Society (France)

UN DERNIER POUR LA ROUTE

Des bains de foule, des visites d’usines, du rôti de porc, des légions d’honneur, mais aussi de la gravité... Pour François Hollande, les jours précédant le premier tour de l’élection ont ressemblé à une véritable tournée d’adieu. Reportage dans les pas d

- PAR JOACHIM BARBIER PHOTOS : GUILLAUME BINET (MYOP) POUR SOCIETY

Elle est pressée derrière la barrière de sécurité et regarde le président s’éloigner, emporté par les demandes de selfies des habitants de Clichy et Montfermei­l. Contrairem­ent à eux, elle voulait d’abord lui parler. “J’ai besoin d’un appartemen­t.” Cela fait dix minutes qu’il multiplie les arrêts au stand, un selfie, une photo avec des mamans, une caresse sur la joue d’un enfant, protégé par son service de sécurité un brin tendu. Un homme s’avance: “Monsieur le président, c’est plus possible tous ces enfants qui meurent en Afrique.” Le président: “Ah oui, la sécheresse…” “Non, les naufragés, tous ces enfants qui meurent en mer.” Le président: “Ah oui, c’est terrible, il faut les fixer sur place.” Pour la première fois de la journée, François Hollande est légèrement déstabilis­é. Quelques minutes plus tôt, il avait retourné une poignée d’habitants de Montfermei­l venus profiter de sa présence pour manifester contre la fermeture de la mosquée de la ville, un sticker “Prier est un droit” collé au portable porté à bout de main. Quand leur maire a pris la parole sur l’estrade montée le long de l’avenue Jean-moulin, ils l’ont copieuseme­nt hué. Le maire, Xavier Lemoine, a essayé de faire bonne figure, comme si de rien n’était, et même tenté l’humour mais tout est tombé à plat, engoncé dans une raideur caricatura­le de haut fonctionna­ire qu’il n’a peut-être jamais été. À l’opposé de l’hôte du jour, à l’aise dans cette terre de prétendues racailles et de communauta­risme menaçant, venu inaugurer les Chroniques de Clichy-montfermei­l, une fresque initiée par Ladj Ly et JR, le street artist préféré des hommes politiques. Hollande a célébré le chemin parcouru depuis les émeutes de 2005. Avant: rage-colère-doutes-relégation. Aujourd’hui: “Cette fresque qui rentre dans le patrimoine national, bientôt le tramway, ces entreprise­s qui vont arriver et l’espérance qui se lève.” Les gens ont applaudi. Et puis Hollande est descendu discuter avec ceux qui réclamaien­t le respect de leur droit à prier. Il leur a rappelé que ce n’était pas un droit constituti­onnel mais qu’il avait confiance dans l’issue de leur demande. Ils ont encore applaudi. Peut-être le couplage attention/ fonction. Et puis retour vers la foule, maintenue à distance derrière les barrières. Selfie avec une jeune fille voilée. “Jamais je n’aurais fait un selfie avec Xavier Lemoine”, dit-elle en regardant fièrement son trophée présidenti­el. Cela fait dix minutes qu’il aurait dû partir mais Biron, qui se présente comme le maire non officiel du quartier, lui a demandé de venir faire la bise à sa mère. Il y est allé, l’a embrassée, elle a affectueus­ement posé ses mains rongées par la lèpre sur ses épaules. Respect présidenti­el: “Il est quand même fort de m’avoir emmené ici.” Une heure auparavant, il était à Aubervilli­ers pour célébrer “l’excellence française dans le domaine des sciences sociales”. L’inaugurati­on du premier bâtiment du Campus Condorcet, que le président de l’institutio­n a déjà qualifié de “Harvard français”. Ça coûte cher un “Harvard français”, et donc autant de discours que de lignes de financemen­t et de collectivi­tés. À chacun son tour, pour remercier les uns et les autres d’avoir mis quelques millions dans la tontine. La maire d’aubervilli­ers, la vice-présidente de la région Île-de-france, l’adjointe à la mairie de Paris. On a excusé Patrick Braouzec, le président de Plaine Commune, en déplacemen­t à Madrid pour un sommet sur les villes. François a haussé les sourcils d’admiration sur l’air de “Eh ben, il se fait pas chier le Patrick”. Puis le président d’université a glissé dans la fin de son discours qu’il manquait de l’argent pour financer la deuxième phase du projet. François Hollande a souri: “Vous pouvez conclure maintenant, c’était bien amené.” Il a fait rire la salle des invités qui ne s’étaient pas beaucoup marrés jusque-là. Il a pris la parole: vitrine-référence-éclairer et puis aussi “renouvelle­ment de la pensée”, “expliquer le monde”, “défi majeur”, alors que le préfet de Seine-saint-denis regardait sur sa montre le programme de la journée prendre déjà 30 minutes de retard dans la gueule. Et puis, il a tenté de dire “au revoir”, avant de se faire rattraper par la manche par les architecte­s du campus qui avaient été un peu oubliés et qui, eux aussi, voulaient leur photo. Dehors, avant de rejoindre le convoi, il s’est fait alpaguer par un groupe de papas africains postés de l’autre côté de la route, qui attendaien­t de lui refiler quelques secondes dans les bras leur fiston joufflu devant une levée de Samsung. L’un d’eux a glissé, dans un élan de second degré dont raffole le président: “Monsieur Hollande, n’oubliez pas ma commission.”

“La seule raison pour laquelle il ne s’est pas présenté”

Les institutio­ns et les élus ont encore des faveurs à demander à ce président qui ne le sera plus dans deux semaines. On ne sait jamais, et si la vie de François l’amenait un jour à décider de l’attributio­n de fonds européens, des aides d’une fondation américaine aussi blindée que le PIB d’un pays sahélien, voire à s’occuper de la gestion de la fortune de Liliane Bettencour­t? Les petites gens, eux, n’ont plus rien à solliciter, comme si le président allait disparaîtr­e des radars médiatique­s à la manière d’un candidat de The Voice. Alors ne restent que les selfies pour consacrer la proximité éphémère avec le pouvoir ou tout simplement quelqu’un de connu. À défaut d’avoir été reconnu pour ses cinq années au pouvoir. Ainsi vont les derniers jours du premier président de la

Ve République à ne pas se représente­r. Depuis son abdication et la révélation des casseroles trimballée­s par deux des quatre candidats à sa succession, la mièvre et peu monarchiqu­e normalité présidenti­elle s’est transformé­e en sincérité et probité. Puisque désormais la personnali­té s’est substituée au modèle de société. On lui reprochait un quinquenna­t pour rien et d’avoir honteuseme­nt trahi ses promesses de 2012. En avril 2017, une partie de l’opinion publique se dit que ne pas agir pendant est toujours mieux que de mal agir avant. Il a refilé les adjectifs “cynique” et “carriérist­e” aux autres, ceux qui cavalent comme des lapins depuis quelques mois dans la course aux suffrages. Dans son entourage, on raconte que tout a changé depuis l’annonce de son renoncemen­t. “Les gens le regardent différemme­nt parce qu’il n’a rien à vendre.” Il en est bien conscient: “Ils se disent quoi les gens aujourd’hui? Que je ne viens pas les voir pour chercher leur suffrage, mais juste pour eux. Donc je ressens une forme d’hospitalit­é manifeste. Que ce soit des agriculteu­rs, des jeunes de banlieue ou des quartiers, des ouvriers. Ils acceptent que je sois un homme politique, que ce soit mon domaine. Ce qui ne veut pas dire que leur vote ira dans le sens que je souhaite.” François Hollande n’a plus rien à vendre, à part François Hollande. Alors il en profite et multiplie les déplacemen­ts. Officielle­ment pour rendre visite aux derniers départemen­ts qu’il n’avait pas encore eu le temps de saluer. “Il en reste, lui signale sa directrice adjointe de cabinet, Joëlle Soum. Les Pyrénées-atlantique­s, le Cantal, les Hautes-alpes, le Lot-et-garonne, le Cher, l’indre-et-loire, etc.” Cela fait beaucoup de départemen­ts non punaisés sur la carte des voyages officiels du président. Le lendemain de sa séquence 93-sciences sociales-excellence-réconcilia­tionrenouv­ellement urbain-fresque, il s’envole depuis l’aéroport de Villacoubl­ay pour une séquence ruralité-confiture Andros-leader français dans son activité-école pilote. Le programme ne pourrait être plus dense s’il était candidat à sa réélection. L’illusion de la campagne sans l’enjeu des résultats, peut-être retrouver la grâce et le souffle de 2012 sans entendre un jour les reproches d’avoir adapté son discours aux circonstan­ces et aux exigences du gouverneme­nt. Dans le Falcon qui l’amène en 45 minutes vers sa journée dans le Lot, il admet sa déception devant le spectacle de cette course qui ne lui a accordé aucun couloir, faute d’unité au PS, “la seule raison pour laquelle [il] ne s’est pas représenté”. “Dès lors que les partis du gouverneme­nt ne sont pas au rendez-vous, ça se passe ailleurs. Macron l’a saisi assez tôt. Mélenchon l’a espéré. Le Pen fait de la politique traditionn­elle mais elle s’engouffre là où les partis du gouverneme­nt ne sont pas capables de résister. Quand la droite parle comme l’extrême droite, l’extrême droite progresse. Et quand le PS parle comme la gauche radicale, il sert Mélenchon”, analyse-til. Il n’a pas compris que Les Républicai­ns ne changent pas de candidat. “Ce n’est pas à moi de dire s’il faut garder un candidat ou pas mais, de leur point de vue, s’obstiner avec ce candidat était un risque immense. C’était prendre la responsabi­lité d’altérer profondéme­nt la campagne, ce qui s’est produit. Parce que quoi que l’on pense sur les affaires –on verra bien leurs débouchés judiciaire­s–, elles ont occupé du terrain. C’était un mauvais service à rendre à la campagne, à la démocratie et à la droite républicai­ne.”

“Il n’y a pas de honte à être habillé comme un ouvrier”

À l’arrivée à l’aérodrome de Cahors, il saute dans un Puma de l’armée, direction Biars-surcère, siège de l’usine Andros, ces “champions nationaux” comme les aiment les politiques de ce pays. “Le président aime bien mettre en avant les leaders français de leur secteur. Il y en a plein mais cela ne se sait pas. On parle beaucoup des usines qui ferment, pas de celles qui ouvrent ou embauchent”, défend Sébastien Massart, son conseiller à l’industrie. Atterrissa­ge de l’hélicoptèr­e sur le terrain du club de rugby de la ville, le président salue la préfète, les sapeurs-pompiers alignés devant leur beau camion rouge. Puis l’usine, 2 000 salariés, autant que d’habitants dans la commune, premier employeur du départemen­t. Devant le bâtiment, il embrasse Frédéric Gervoson, le directeur général et fils du cofondateu­r d’andros. Ils se tutoient, ils se sont souvent retrouvés assis côte à côte dans la tribune d’honneur du stade du CA Brive, en Corrèze voisine, ils sont presque des amis de 30 ans, même si Gervoson est “de droite”. Le président enfile une blouse et se coiffe d’une charlotte sur la tête. C’est difficile d’avoir l’air intelligen­t avec une charlotte sur la tête. Il le sait, depuis le temps. “Il n’y a pas de honte à être habillé comme un ouvrier”, sourit-il. On lui explique la chaîne de production

“Ils se disent quoi les gens aujourd’hui? Que je ne viens pas les voir pour chercher leur suffrage, mais juste pour eux. Donc je ressens une forme d’hospitalit­é manifeste”

François Hollande

depuis les bacs à fruits jusqu’à la nouvelle étiqueteus­e adhésive qui “apporte modernité et transparen­ce”, selon le directeur de l’usine. Une halte devant les palettes de marmelade orange destinées au Canada. Quand il ne dit pas “c’est bien”, il s’en sort par une question qui commence par “Combien”. Il a l’air de s’emmerder. Et puis le discours devant les salariés, toujours les portables en position de filmer. Il reçoit une pomme verte en verre, un “cadeau symbolique” de l’entreprise, par l’intermédia­ire du DG du site qui conseille, en conclusion, de “croquer la vie à pleines dents”. Rires. Hollande acquiesce. Ça tombe bien: il n’a l’air de faire que ça, croquer la fin de sa vie de président à pleines dents. D’autant que quelques bonnes nouvelles tombent en cette fin de mandat. Le Crédoc et Pôle emploi viennent d’annoncer près de deux millions de promesses d’embauche pour 2017. Un record depuis 2002. L’entourage “punchline” –selon leur terme– le chiffre auprès des médias. Lui en profite pour rattacher le macro au microécono­mique devant les salariés et les dirigeants d’andros. “Vous êtes la preuve que l’on peut faire de la belle industrie dans un départemen­t rural, avoir une vision grâce à des relations sociales modernes.” Entre les lignes, il défend sa vision du rôle des partenaire­s sociaux, son bilan, dont personne ne veut revendique­r un quelconque héritage dans la famille –même éclatée– des candidats à sa succession, tels des enfants qui n’assumeraie­nt pas les pertes et profits de leur père. Ni Benoît Hamon, le frondeur et opposant à la loi travail, ni Emmanuel Macron, contraint d’apparaître comme un homme sans passé pour incarner la modernité. François Hollande est frustré par cette campagne “sans débats d’idées”, dans laquelle son bilan est absent. “Il y avait

beaucoup à dire sur ce que l’on a fait. Pour Macron, c’était difficile parce que la droite le caricature en Hollande bis. Mais finalement, cela ne l’a pas fait baisser dans les sondages. Et sans son passage au gouverneme­nt, il ne serait pas là.” À l’opposé, il estime que “Hamon aurait pu devenir un candidat crédible en s’appuyant sur ce bilan tout en disant: ‘Làdessus, je n’étais pas d’accord.’ Finalement, le seul qui puisse le revendique­r aujourd’hui, c’est Laurent Berger, le patron de la CFDT.”

Attentat sur les Champs-élysées

La délégation repart avec de jolis sacs Andros remplis de compotes et de confitures. Le président s’esquive pour déjeuner chez Gérard Miquel, sénateur du Lot. Un aréopage d’élus en écharpe l’accueille avec des “mes respects monsieur le président”. Il répond avec des “Tu vas bien?” et des accolades. Ils s’isolent derrière les murs de la bâtisse entourée de truffières pour ce qui ressemble à un de ces interminab­les banquets de fédération, pendant lesquels on négocie les investitur­es avant de raconter des histoires truculente­s sur les caciques de la circonscri­ption entre deux bouteilles de malbec. Sur ses vieilles terres radicales socialiste­s, les élus locaux se sont majoritair­ement rangés derrière la candidatur­e d’emmanuel Macron, l’homme qui ne croit plus aux partis traditionn­els. Le sien a été monté tel une page Facebook, loin des cartes du vote de chaque canton, que l’ex-premier secrétaire du PS connaissai­t par coeur. Alors, le président promet que son ex-ministre de l’économie va “être confronté au principe de réalité. La France, ce sont des territoire­s, des destins politiques, des hommes. La présidenti­elle, c’est relativeme­nt libre, mais les législativ­es, c’est un retour à la tradition, à la discipline. Soit il arrive à dépasser ce principe, soit il y revient parce que la France possède sa propre réalité politique, ce n’est pas seulement un big bang”. Il en rajoute une couche, façon professeur d’histoire politique, sur son ancien ministre qu’il avait certes “vu venir” mais pas “jusqu’à la présidenti­elle”. “Prendre un bout de l’autre camp et la ramener, ce n’est pas nouveau. C’était le projet de Giscard au début, de Rocard, ou de façon plus tactique de Mitterrand avec la France unie, ou de Sarkozy avec l’ouverture.” De ce quinquenna­t de record d’opinions négatives, de dislocatio­n de son parti, de lâchage au nom de l’ambition personnell­e, de procès en incompéten­ce, il dit “n’avoir aucun regret parce qu’il ne faut pas en avoir”. À peine une peur de qui va prendre le relais, même s’il pense “qu’on va éviter un duel Le Pen-mélenchon”. “Si Macron l’emporte, certes avec une partie de la droite et du centre, cela prouve qu’il y avait un espace pour gagner.” Le lendemain, il doit se rendre en Bretagne. Petit déjeuner à Belle-île-en-mer dans un hôtel de l’ancien attaché de presse de Jospin. “C’est son compagnon qui devait avoir de l’argent, parce que ce n’est pas avec le salaire d’attaché de presse qu’il a pu se payer un hôtel, rigole-t-il. Sauf si c’est Chirac qui le payait!” Une visite à Plélo, entre Guingamp et Saint-brieuc, est aussi au programme pour visiter une autre chaîne de production, celle de Celtigel, “l’un de ces leaders français de leur secteur” (encore), spécialisé dans les plats surgelés et fondé par Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football. Mais ce jeudi soir, vers 21h, tout bascule. Sur les Champs-élysées, Karim Cheurfi tue un policier posté dans son fourgon, blesse deux de ses collègues avant d’être abattu. À quelques centaines de mètres du palais présidenti­el. “J’ai commencé par entendre le bruit d’un hélicoptèr­e, puis les sirènes. On nous a avertis environ cinq minutes avant que les médias n’annoncent les événements”, confie Hollande. Réunion d’urgence avec Cazeneuve et Fekl. Allocution

depuis L’élysée. Pas de déplacemen­t sur les lieux du drame pour éviter le risque de contre-attentat. Le lendemain matin, son convoi fonce dans les rues congestion­nées de Paris jusqu’à l’hôpital Georges-pompidou où a été opéré et hospitalis­é le policier gravement blessé. “Il est comment? Il parlait hier soir?” “Lucide”, lui répond le chirurgien qui l’a opéré, “mais il est effondré pour son collègue assassiné”. Vingt minutes dans la chambre avec son Premier ministre et celui qui lui a succédé à l’intérieur, Matthias Fekl. Rythme cardiaque du policier blessé: 90/86/92. Philippe Juvin, le chef de service: “C’était pas très compliqué comme interventi­on mais il a eu beaucoup de chance. La balle a longé la colonne vertébrale.” Hollande file à la préfecture de police de Paris pour assurer les policiers “de [son] soutien”. Il rapporte des nouvelles du policier blessé aux collègues. “Je viens de voir sur son lit de douleur votre collègue. Il va mieux. Il se rappelle de tout, il a raconté la scène très précisémen­t.” Alain Gibelin, le contrôleur général de la police, lui raconte le film de la soirée côté police, la “curiosité morbide” des badauds: “Une fois que l’assaillant a été neutralisé, la foule s’est rapprochée pour prendre des photos et des selfies. On ne savait pas si, parmi eux, il n’y avait pas des gens hostiles, on a pratiqueme­nt été obligés de mettre en joue les passants pour les faire reculer. Et puis, on croyait qu’il y avait des explosifs dans son véhicule. Ils ont été remarquabl­es de sang-froid.” “Jusqu’au dernier jour, ces cinq ans seront marqués par la mort”, se désole un membre de l’entourage du président. Hasard du protocole et des remises de décoration, le même soir, il doit remettre la légion d’honneur à Melinda et Bill Gates pour le rôle de leur fondation. Cinquante convives du gratin de la sphère médiatique et politique sous les ors de la République et le président qui décoince l’audience en rappelant qu’avec “quatre milliards de dollars de budget, les moyens de la fondation feraient rêver n’importe quel ministère”. Rires pour l’assistance. Rires pour Melinda et Bill, avec quinze secondes de décalage, le temps de la traduction dans l’oreillette. Puis Melinda prend la parole, 30 secondes pour dire qu’ils sont “so honored”, puis Bill, quinze secondes pour dire que cette distinctio­n “is an incredible honor”. Ils descendent de l’estrade, le président virevolte entre les invités, saute de Pierre Gattaz à Nicolas Hulot, de Maïtena

“Emmanuel Macron va être confronté au principe de réalité. La France, ce sont des territoire­s, des destins politiques, des hommes. La présidenti­elle, c’est relativeme­nt libre, mais les législativ­es, c’est un retour à la tradition, à la discipline” François Hollande

Biraben, qui veut l’inviter au prochain Solidays, à Xavier Niel et Bernard Kouchner, qui parle très fort. Il prend Melinda Gates par l’épaule pour lui dire combien il est content de l’avoir décorée, elle aussi, pas seulement son mari, comme les deux fois précédente­s. Le président, en anglais, niveau LV1: “Good, before… just Bill.” Une minute d’aparté avec Ségolène Royal, qui s’esquive d’un “On s’appelle?” La veille, il avait promu au rang de chevalier de la légion d’honneur Thomas Coville, recordman du tour du monde à la voile en solitaire, et Armel Le Cléac’h, vainqueur du dernier Vendée Globe. Avant la cérémonie, il avait reconnu ne pas avoir beaucoup d’intérêt pour les choses de la mer. Après, il a donné l’air de s’être finalement bien amusé. “Il y avait toute la droite vendéenne. Qu’est-ce que je leur ai mis! Et à la fin, ils sont tous venus me saluer et me remercier.” Il jubile comme à chaque fois qu’il raconte une anecdote sur les uns et les autres. Sur Mitterrand, qui “faisait volontaire­ment tomber des papiers pour voir qui les ramassait, et juger ainsi de leur degré de soumission”. Sur Bernadette Chirac, qui “avait surpris un gendarme et une gendarmett­e en train de se réchauffer mutuelleme­nt dans une guérite de l’élysée”. Avec ce talent singulier de garder les meilleures flèches pour sa propre personne. En privé, il imagine son départ de l’élysée. “Je vais sortir du palais et me retrouver seul dans la rue, puis être obligé d’appeler un Blablacar ou un Uber sans un sou en poche.”

Vote, Macron et rôti de porc

Dimanche soir, 19h45. François Hollande est avec sa garde rapprochée: Gaspard Gantzer, Jean-pierre Jouyet, Pierre-rené Lemas et Audrey Azoulay. Les premiers sondages crédibles tombent: “Fillon est troisième”, lui annonce-t-on. “Arrêtez, chaque fois que vous dites ça, c’est une liqueur pour Jean-pierre Jouyet”, plaisante le président. Après s’être isolé quelques minutes sur le balcon de l’élysée, il décide d’allumer la télé, demande “Vous préférez TF1?”, zappe mais tombe par erreur sur bein Sports. Rires parmi les proches. Sur France 2, c’est Léa Salamé. “Je crois que je préfère encore TF1”, sourit Hollande. Les résultats prennent désormais une tournure officielle. Devant, Macron et Le Pen ; derrière, Fillon et Mélenchon. “Il y a deux élections”, commente-t-il. Puis, “Mélenchon a siphonné Hamon”. Il se met alors à l’écart pour féliciter Emmanuel Macron et “lui donner quelques conseils”,

“Je vais sortir du palais et me retrouver seul dans la rue, puis être obligé d’appeler un Blablacar ou un Uber sans un sou en poche” François Hollande, imaginant son départ de l’élysée

tandis que Jouyet répète: “C’est inouï, c’est inouï”, en regardant le score de l’ancien ministre. Quelques heures plus tôt, ce matin, Hollande était à Tulle, en Corrèze, le fief où tout a commencé. Il était là pour voter. Le rituel du retour à la terre d’élection, avec peu de chances de se brûler avec l’acrimonie des déçus du hollandism­e et l’assurance de tomber sur des têtes dont on connaît les prénoms. Il s’était rappelé les années à labourer l’ex-terre chiraquien­ne au volant de sa Ford Orion qui “rentrait toute seule à Paris”. Des panneaux de promotion le long de la route. “La Creuse, vacances heureuses”, ou encore “Sors de ta bulle, viens à Tulle”, qui “n’a pas ramené un max de touristes”. Il avait voté dans la salle Marie-laurent, que les vieux Tullois appellent “la salle de l’université populaire”, selon une dame qui faisait la queue à l’isoloir. Le devoir accompli, il avait pris la pause avec Yvette, qui vient à chaque élection et lui a cette fois offert des sablés. Devant les photograph­es, François avait repoussé le déambulate­ur de la pauvre Yvette, bien conscient que l’image risquait de servir de parabole à sa petite mort politique. Puis, il avait écouté la petite dame, qui craignait une victoire de l’autre François. Fillon. “On va être beaucoup à le regretter notre président. On va en avoir un avec des casseroles. Si c’est comme ça, moi je quitte la France.” Après avoir salué un petit comité de supporters, Hollande avait rejoint la mairie pour retrouver Bernard Combes, qui lui a succédé en 2008. Ensemble, ils avaient fait la tournée des bureaux de vote, puis des travaux en ville. Dans une rue du centre-ville en voie de piétonisat­ion, Hollande avait admiré une maison de notable en ironisant sur sa vie d’après. “On serait pas bien, là? Un duplex à 500 euros.” Poignées de main aux électeurs, des “bonjour”, des “rebonjour” à ceux qu’il avait déjà vus. Il pense que les Corréziens “vont être tristes” une fois son départ acté. Une grand-mère lui avait parlé de l’après. Il avait répondu: “Mais non, c’est la vie”, avant de repartir pour la mairie de Laguenne, à quelques kilomètres. C’est là que se sont invariable­ment terminés les dimanches d’élections gagnées, chez Roger Chassagnar­d, le maire. Ils étaient montés au premier étage, où une vingtaine d’habitués se retrouvaie­nt autour de tranches de rôti de porc, de Saint-nectaire et d’un pâté de pommes de terre basque. On avait voulu lui refiler de la tourtière à l’armagnac. Il avait ressorti une vieille excuse. “Non, je conduis.” Avant de faire mine de se rappeler: “En fait, ça fait cinq ans que je n’ai pas conduit.”

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Hollande faisant la danse de la victoire, à l’annonce du score de Macron?
 ??  ?? Hollande dans l’attente des résultats du premier tour, avec ses proches.
Hollande dans l’attente des résultats du premier tour, avec ses proches.
 ??  ?? Le hibou et le hublot.
Le hibou et le hublot.
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Découvrant l’oeuvre de J.R. à Montfermei­l, un univers impitoyabl­e.
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Photos voilées.
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