Society (France)

ROGER FEDERER

Il n’est pas à Roland-garros mais il est dans Society

- PAR BRIEUX FÉROT, À INDIAN WELLS

La messe est dite depuis longtemps: Roger Federer est le plus grand joueur de l’histoire du tennis. Mais qui croyait qu’à 35 ans passés, il serait encore capable de jouer la gagne? C’est pourtant ce qui se passe: depuis le début de l’année, celui qui a choisi de faire l’impasse sur Roland-garros, enchaîne les victoires. Confession­s d’un génie.

Vous souvenez-vous du joueur que vous étiez à 6 ans? À 6 ans, j’étais vraiment le mec qui tape la balle contre le mur et qui était content de pouvoir jouer avec ses parents. Chaque occasion d’être sur le terrain, après l’école ou le week-end, très honnêtemen­t, c’était un vrai plaisir. Je n’étais pas du tout dans l’idée de faire des beaux coups, à l’époque. C’était juste le fait de pouvoir jouer qui me rendait heureux. Je n’avais pas encore participé à des tournois, j’ai commencé à 8 ans.

Il paraît qu’au début, vous étiez capable de piquer des grosses colères qui vous faisaient perdre des matchs. La première, c’était quand? Vers 10 ans, je pense. Dès qu’il y a eu des attentes, en fait. Entre 10 et 16 ans, j’étais un joueur émotionnel. Ah, cette période… Je perdais beaucoup de matchs à cause de mon attitude. Je pleurais pendant que je jouais, parfois je ne voyais pas la balle parce que mes yeux étaient mouillés. C’était un peu dramatique, mais ça me montrait, et à mes parents aussi, que le tennis me tenait vraiment à coeur. Et ça, c’est une bonne chose. Quand je parlais avec mes parents ou mes coachs, c’était toujours le même conseil qui revenait: ‘OK, essaye de gagner les matchs, mais remporter un tournoi aujourd’hui, à 12 ans, honnêtemen­t, ça nous est complèteme­nt égal… Prends un peu de risques, ne remets pas la balle 100 millions de fois, fais des amortis, joue avec du toucher.’ Et ça se voit, je crois: je joue toujours comme un gamin aujourd’hui!

À 14 ans, vous participez au tournoi des Petits As à Tarbes, sans gagner… Là, personne ne m’a regardé, honnêtemen­t. J’ai perdu 6-2, 6-2 sur le court numéro 2, sans les lignes de double, au deuxième tour de la consolante, je m’en souviens comme si c’était hier. C’était un apprentiss­age, de savoir que j’étais très loin de tout. Parce que c’était bien d’être fort à Bâle et pas trop mal en Suisse, mais dans le monde, je n’étais personne. Ce n’est pas vraiment à ce moment-là que des gens me disaient que je pourrais devenir numéro un mondial.

Ça a commencé quand? De 16 à 19 ans, un peu. J’ai gagné mon premier tournoi internatio­nal à Lille, en indoor. Après, en Italie, j’ai gagné mon premier tournoi en moins de 18 ans, mais à 16 ans, je crois. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que je pouvais me mesurer aux meilleurs, qu’il n’y avait plus personne de vraiment largement plus fort au-dessus. J’ai d’ailleurs fini l’année numéro un mondial des moins de 18 ans, même si j’ai été un peu chanceux… C’est à cette époque que je suis devenu un homme, dans un sens. J’étais encore un adolescent, mais le corps a grandi et je me suis rendu compte que je pouvais jouer avec des pros, servir à 190, 200 km/h… Tout est venu d’un coup, et je suis devenu un autre joueur.

Vous vous souvenez de la première raquette que vous avez cassée? C’était déjà une Wilson, à l’époque, sauf que je prenais les raquettes de mon père quand je n’en n’avais pas. Le plus dur, ça a été d’expliquer pourquoi je m’étais fait virer de l’entraîneme­nt… Le coach m’avait dit: ‘OK, ciao, si c’est pour jouer comme ça, oublie!’ J’attendais avec mon copain Marco Chiudinell­i, qui est sur le Tour (ATP World Tour, ndlr) aussi aujourd’hui, que quelqu’un – son père ou ma mère– vienne nous chercher. On savait que ça allait être compliqué… Tout cela a été très important pour nous – enfin pour moi du moins –, de comprendre ce qu’il ne fallait pas faire.

Vous n’avez jamais fait de crise d’adolescenc­e? Si, à la rigueur quand je suis arrivé sur le circuit, j’allais parfois en boîte, à Miami ou dans d’autres endroits, mais jamais je n’ai fait de trucs vraiment fous. J’étais toujours très honnête. C’était très important, ça: je n’ai jamais fait un truc dans le dos de mes parents. Je n’étais pas du genre à dire que je rentrais à 22h et, en fait, je sortais jusqu’à 1h:

à 21h45, je les appelais pour leur demander de rester une demi-heure de plus chez mon pote! Cette honnêteté, je pense que c’est aussi ce qui explique que j’ai toujours une bonne relation avec mes parents.

Vous souvenez-vous du match où vous vous êtes fait éclater par Hicham Arazi sur le court numéro 2 de Roland-garros, en 2002? Oui: trois petits sets! Je m’attendais vraiment à aller très loin cette année-là, j’essayais de jouer comme un futur champion. Finalement, j’ai perdu 6-3, 6-2, 6-4. Là, tu te dis que la route est longue, qu’il reste tellement de boulot à faire, physiqueme­nt et mentalemen­t... Tu peux frapper un bon coup droit, OK, mais est-ce que tu peux le faire point après point, semaine après semaine, mois après mois? C’est ça qui est tellement difficile à atteindre. La constance. C’est ce qui sépare les meilleurs des autres, dans le tennis, et aussi dans la vie.

Quand vous avez commencé à gagner des tournois, vous étiez devenu un autre Federer. Presque quelqu’un de froid… Aujourd’hui, je vis bien avec, mais au début, c’était complèteme­nt bizarre de voir ce nouveau ‘Rog’ très calme, qui ne balançait plus de raquettes, qui ne criait plus. Mais je m’étais dit que je ne voulais plus partager toutes mes émotions avec mes adversaire­s. J’ai eu conscience assez vite d’un truc: si je m’énerve, mon adversaire va me prendre de l’énergie, il va s’en nourrir. Alors ce Federerlà, jusqu’à un certain point, je l’ai vu comme une sorte de poker face. Je pense que ça m’a aidé, même si à l’intérieur, je suis resté moi-même: je pouvais m’énerver en étant surpris par une réaction de l’adversaire ou superconte­nt après un très beau point, mais je ne le montrais plus. J’ai également appris à réaliser comment je devais m’encourager, combien de fois je pouvais le faire, et à quel moment du match… Encore aujourd’hui, c’est toujours une bataille, car tu ne te sens pas pareil tous les jours. Contre Donskoy à Dubaï, cette année, j’étais un peu fatigué et j’aurais dû me réveiller, mais je n’ai pas pu, je ne l’ai pas fait, et je le regrette. Même à 35 ans, je fais encore des erreurs comme ça. Ça arrive. Avez-vous le souvenir d’une très grande victoire, où vous étiez à presque rien de vriller? Je ne sais pas vraiment, mais je dirais que c’est souvent le cas, même aujourd’hui… À mes débuts, je vivais tout avec le coeur, j’étais à fleur de peau. C’était fragile et beau. C’est pour cela que j’adore suivre les jeunes sur le circuit, car tout est nouveau pour eux, c’est frais. C’est ce que j’ai envie de leur montrer: tout ce plaisir que je prends, c’est parce que le rêve s’est réalisé. J’espère qu’ils le voient aussi de cette manière. Être dans les 100 meilleurs mondiaux, jouer dans des grands stades… Combien d’autres rêveraient d’être à notre place? Alors franchemen­t, prends du plaisir. Ne fais pas juste ce que tu devrais faire, tes exercices de double, etc. Tu dois les faire, bien sûr, mais à la fin, tu restes un joueur. Tu n’es pas un prof de fitness, un stretcher ou un masseur: tu es un joueur de tennis! Moi, je resterai un tennisman, un joueur, jusqu’à la fin. Par exemple, j’adore toujours autant le minitennis que quand j’allais à La Baule en moins de 16 ans et qu’on en faisait pendant une heure! J’adorais ça, et je veux que ça reste en moi.

Vous regardez encore le tableau des tournois quand vous jouez aujourd’hui, ou c’est juste pour le plaisir? Le tirage au sort, je m’en fous. Je viens pour jouer les meilleurs. Cette année, je suis heureux si je rends des gens heureux, c’est tout. Je ne joue pas pour moi en ce moment, je le sais: je joue pour les gens. Et c’est plus relaxant.

“Au début, j’étais un joueur émotionnel. Je pleurais pendant que je jouais. Parfois je ne voyais pas la balle parce que mes yeux étaient mouillés”

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