Society (France)

Ensablé-sur-sarthe.

Dimanche après midi, ils croyaient encore en leur champion. Et puis les résultats sont tombés comme un couperet. François Fillon n’est pas au deuxième tour de la présidenti­elle et dans son fief de Sablé-sur-sarthe, on en aurait pleuré.

- PAR RAPHÄEL MALKIN, À SABLÉ-SUR-SARTHE

Dimanche après midi, ils croyaient encore en leur champion. Et puis les résultats sont tombés comme un couperet. François Fillon n’est pas au deuxième tour de la présidenti­elle et dans son fief de Sablé-sursarthe, on en aurait pleuré.

D’un geste brusque, elle fouette le bout de table avec son pull. Le bruit de la fermeture Éclair tapant le bois fait ‘tac’, comme une claque. Et puis elle finit par plier le vêtement. “Il va falloir que l’on fasse nos valises et que l’on quitte la France, on est rétamés!” hoquette cette petite dame aux airs coquets. Plusieurs heures plus tôt, ce dimanche d’élection, Monique avait mis son bulletin dans l’urne comme des millions de Français. Son président à elle, retraitée de la fonction territoria­le, ce serait François Fillon. Alors, forcément, elle bougonne. D’ailleurs, ici, ils sont des dizaines comme Monique à avoir voté pour François Fillon et à bougonner. Voilà par exemple Marie-thérèse, une “fermière”: “François Fillon doit être triste et je suis triste aussi. Il nous fallait quelqu’un avec de la poigne. J’ai peur, maintenant.” Ou bien encore Maguy, qui annonce sans ambages que la France vient de précipiter sa “ruine” en choisissan­t Emmanuel Macron et Marine Le Pen pour se disputer les clés de l’élysée. “C’est dommage que les gens ne connaissen­t pas François Fillon comme nous on le connaît à Sablé.” Sablé-sur-sarthe, même. Cette petite ville du pays sarthois, donc, mignonne et discrète comme ce qui fait la chair de la France, avec ses maisons basses, ses rues étroites et ses cours d’eau figés comme des mares. Le fief historique de l’homme et de la figure politique François Fillon, terre de sa vie et de ses succès. C’est ici que ce dernier est né et qu’il a grandi, c’est ici –du moins aux environs– aussi qu’il a acquis avec sa femme Pénélope ce fameux manoir fait de onze pièces, et c’est bien sûr ici qu’il a inauguré puis charpenté sa carrière en tant que maire puis député de la circonscri­ption. François Fillon est plus qu’un simple sabolien, il est Sablé-sur-sarthe. Jugez plutôt. Lors de la primaire, il avait été crédité ici de près de 95 % des suffrages.

Des signes qui ne trompent pas

Aux premières heures de ce dimanche d’élection, rien n’indique qu’il s’agisse-là d’un moment particulie­r à Sablé-sur-sarthe. Ça n’est rien qu’un dimanche. Il y a ce clocher qui sonne, ce scooter qui pétarade et cet agréable soleil d’avril. Ici, on a voté de bonne heure et on est vite rentré pour préparer le déjeuner. Non loin de là, à Solesmes, Pénélope Fillon s’est présentée à 8h15 à son bureau de vote, accompagné­e de deux de ses fils, Antoine et Édouard, mais pas de son mari resté, lui, à Paris pour voter. De son côté, Marc Joulaud, le maire de Sablésur-sarthe, est arrivé peu de temps avant 10h au bureau de vote de Gastines, installé à l’entrée de l’hôtel de ville. À ceux qui lui ont alors demandé un pronostic, l’édile, aujourd’hui également mis en examen dans le cadre de ce fichu Pénélope gate, a simplement répondu qu’il comptait consacrer sa journée à jardiner tranquille­ment jusqu’à l’heure fatale des dépouillem­ents. Au Café de l’europe, sur la place de la mairie, on ne fait pas non plus de paris. Ou bien pas de ce genre-là. Il y a plus important: au bar, on dévore d’un regard un peu fatigué les courses hippiques diffusées par cette télé suspendue en commandant “une balle neuve”. Une autre bière. “Mince, j’aurais du parier sur le 13, c’est l’anniversai­re de ma femme, rumine un bonhomme déjà bien rechargé. Ici, on s’en fiche des élections, ce sont les chevaux qui comptent.” La terrasse constituée de quelques paires de sièges en plastique du Café de l’europe fixe en chien de faïence celle du pub Élysée, situé de l’autre côté de la place. C’est ici qu’en novembre dernier, les partisans de François Fillon ont fêté la victoire de leur favori lors de la primaire. Ce soir-là, il avait fallu sortir les fûts de réserves et fermer tard. Claudie Bergeal était de la partie, évidemment. Comme elle l’a été pour chacun des succès de François Fillion depuis le début des années 1980. “François ne nous a jamais déçus, on a toujours eu raison de lui faire confiance”, dit-elle tout sourire. Claudie Bergeal, qui a voté au bureau de vote du Pré, à quelques pas du magasin Carrefour, est certaine du destin de son favori. Il va gagner. Et elle dit que lui aussi en est sûr. La veille, François Fillon était dans les parages et Claudie Bergeal a pu le croiser le temps d’un verre de vin. “Il nous a parlé de ses premières campagnes, quand il faisait des discours devant deux ou trois personnes. Cela ne l’a pas empêché de gagné”, souffle-t-elle toute excitée, en confessant qu’elle aimerait “être plus vieille de plusieurs heures” pour déjà connaître le résultat. 18h. À l’entrée de la mairie, on rôde sur la pointe des pieds. Des électeurs sont venus assister au dépouillem­ent qui se prépare. Assis

contre un bosquet, Loïc a fait le chemin depuis Souvigné. “Je suis à fond”, dit-il, avant de raconter comment François Fillon a fait du bien à la région en donnant du boulot aux ouvriers. Mais ce grand type au visage rose a aussi le regard qui soupire. Sur son téléphone, dont le fond d’écran présente l’image d’un François Fillon confiant, il déroule les dernières estimation­s publiées par les journaux suisses et belges. Mince: son chouchou ne passe pas la barre de 20 %. “Ça va être pire que dur, là”, note cet employé des pompes funèbres. À côté de lui, il y a Marie-thérèse et Joëlle. Ces deux-là ont décidé de venir pour la première fois à un dépouillem­ent parce qu’elles ont “peur”, disentelle­s, de voir François Fillon perdre. Pour tout dire, elles ne le sentent pas. “Il n’y a qu’à le voir, il fait pitié ces temps-ci. C’est un signe. Et puis Pénélope, on ne la voit plus ici. Il y a des signes qui ne trompent pas”, note tout de go Joëlle, qui a longtemps compté le candidat parmi les clients de son magasin de peinture.

La peste et le choléra

Dans le hall de la mairie, on a installé des grandes tables à la place des urnes pour déplier les bulletins de vote. Des petites dames en chandail, prêtes à l’ouvrage, se sont installées tout autour comme si elles s’apprêtaien­t à se lancer dans une partie de bridge de fin de semaine. D’autres soutiens de François Fillon ont aussi débarqué. Et on attend. Il y a ceux qui se tiennent droit comme des bâtons les bras croisés, ceux qui se balancent en murmurant des incantatio­ns, ceux qui mordent la branche de leurs lunettes, le bout de leur clope éteinte ou un stylo de fond de poche, et aussi cette jeune fille qui s’est blottie contre la fontaine d’eau en plastique de l’entrée, comme si elle cherchait à trouver refuge. “Je n’ai même plus envie de respirer”, dit la fameuse Monique, tandis que le croque-mort Loïc continue de sonder les médias étrangers. Il est l’heure et les grosses enveloppes bourrés de bulletins viennent d’être déposées sur les tables. Le premier d’entre eux dit Marine Le Pen. Le second Emmanuel Macron. Il faut attendre le quatrième pour entendre le nom de François Fillon. Tandis que sous les ors de la mairie on compte, on note et on tressaille, dehors on crie victoire. Il est 20h et, posté sur une bite en béton, un homme, le cou tenu par un joli foulard de soie, agite son téléphone. Les plateaux de télévision viennent officielle­ment d’annoncer qu’emmanuel Macron termine en tête du premier tour, et Stéphane Aurange, délégué du comité d’en marche! à Sablé-sur-sarthe, hurle que “c’est géant” et que “c’est chouette”. “Il faut se rendre compte. On s’est tellement battus. Ici, on fait une vraie campagne, on est allés dans tous ces trous paumés, dans les campagnes de Précigné et d’avoise. On a notre part de cette victoire”, balance d’un trait le marcheur. Et à l’intérieur de la mairie, c’est une longue complainte que l’on entame. On parle de ces sondages manipulés, de la presse qui a voulu “casser et enterrer Fillon”. “Les gens ont fait de la démagogie au lieu de faire de la démocratie”, vomit-on. “Mais on s’en foutait de ses costumes, il fallait voir au-delà”, maudit Monique. Ici, personne ne sait encore s’il votera Emmanuel Macron ou bien Marine Le Pen. Ou s’il votera tout court. Après tout, comment choisir “entre la peste et le choléra”? Au bureau de vote de la mairie, on a voté 242 fois pour François Fillon, sur 500 voies exprimées, mais cela n’a pas suffit. Sur le pont qui traverse l’erve, cette rivière qui vient se jeter dans la Sarthe, c’est sur l’affiche d’emmanuel Macron qu’il y a marqué ‘Je t’aime’. TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR RM

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Dimanche soir, dépouillem­ent à Sablé-sur-sarthe.

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