BRIGITTE MACRON
Le jour où elle s’est engagée en politique
Son fils aura bientôt 40 ans. Comme le président. Elle, juchée sur une paire de talons et serrée dans un tailleur sans plis, approche du double. Assise dans le salon de sa vaste demeure de Truchtersheim, Simone Uhl dit avoir bien connu Brigitte Auzière, la mère de la petite Laurence, inscrite dans la même école maternelle que son fils. Pendant des années, elles se sont côtoyées. Avant de se perdre de vue. Jusqu’à ce soir de 2014 où son fils lui tend son smartphone. Dessus, une photo d’emmanuel Macron, tout juste nommé ministre de l’économie. À sa droite, une femme blonde d’une soixantaine d’années. “Je l’ai tout de suite reconnue: c’était Brigitte”, rejoue l’alsacienne, troublée par le destin hors norme de son ancienne voisine. Un peu comme son rejeton qui, enfant, avait lui aussi “un petit faible” pour Madame Auzière. “Je crois que le petit était amoureux d’elle, confie-telle d’une voix douce. Brigitte avait une présence très intense, énergique, mais avec féminité. Un côté sensible et fin et, en même temps, elle ne tournait pas autour du pot. Et puis, mon fils a été très touché parce qu’elle est la première femme à l’avoir autorisé à le tutoyer.” Simone jette un regard sur un livre de recettes du pâtissier Pierre Hermé posé sur la table basse, puis évoque le goût infaillible de la nouvelle première dame, leurs conversations “autour des macarons” et le départ de Brigitte pour Amiens, sa ville natale, au début des années 90. Depuis, plus de nouvelles. Ou si peu. “Quelques années après, la directrice de l’école maternelle de Truch’ m’a annoncé que Brigitte était partie vivre avec l’un de ses élèves, note-telle, avant de rejouer sa réponse de l’époque: ‘Oh, vous savez, ces choses-là arrivent, mais ça ne dure pas.’” Raté.
Vingt ans plus tard, Brigitte Auzière est devenue Brigitte Macron, l’épouse du président de la République. Elle s’apprête à tenir son rang de First Lady pour cinq ans, renouvelables. Certains raillent son âge: 24 ans de plus que son mari. D’autres s’interrogent sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans les prochains mois, le président Macron ayant assuré vouloir donner un statut officiel aux premières dames. Effacée, comme Yvonne de Gaulle? Militante, telle Danielle Mitterrand? Glamour, façon Carla Bruni? Ancien voisin, désormais maire de Truchtersheim, Justin Vogel la pressent aux avant-postes. Exactement comme durant ses années alsaciennes, à la fin des années 80. “C’est elle qui a lancé le méchoui de quartier, raconte-t-il depuis son bureau. Elle participait activement à la vie associative locale. On sentait qu’elle avait envie de s’impliquer.” De 1986 à 1991, Brigitte Auzière vit à Truchtersheim, commune de 2 000 habitants située à une vingtaine de
kilomètres de Strasbourg, où son mari d’alors, le banquier André-louis Auzière, a été nommé à la direction de la Banque française du commerce extérieur. Le plus clair de son temps, elle le passe en centre-ville, au collège protestant Lucie-berger. De la rentrée 1986 à l’été 1991, celle qui a travaillé un temps comme attachée de presse à la chambre de commerce du Pasde-calais enseigne le français. Aux élèves, elle fait lire du Maupassant. Dans un style que ceux qui l’ont connue alors décrivent aujourd’hui comme “une main de fer dans un gant de velours”. “Quand elle disait ‘au travail’, mieux valait bosser, témoigne une ancienne élève. Elle avait une grande rigueur et en même temps une grande bienveillance. Elle essayait toujours d’aller chercher le plus découragé pour lui montrer qu’il avait des capacités.” Simone Uhl abonde dans ce sens: “Brigitte avait le talent de voir chez quelqu’un son potentiel. Non seulement elle le voyait, mais elle savait l’extraire et le développer.” L’ancienne élève reprend: “Il y avait une aura autour d’elle. Les garçons, même ceux qui n’aimaient pas le français, buvaient ses cours.”
“Truchtersheim demain”
Truchtersheim, fertile à souhait, a d’abord été surnommée “le grenier à blé de Strasbourg”. Avant d’écoper d’un nouveau surnom, plus tape-à-l’oeil. “On parle de notre village comme du ‘petit Monaco’ de la région strasbourgeoise, explique le maire. Nous devons être l’une des communes qui a le plus de personnes soumises à l’impôt sur les sociétés en Alsace. Des familles aisées se sont installées ici parce que ce n’était pas bien loin de Strasbourg.” Mais la future première dame a, alors, d’autres ambitions pour Truch’. En 1989, Jeannine Briard, 83 ans aujourd’hui, entend frapper à sa porte, rue du Sonnenberg. Derrière, Brigitte Auzière et le docteur Claude Bronn. Ils montent la liste “Truchtersheim demain” pour les prochaines élections municipales. Objectif: succéder à Roger Weiss, maire depuis 1965. Et ils ont besoin de renfort. “Brigitte m’a dit: ‘Écoutez, il nous manque une personne, Madame Briard, nous sommes quatorze, et il nous faut être quinze.’ Moi, j’étais institutrice, je n’avais jamais fait ça, mais elle non plus, alors j’ai dit oui.” La liste validée, la campagne commence. Les réunions se font chez les uns, chez les autres ou au restaurant Lazarus, autour d’une bière et d’une choucroute. Des tracts sont distribués. Et l’accueil s’avère plutôt chaleureux. Il faut dire que le programme de “Truchtersheim Demain” n’effraie pas grand monde. Jean-paul Debes, présent sur la liste, s’en souvient. À l’époque, il était gérant d’un service d’ambulances. “On souhaitait installer un parc de santé tout neuf, un skatepark et des nouveaux logements sociaux. Brigitte trouvait aussi qu’il y avait des problèmes concernant la jeunesse: les jeunes ne pouvaient rester au village à cause du prix au mètre carré. Elle voulait y remédier, elle souhaitait qu’ils puissent rester sur place.” Il dit aussi que c’étaient leurs “idées personnelles”, “sans parti politique ni étiquette”. Jeannine Briard tique. Elle préfère nuancer. “On était tous
“Brigitte avait le talent de voir chez quelqu’un son potentiel. Non seulement elle le voyait, mais elle savait l’extraire et le développer” Simone Uhl, une ancienne voisine
de droite, Brigitte aussi, dit-elle, assise en dessous d’une peinture italienne aux allures christiques. Je dirais même qu’on était un peu trop à droite.” Elle se souvient de la devise de la liste: “Dans le respect de tous.” Pourtant, très vite viennent les désillusions. Et les problèmes. La liste n’est pas vraiment représentative de la population du village de l’époque et laisse une impression élitiste. Parmi les quinze membres de “Truchtersheim demain”, on trouve un directeur de recherche au CNRS, un directeur industriel, un directeur du personnel, un ingénieur ou encore un médecin. La dimension agricole du village est totalement occultée. “Il y avait trop de différences entre la population et nous, reprend Jeannine, il n’y avait que des gens intellectuels. Et puis, en face de nous, on avait M. Siegwald. Comme il était directeur du Crédit Agricole du coin, il avait la mainmise sur les agriculteurs.” Jean Paul Debes évoque des lettres anonymes laissées dans les boîtes aux lettres, demandant de retirer la liste. “La succession du maire était déjà préparée depuis de longues années, avance Justin Vogel. La liste de M. Siegwald, sur laquelle j’étais d’ailleurs, représentait l’ancien village, les vieilles familles, les agriculteurs et les artisans, ils étaient majoritaires. La liste de Mme Auzière, c’étaient plus des gens qui venaient d’arriver. Ils voulaient apporter du sang neuf dans la municipalité. Après tout, elle n’était là que depuis deux ans, mais elle avait déjà un peu cette fibre politique.” Certains n’hésitent pas, aujourd’hui, à faire le parallèle avec le parcours politique d’emmanuel Macron. Deux membres d’une certaine élite affirmant vouloir déloger les anciens notables. Deux candidats à une élection après seulement deux années de présence sur la scène. Deux programmes qui misent sur la jeunesse. Mais deux destinées bien différentes, aussi. Le 12 mars, Brigitte n’est pas élue. Sur sa liste, seules trois personnes recueillent suffisamment de voix. “Ça l’a emmerdée de perdre les élections, elle y croyait vraiment, croit se rappeler Debes. Mais on avait des familles qui étaient là depuis des décennies. S’il y a dix membres de la même famille qui votent pour la même personne et que vous êtes seul de votre côté, vous ne faites pas le poids.” Marie*, l’une des voisines de Brigitte, n’y croyait pas trop non plus. “Ces maires qui sont dans ces villages depuis longtemps, on ne se présente même plus contre eux. On peut, mais ça ne sert à rien: on ne gagnera jamais.” Le 9 avril 2017, Emmanuel Macron, lui, a fait 25% au premier tour de la présidentielle à Truchtersheim, derrière François Fillon et ses 30%. Puis 71% au second tour, loin devant Marine Le Pen. Une victoire, enfin, pour Brigitte. Et une bonne opportunité pour reprendre contact, pense Jeannine. “Je vais me rappeler à son bon souvenir et aller la voir, assure-t-elle. Je vais lui dire ce que je pense de l’éducation nationale, combien tout est pourri. J’ai beaucoup d’idées pour améliorer la situation.” Marie, elle, est inquiète. Elle a entendu une interview de Claude Pompidou sur la vie à l’élysée. “Elle disait que la première dame n’avait rien à faire là-bas, qu’elle s’y ennuyait ferme. Elle n’avait pas aimé y vivre.” Madame Pompidou surnommait même l’élysée “la maison du malheur”. “J’y ai pensé pendant que j’épluchais mes pommes de terre devant ma fenêtre, continue-t-elle. J’ai bien réfléchi et je me suis dit que, franchement, Brigitte serait plus heureuse •TOUS à Truch’.” PROPOS RECUEILLIS PAR GB ET WT *À la demande de l’intéressée, le prénom a été modifié