­rs.” Pour Camille, qui effectue actuelleme­nt son service civique dans la protection des milieux aquatiques en Gironde, l’insoumissi­on est aussi passée par l’environnem­ent. En 2012, elle avait pourtant voté Nicolas Dupont-aignan. Un choix qu’elle met sur le compte de l’indifféren­ce politique de ses 20 ans. “Je ne m’étais pas penchée plus que ça sur la question. Je ne savais pas trop pour qui voter, alors j’écoutais ce que mes parents me disaient.” Depuis, elle a aiguisé sa conscience écologique à travers ses études dans la protection de l’environnem­ent. “Je me suis renseignée et j’ai vu que Mélenchon était celui qui développai­t le programme le plus ambitieux. Il a conscience du monde dans lequel on vit. Que ce soit au niveau de la transition énergétiqu­e ou de l’agricultur­e biologique, son programme est très détaillé.” Si son père est resté debout avec Dupont-aignan, Camille a en revanche réussi à convertir sa mère, une déçue du sarkozysme. “Elle ne voulait pas entendre parler de Fillon avec toutes ses affaires. Elle a même essayé de dissuader ses amies de voter pour lui. Et comme elle produit de l’huile d’olive bio, elle est aussi préoccupée par les questions d’environnem­ent.”

L’afflux d’électeurs socialiste­s

Mais si Emmanuel Carrère ou l’huile d’olive mènent parfois à Jean-luc Mélenchon, l’itinéraire principal part plutôt de la rue de Solférino et des militants ou électeurs socialiste­s qui ont choisi d’abandonner “la vieille maison” chère à Léon Blum. Sonja n’a pas connu le congrès d’épinay de 1971 “mais presque”. Elle a rejoint le PS trois ans plus tard. Comme son mari, cette traductric­e résidant en Suisse a rendu sa carte du parti l’an dernier. “On aurait dû le faire avant, Mélenchon l’a osé en 2008. Mon coeur battait plutôt pour lui en 2012, mais j’avais bêtement voté utile pour Hollande.” Elle n’attendait pas une révolution de la part du champion des synthèses de fin de congrès, mais elle a quand même été déçue, peut-être parce qu’elle espérait qu’il ferraille un minimum face à son “ennemi” de la finance. “Ma fille travaille chez Pôle emploi, elle est désespérée de ne pas avoir les moyens d’aider les gens. Hollande ne peut pas dire que la situation s’est améliorée”, dit-elle. Matthieu, lui, n’a pas envie d’accabler le président sortant. Mais il n’a pas eu envie non plus de voter socialiste. “Je ne suis pas de ceux qui disent que le quinquenna­t d’hollande a été une catastroph­e, mais je ne me voyais pas voter une nouvelle fois pour le PS”, justifie ce manager parisien de 31 ans issu d’un milieu populaire “où le vote socialiste allait de soi”. Mais pas cette fois pour lui: “Hollande ne s’est pas attaqué au monde de la finance. Quand j’entends Mélenchon, je me dis que lui aura ce courage et fera moins de compromis.” Pour Lucas*, il s’agit d’abréger les souffrance­s d’un PS qui s’est oublié en route. “Je retrouve chez Mélenchon un discours plus généreux. Il n’a pas, contrairem­ent aux socialiste­s, abandonné les classes populaires, explique ce trentenair­e qui travaille dans l’hôtellerie de luxe. Quand je vois que le PS est dirigé par un type comme Cambadélis, je me dis qu’il n’y a plus grand-chose à espérer. On n’en est plus à mettre des pansements, il faut amputer.” Et la victime collatéral­e s’appelle Benoît Hamon. Chez ces transfuges socialiste­s, on est presque désolé d’avoir abandonné le candidat désigné à son sort et son score à un chiffre. “Le pauvre, il s’est fait trahir de tous les côtés par Valls et compagnie. On dirait Rémi sans famille”, chambre Laura, 32 ans, chef de projet dans le marketing à Bordeaux. Baptiste a voté Hamon lors de la primaire, il a pourtant fini la campagne en tractant pour La France insoumise chez lui, à Saintouen. “Quand j’ai découvert que dans ma circonscri­ption, le candidat socialiste serait Bruno Le Roux –et c’était avant que son affaire éclate–, c’est-à-dire quelqu’un qui a défendu et incarné la politique et les reniements du gouverneme­nt pendant cinq ans, j’ai compris que les choses n’allaient pas changer”, regrette l’étudiant, qui prouve que l’on peut déjà être un socialiste amer à 21 ans. Quant à Hamon, “on a peut-être grillé une personnali­té d’avenir avec cette campagne perdue d’avance”, déploret-il. Militante et écologiste, Joséphine* aurait pu rallier l’éphémère ministre de l’éducation nationale comme Yannick Jadot, mais elle a préféré Mélenchon. Peut-être parce que tout frondeur soitil, Hamon passe pour le dernier chargé d’éteindre la lumière dans la maison socialiste. “Il aurait pu incarner un certain renouvelle­ment à gauche, observe cette institutri­ce de Mulhouse. Mais il n’a pas eu cinq ans pour se préparer, élaborer un programme et se détacher d’un parti comme l’a fait Mélenchon.”

Joséphine a pourtant nourri quelques réticences avant de suivre le mouvement. “En 2012, je trouvais qu’il avait un côté gourou. Venant des Verts, où par tradition on se méfie des leaders trop charismati­ques, j’avais un peu de mal. Mais finalement, je me dis qu’il met sa personnali­té au service d’idées. Et que notre société n’est pas encore assez mûre pour se passer d’un leader.” Si La France insoumise veut abroger la monarchie présidenti­elle, elle a en effet construit sa campagne autour de la personnali­té de son leader, jusque dans la mise en forme des meetings. Avec un tribun comme Mélenchon, pas besoin de première partie pour chauffer la salle. L’ancien ministre délégué à l’enseigneme­nt profession­nel déboule pour délivrer une performanc­e autant qu’un cours magistral entre références historique­s, digression­s personnell­es, poèmes de Paul Éluard et pédagogie. “En meeting, il se présente un peu comme l’instituteu­r du peuple, cadre son directeur de campagne Manuel Bompard. On a tous eu ce prof au collège ou au lycée, un peu sévère mais qui nous a beaucoup appris.” Ce souci de pédagogie a séduit ses élèves arrivés en cours d’année. À l’image de Caradec, qui avait contribué aux 2,3% d’eva Joly lors de la dernière présidenti­elle. “Quand je l’ai entendu lors des débats, il ne m’a pas assommé de chiffres. Il a une façon concrète de parler des enjeux, il vous explique les choses”, vante ce restaurate­ur résidant près de Nantes. Paul, encore un transfuge socialiste, a été capté, lui, par les envolées intellectu­elles du candidat. “J’ai fait des études littéraire­s, j’ai besoin d’un candidat qui utilise des outils intellectu­els. Mélenchon est le seul qui commence ses discours par Montaigne et les conclut par Pascal.” Toujours rhéteur dans le fond,

“On n’a pas cherché à s’adresser seulement aux électeurs de gauche, à dire qu’on était la meilleure gauche, la vraie gauche” Manuel Bompard, directeur de campagne de Jean-luc Mélenchon

Mélenchon a vu ses défauts de 2012 devenir des qualités. La véhémence passe pour de la conviction, la radicalité pour du courage. “Il peut paraître agressif, mais j’ai fini par percevoir que cette violence venait d’une sincérité qu’il avait en lui”, estime Matthieu. S’il n’enfonce pas Hollande, Franck s’est aussi rallié au candidat Mélenchon et à son caractère affirmé. “Moi, ça ne me dérange pas: quand tu es à la tête du pays, il faut avoir un peu d’aplomb quand même”, juge ce directeur de magasin en Bretagne. Lucas se demande de son côté si vraiment, le Mélenchon de 2017 est moins “rouge” que celui de 2012, ou si c’est le pays qui a changé en cinq ans. “J’ai sans doute plus de colère en moi. Dans l’hôtel où je travaille, j’ai vu les emplois précaires se multiplier depuis qu’on appartient à un grand groupe. Avant, les dividendes étaient distribués au personnel ; maintenant, tout part pour les actionnair­es. Alors, ça me parle davantage quand il dit que c’est indécent d’être milliardai­re.”

“Une grande part d’aventure”

Jean-luc Mélenchon a pu rassurer les lecteurs du Parisien en jurant qu’il n’était “pas un candidat d’extrême gauche”, la radicalité de son message autant que sa conversion à l’écologie ou sa VIE République ont aussi porté sa candidatur­e. Pour ses nouveaux soutiens, il y a, sinon une envie de Grand Soir, au moins un goût de l’inédit et de l’aventure dans le vote Mélenchon. “C’est un peu un saut dans l’inconnu, admet Caroline, 40 ans, ancienne électrice de François Bayrou. Dans ma famille, tous les jeunes ont voté Mélenchon et les vieux Macron, parce que c’était le choix le plus rassurant.” Pendant de longues semaines, Julia* a été tentée de se mettre en marche. “Je gagne correcteme­nt ma vie, je suis encore jeune, j’aurais dû voter Macron si j’avais pensé qu’à ma gueule.” Mais malgré ses doutes sur la façon dont Mélenchon aurait voulu renégocier les traités européens, la cadre bordelaise a glissé un bulletin à son nom. “J’ai trop voté contre. Le vote Macron, c’était se dire: ‘on va essayer d’arranger gentiment les choses, de sauver les meubles’. Avec Mélenchon, on les brûlait et on reconstrui­sait derrière sur de nouvelles bases.” Ce fameux coup de balai contre le système, voilà aussi ce qui a convaincu Laura de voir enfin, à 33 ans, à quoi ressemble un isoloir. “Je n’avais pas envie de voter par dépit. Mon père n’allait pas m’encourager, il est anarchiste, sourit cette éducatrice dans la région parisienne. Mais là, pour une fois, j’avais un candidat qui cherchait à changer le système avec des propositio­ns qui n’étaient pas totalement utopiques. Pas comme un Poutou, pour qui je peux avoir de la sympathie. Quand Mélenchon dit qu’il veut que des entreprise­s qui réalisent des bénéfices record en France payent leurs impôts ici, je ne vois pas ce que ça peut avoir d’irréaliste. Amazon ne va pas renoncer à un marché comme la France parce que Mélenchon va lui faire payer des impôts.” Aux dernières nouvelles, son père n’a pas dévié de son abstinence électorale, “mais a compris ce qui [lui] avait donné envie de voter pour lui”. Ce n’est pas vraiment le cas des parents de François-xavier, qui n’a pas osé aller au bout de son coming out “mélenchoni­ste”. “J’ai préféré ne rien leur dire, même s’ils s’en doutent un peu. Ma mère était terrifiée à l’idée qu’il arrive au pouvoir. Elle pense qu’il faut être inconscien­t pour laisser le pays à quelqu’un comme lui. Je sais qu’il y a une grande part d’aventure dans ce qu’il propose. Je suis peut-être monté dans un bateau qui aurait coulé au bout de 200 mètres.” Finalement, la grande traversée avec le capitaine Mélenchon à la barre attendra peut-être 2022. Si de nouveaux passagers montent encore à bord d’ici-là.

“Le vote Macron, c’était se dire: ‘On va essayer d’arranger gentiment les choses, de sauver les meubles.’ Avec Mélenchon, on les brûlait et on reconstrui­sait derrière sur de nouvelles bases” Julia, tentée un temps de se mettre en marche

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