Society (France)

Même l’afrique est en marche.

Parce que toutes les voix comptent, En marche! est parti jusqu’au dernier jour à la pêche aux presque deux millions de Français qui vivent hors du territoire national. Exemple au Sénégal, où l’on en trouve 25 000.

- PAR RAPHAEL MALKIN, À DAKAR / PHOTOS: RICCI SHRYOCK POUR

Parce que toutes les voix comptent, En marche! est aussi parti à la pêche aux voix à l’étranger. Notamment au Sénégal, où habitent 25 000 Français.

Àla tribune, chacun des éléments de langage dont la France est nourrie depuis maintenant presque un an y passe. On parle de la nécessité de “remettre du juste là où il n’y en a plus”, d’imaginer une “société du choisi plus que du subi”, tout en insistant sur l’originalit­é des idées “transparti­sanes”. Sans compter ces ballons tricolores tous floqués du même lettrage “En marche!”, et cette enfilade de posters affichant tous le même visage. Aucune erreur possible: c’est bel et bien un meeting d’emmanuel Macron. Quelques instants plus tôt, un homme aux souliers vernis d’une épaisse couche de sable jaune est d’ailleurs venu se fendre d’un enthousias­te “Bonsoir Bercy!” Avant de cogner le micro du bout de son nez en pouffant. Très certaineme­nt parce que l’endroit se situe en réalité à quelques années-lumière de l’arène parisienne où l’ancien ministre de l’économie a organisé l’un des derniers rassemblem­ents de sa campagne: 4 500 kilomètres, plus précisémen­t.

Ici Dakar, capitale du Sénégal, et le long de cette large voie de béton sur laquelle bondissent les Ndiaga Ndiaye, ces bus bariolés et bondés jusque sur leur toit, voici l’hôtel Good Rade. Au deuxième étage, dans l’amphithéât­re “Gorée”, près d’une centaine de personnes ont remplacé l’associatio­n des infirmière­s urgentiste­s de Dakar qui y tenaient jusque-là réunion. Tous sont venus écouter des huiles débarquées de Paris afin de porter la parole d’“emmanuel”. À quelques encablures du scrutin final, l’état-major macroniste a en effet dépêché du personnel sur le terrain pour mobiliser les électeurs expatriés. “Il vous faut voter utile contre le Front national”, récite Richard Yung, sénateur socialiste des Français de l’étranger et tête de proue de cette délégation. Car où qu’elle soit nichée, à Bercy ou Dakar et partout ailleurs dans le monde, une voix reste une voix. “Les Français qui vivent à l’étranger correspond­ent à la population parisienne, note de son côté Aziz François Ndiaye, membre du pôle internatio­nal d’en marche!, qui accompagne monsieur le sénateur pour l’occasion. Pourrait-on imaginer la France sans Paris? Non. Nous avons besoin de ces gens.” Selon le dernier recensemen­t établi en décembre dernier par le ministère des Affaires étrangères, le nombre de Français résidant à l’étranger s’élève pile poil à 1 782 188 –dont 25 000 au Sénégal–, soit près de 2% du corps électoral du pays. Un bataillon de votants potentiels dont on dit aujourd’hui qu’il pourrait bien rouler jusqu’au bout pour Emmanuel Macron. Encore un sondage: au début du printemps, l’institut BVA annonçait que 36% de ces expatriés s’imaginaien­t volontiers voter pour le candidat marcheur au premier tour, devant François Fillon, fixé à 31%. Une percée tout aussi soudaine que l’ouverture aux quatre coins du monde de ces petites représenta­tions macroniste­s, dans la foulée de la naissance du mouvement En marche! en juillet 2015. Avant de se rendre à Dakar, le sénateur Yung est ainsi allé saluer les soutiens d’emmanuel Macron au Caire et à Tokyo. Il ira ensuite à Abidjan. En tout, le mouvement dit aujourd’hui compter quelque 16 000 affiliés effectifs hors de France. Ce qui fait “chaud au coeur”, comme le dit simplement Richard Yung sur son estrade.

“Je me suis mis à me droguer à l’emmanuel Macron”

Jérémy Fabre est l’un d’eux. Les bureaux de cet entreprene­ur de 34 ans sont installés au rez-de-chaussée d’un petit immeuble dakarois planté dans une ruelle. C’est là, depuis une pièce carrée où l’on compte pour seul décor une plante qui a depuis longtemps capitulé face à la chaleur envahissan­te,

que Jérémy Fabre préside aux destinées de Voltacars, société de location de voitures haut de gamme pour entreprene­urs en mission au Sénégal. Une petite affaire qu’il a lancée en 2015 après avoir bourlingué près de dix ans dans plusieurs pays de l’ouest africain en tant que spécialist­e du crédit-bail pour du matériel de production. Il ne lui était jamais venu à l’idée de s’encarter. “Mais là, je me suis dit qu’il fallait que j’y aille”, raconte le marcheur à propos de sa fièvre macroniste. Il explique pourquoi Emmanuel Macron l’a “percuté”: il est jeune et brillant, il dépasse les clivages et, surtout, il a une démarche entreprene­uriale. “Alors, je me suis mis à me droguer à l’emmanuel Macron, je me suis senti bien comme ça.” Jérémy Fabre a monté dans son coin un comité local au Sénégal. En décembre, ils étaient huit, les voilà 160 aujourd’hui. “J’ai fait des rencontres extraordin­aires avec des gens que je n’aurais pas forcément croisés sans ça. En marche! au Sénégal, c’est comme un grand Airbnb, une vraie économie du partage”, annonce-t-il. En tout cas, le bureau offre ce jour-là un panel parfaiteme­nt millimétré de la communauté française expatriée à Dakar. Il y a Jean-pierre Frissé, 64 ans, capitaine de bateaux pêchant le poulpe et le chinchard au large des côtes sénégalais­es depuis près de 20 ans. “Macron, c’est un jeunot qui a des couilles, il s’est lancé en se disant qu’il pourrait aller au-delà des idéologies”, dit-il. Il y a Khalil Bahsoun, un Franco-libanais également détenteur d’un passeport sénégalais puisque sa famille s’est installée à Dakar voilà plus de quatre génération­s. “Il faut gouverner la France comme un consultant, les ministres doivent être évalués et Macron propose la bonne méthodolog­ie”, avance ce gérant d’un complexe médical de 32 ans. Et il y a aussi Fatou Sagna Sow, elle aussi française et sénégalais­e, tout juste débarquée à Dakar pour lancer son affaire de trading de matières premières. Cette ancienne encartée au Parti socialiste de 45 ans salue notamment les visées du candidat d’en marche! sur le terrain de la banlieue, où elle a passé la plus grande partie de sa vie. Réduire par deux les effectifs des classes de primaire en zones prioritair­es, établir des primes pour ces entreprise­s basées aux pieds des tours qui voudraient d’abord embaucher parmi la population du coin: “Notre candidat veut accompagne­r les gens, faire en sorte qu’ils soient capables de réussir.” À Dakar, Fatou Sagna Sow et les autres le concèdent volontiers dans un sourire: ils envisagent cette élection bien plus en tant que Français tout court qu’en tant que Français de l’étranger. “Mais nous militons ici, et c’est une véritable démonstrat­ion de force, cela montre que le mouvement est dynamique, qu’il a du panache.”

À l’heure de se lancer, Jérémy Fabre et ses lieutenant­s ont eu parfois l’impression d’être des “petites lucioles” s’agitant en marge de la campagne, à coups de discrètes réunions improvisée­s sans agenda particulie­r. Cela n’a pas duré. À mesure que la date fatidique du scrutin s’est rapprochée, le quartier général macroniste de la rue de l’abbé-groult, dans le XVE arrondisse­ment de Paris, a fait en sorte d’animer la ligne avec ses antennes étrangères. Les contacts sont devenus quotidiens et les kits de campagne ont régulièrem­ent été transbahut­és depuis la capitale. Des posters et des prospectus qui permettent aux marcheurs lointains d’investir la rue comme leurs cousins hexagonaux. La route sinueuse et poussiéreu­se qui borde le front de mer depuis le carrefour des pêcheurs de Soumbédiou­ne jusqu’au musée Léopold-sédar-senghor est ainsi jalonnée d’affiches à la gloire d’“emmanuel”, collées à la hâte sur des murs effrités. “Récemment, un type des Républicai­ns installé à Dakar m’a appelé pour me dire que c’était interdit. C’est la première fois que je l’entendais: comme les socialiste­s, on ne sait pas qui vote pour les Républicai­ns ici”, se dandine Jérémy Fabre. Une semaine avant le premier tour, devant l’entrée du lycée français Jean-mermoz, t-shirt ciglé sur les épaules, pin’s au coeur et tract en guise de fanion, les marcheurs du Sénégal font face au gardien de l’établissem­ent. “Mais François Hollande ne se représente pas? demande ce dernier. Il n’est pas rééligible? Il était brave pourtant. En tout cas, je ne connais pas leur Macron, là.” Fatou Sow et Jean-pierre Frissé tentent d’alpaguer à la volée quelques rares parents d’élèves filant sur le trottoir. La pêche est maigre. L’équipée s’est trompée d’heure: celle de la sortie des classes, avec sa cohue d’électeurs potentiels, est

déjà passée depuis longtemps. “On est une start-up, on continue d’apprendre”, sourit alors Fatou Sow. Le lendemain, c’est Jérémy qui arpente, paperasse en mains, le pont de ce bateau qui file vers Gorée, ce rocher où l’on enfermait jadis les esclaves, aujourd’hui transformé en île à touristes. Il s’est dit qu’il y aurait bien quelques grappes de Français venus s’offrir une dernière balade avant de rentrer voter. Sur le port, un vieux Sénégalais en costume a proposé à Jérémy de crier en l’honneur de Macron contre quelques francs CFA. Le militant a dit non en rigolant, alors le vieil homme s’est mis à chanter le nom de Mélenchon. En mer, Jérémy Fabre discute avec un homme qui agite les gourmettes. “J’avais trois restaurant­s et je n’en ai plus qu’un. Les 35 heures m’ont tué. Macron, il fait quoi pour les entreprene­urs?”

“Macron, c’est un jeunot qui a des couilles, il s’est lancé en se disant qu’il pourrait aller au-delà des idéologies” Pierre Frissé

“Même ici, ils viennent nous faire chier!”

C’était à Saly, ce bout de plage délicat situé à deux heures de route au sud de Dakar. Liliane venait d’arriver de Bordeaux et était tombée sur Morguss, un garçon dont elle avait deux fois l’âge. Morguss a fait la cour à Liliane. “Je lui ai dit que Dieu m’avait mis sur sa route et qu’avec moi, elle ne vieillirai­t jamais.” C’était il y a quinze ans ou presque et Liliane avait ri. Aujourd’hui, elle et Morguss sont mariés et vivent à Saly. À l’orée du premier tour du scrutin, le couple a rejoint La Riviera, une échoppe en vue de la station balnéaire où Jérémy Fabre, accompagné du représenta­nt parisien Aziz François Ndiaye, sont venus tenir réunion. Comme Liliane, qui a aujourd’hui 70 ans, ceux-là sont pour la plupart retraités et ne sont pas rentrés depuis longtemps en France. Leur vie est ici. Et leurs soucis sont ceux d’ici. “On se sent parfois un peu abandonnés par la France”, souffle Liliane. “On est même essorés”, peste sa voisine, Antoinette, une petite dame de 78 ans. La discussion tourne autour de la Caisse des Français de l’étranger, cette assurance santé dédiée qui ponctionne chaque trimestre la bourse des résidents, en plus de toutes les cotisation­s classiques auxquelles ces derniers sont soumis. “On s’imagine que ceux qui sont installés ici vivent dans l’allégresse, mais c’est faux. Si vous voyez Manu, dites-lui qu’il nous faut un vrai statut à part”, résume encore Jeanfranço­is, un ancien entreprene­ur qui n’a pas perdu son accent du Sud, tandis qu’un autre groupe, avisant les soutiens de Macron, s’écrie: “Même ici, ils viennent nous faire chier!” Dans l’assemblée, certains disent que leur vote pourrait passer d’une tête à l’autre au second tour. Liliane, elle, en revanche, a fait son choix. Ce sera Macron et idem pour son mari, devenu français par les liens du mariage, même s’il s’est longtemps imaginé pencher du côté de Mélenchon. “Je l’ai amadoué et je l’ai convaincu”, murmure-t-elle. Après Saly, où un comité En marche! a récemment été monté, les militants de Dakar aimeraient pouvoir grappiller des voix partout ailleurs dans le pays. À Saint-louis, Kaolack, Thiès, et aussi la lointaine vallée du fleuve, là où résident des expatriés dont on ne sait même pas s’ils sont encore inscrits sur les listes électorale­s. Longtemps, les marcheurs sénégalais ont pensé que leur favori viendrait leur rendre visite. En février, après le passage à Alger d’emmanuel Macron, des rumeurs ont filé le long de la corniche et sur la VDN, la grosse voie d’autoroute qui traverse le centrevill­e de Dakar, annonçant l’arrivée du candidat. Cela devait être au début du mois d’avril. Las, le candidat n’est jamais venu. “Macron ne pouvait pas se permettre d’aller si loin à un moment si crucial”, explique, raisonnabl­e, Jérémy Fabre. Alors, à la place du chouchou, on a eu droit au vieux Richard Yung, débarqué à l’hôtel Radisson dans un lin bleu de parfait toubab. Retour sous les ors de l’hôtel Good Rade. Ce jour-là, il y a dans le public quelques Sénégalais qui, s’ils ne peuvent pas voter, sont venus faire part de leur enthousias­me à propos du “changement” incarné par Emmanuel Macron. Quid de sa politique africaine? demandent-ils. Richard Yung répond en évoquant la nécessité de remettre à plat les relations franco-africaines. Avant que Jérémy Fabre ne monte au créneau, dessinant au débotté l’ornière d’une “grande marche africaine” qui pourrait “bouleverse­r” les esprits politiques locaux. De quoi ensabler encore un peu plus ses souliers.

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Jérémy Fabre à Gorée.
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