Society (France)

“N’oubliez pas de parler fort, il a quelques petits problèmes d’audition”

Pendant que sa fille accédait au second tour, Jean-marie Le Pen organisait une soirée chez lui, à Montretout, devant la télévision. Où régnait une ambiance un peu forcée.

- PAR ROBIN D’ANGELO / PHOTO: YANN CASTANIER POUR SOCIETY TOUS PROPOS RECUEILLIS PAR RDA

“Jaloux? C’est compléteme­nt ridicule!” lance Jean-marie Le Pen quand un journalist­e lui fait remarquer que le score de sa fille est plus fort que le sien en 2002. Perché sur les hauteurs de Saint-cloud, le fondateur du Front national organisait son propre raout dans sa résidence familiale de Montretout pendant que le parti était réuni à Hénin-beaumont. Finis les “Jeanne, au secours!” ou ses recours devant la justice pour demander sa réintégrat­ion au Front national. Ce soir, le clan soutient Marine. “Si elle arrivait au stade suprême, je serais tellement surexcitée que je lui dirais ‘Youpi, formidable!’” s’exclame son épouse Jany, manteau rouge vif sur les épaules, sur le perron du manoir. Pour l’occasion, le pré carré de fidèles de Jean-marie Le Pen a fait le déplacemen­t dans les Hauts-de-seine. D’abord Alexandre Simonnot, exclu du FN en 2012 et premier arrivé sur le coup de 19h. “Je soutiens Marine pour l’intérêt national, le reste, ce sont des affaires personnell­es”, explique ce quadra gominé qui s’est fait connaître en 2006 en dégonflant un préservati­f géant érigé dans sa ville de Taverny dans le cadre d’une opération de prévention contre le sida. Puis, Farid Smahi grimpe les escaliers du manoir en compagnie de son jeune fils. Historique du FN et fils de harkis, il avait démissionn­é avec pertes et fracas en plein congrès de Tours en déclarant devant une foule de militants ébahis qu’il en avait “marre de jouer les Arabes de service”. Et ce quinquagén­aire débonnaire avec sa barbe de trois jours et son visage rond? Roland Hélie, le directeur de la revue Synthèse nationale, farouche opposant de la ligne Philippot. Ce soir, les bannis du FN sont venus se montrer. Même Carl Lang, un temps numéro 2 du parti avant de le quitter quand Marine Le Pen lui chipa l’investitur­e aux européenne­s dans son bastion du Nord, en 2009. “J’ai un dîner chez des amis à Paris, et je vais profiter pour venir vers 22h”, explique-t-il au téléphone. Mais l’ambiance est endormie à Montretout. Pin’s rouge à l’effigie de Jeanne d’arc et cheveux gris impeccable­ment plaqués en arrière, Lorrain de Saint Affrique, le directeur de cabinet de Le Pen, explique avoir prévenu “tout le monde” que la maison était ouverte pour la soirée. Sauf que côté FN, personne n’a fait le déplacemen­t. Ni Marie-christine Arnautu, ancienne chef de file du FN parisien et amie intime de la famille Le Pen, ni Bruno Gollnisch, fidèle compagnon de route du “Prez’”. Quant à Marion Maréchal-le Pen, aperçue plus tôt dans l’après-midi en train d’entrer dans la demeure, elle s’éclipse discrèteme­nt pour faire la tournée des médias. “N’y voyez aucun signe politique. Elle est ici tout simplement parce qu’elle habite à l’étage de la maison”, précise Lorrain de Saint Affrique. Résultat, la soirée électorale de Montretout prend des airs de soirée open bar pour les journalist­es. Sur une terrasse du manoir, une cinquantai­ne de bouteilles. Chardonnet, muscadet, saumur: il y en a pour tous les goûts. Le champagne, lui, vient de la maison Lemaire. La vue est imprenable sur la tour Montparnas­se. Dans une autre pièce, une vingtaine de bouteilles de vin rouge, accompagné­es d’un copieux buffet. Au mur, un tableau à l’effigie de

Jean-marie Le Pen en corsaire, hermine sur l’épaule et longue-vue à la main. Trois journalist­es font la queue pour le prendre en photo. “C’est quand même dingue de se retrouver ici”, s’amuse l’un d’eux.

Courte apparition de Le Pen

Arrivé à 19h, Le Pen a directemen­t rejoint son bureau au deuxième étage du manoir. À l’heure des premières estimation­s, Jany Le Pen, ses amies en fourrure et les jean-marinistes jusqu’au-boutistes se tassent dans le petit salon improvisé en salle de presse. Les résultats sont accueillis sans grand enthousias­me. Farid Smahi tente de lancer les applaudiss­ements. En vain. “Les gens sont un peu abasourdis, je pense. Ils ne comprennen­t pas comment une entourloup­e comme celle des socialiste­s avec Macron a pu fonctionne­r”, décrypte Lorrain de Saint Affrique. Puis le lieutenant fait monter à l’étage pour recueillir les impression­s de Jean-marie Le Pen: “N’oubliez pas de parler fort, il a quelques petits problèmes d’audition.” Le président d’honneur du FN fait du Le Pen, version diabolisée: “Le problème est fondamenta­lement démographi­que. Il menace le continent boréal, de Gibraltar à Tokyo. Ce continent est en état de dépression, alors que le reste du monde explose. Il y a aussi le risque de nous voir submerger par les immigratio­ns diverses.” À 20h30, il descend sous les applaudiss­ements de la petite assemblée. “Pour une fois, les sondages ne se sont pas trompés. La candidate nationale a gagné et c’est l’essentiel!” s’esclaffe-t-il. Puis il annonce que le Comité Jeanne, son parti pour les législativ­es, défilera à Paris le 1er mai, en l’honneur de Jeanne d’arc, alors que le Front national organisera son propre événement. “Ce sera le 40e défilé que l’on fera pour la sainte. Si les gens du FN veulent se joindre au défilé, ils sont les bienvenus.” Attend-il de sa fille qu’elle le remercie dans son discours du soir? “Je ne m’attends à rien. Je suis très au-dessus de ça.” Puis il lance tout de même une petite pique, remarquant que son score aurait pu être plus fort si elle s’était armée de “l’esprit des soldats de l’an 2”. Comprendre: avec le soutien de ceux qu’elle a exclus. Puis, il disparaît presque aussi vite qu’il était apparu. À 21h30, les premiers invités commencent déjà à partir. Le temps des grandes soirées électorale­s à Montretout est bel et bien révolu.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France