Society (France)

ÉRIC JUDOR

“POURQUOI JE NE FAIS PLUS RIRE LA FRANCE”

- PAR MAXIME CHAMOUX ET VICTOR LE GRAND / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR SOCIETY

Ca fait deux semaines que Problemos est en salle. Ça marche bien? C’est pas fou. On a fait 100 000 entrées la première semaine. C’est ce qu’on faisait en une journée avec Ramzy à l’époque de La Tour Montparnas­se infernale. C’est chiant, parce que je trouve le film vraiment parfait! J’espère toujours que ce soit le plus gros succès possible, que je puisse tordre le cou et amener le grand public vers un autre style de comédie. Mais il faut se méfier de mon avis, car j’aime beaucoup ce que je fais. Et j’ai toujours l’impression que le public n’a pas compris, alors que je dois faire de la merde aussi…

Mais tordre le cou à quoi? À une sorte de convention de la comédie en France. Les films qui sortent aujourd’hui sur nos écrans ont tous le même rythme Youtube (il claque des doigts). C’est épileptiqu­e. On ne laisse pas le temps au jeu, on ne laisse plus le temps à rien. On balance une situation, on fait faire aux personnage­s des têtes marrantes et on coupe là-dessus avec une grosse musique. Je trouve que la comédie française est très surlignée: ‘Regardez, c’est là que c’est drôle. Riez!’ Ça c’est pour la forme mais sur le fond, c’est toujours la même chose également: des histoires simplistes qui traitent de la lutte des classes. Les pauvres contre les riches. C’est le pitch de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu?, d’intouchabl­es ou de Bienvenue chez les Ch’tis. Depuis toujours. D’un côté, les pauvres sont soudés, ont du coeur et des bonnes valeurs ; de l’autre, les riches sont des cons et très souvent interprété­s par Christian Clavier. Les comédies italiennes des années 50-60 le faisaient très bien, c’est bon quoi. Il y a un truc redondant, ronflant et fainéant dans l’écriture de la comédie en France.

Problemos aborde pourtant le thème de la lutte des classes, que ce soit avec Victor –ton personnage, cliché du Parisien qui vient se foutre de la gueule des zadistes–, ou les zadistes eux-mêmes, qui excluent un clochard parce qu’il pue… Pas tellement. Je pense que le film parle surtout de la nature humaine. Il est apolitique, il pose juste les limites d’un discours: le vivre-ensemble, vivre pour et par l’amour, la main tendue vers l’autre, dans un monde sans hiérarchie. Par exemple, dans Problemos, même si les zadistes rêvent d’une société horizontal­e, ils vont finir par se taper dessus pour savoir qui est leur chef quand les choses commencent à mal tourner. En réalité, le film traite de la soif de pouvoir systématiq­ue de l’homme. Ce qui m’intéresse, c’est la nature crasse de l’être humain, plus qu’un énième débat social. Quand notre nature est plus forte que notre posture civilisée. Quand l’homme de Cro-magnon rejaillit chez l’homme moderne qui porte un costume-cravate mais qui ne peut pas s’empêcher de mater le cul de la meuf de 16 ans. J’ai l’impression que plus on se civilise, plus nos bas instincts ressurgiss­ent. Et c’est avec ce contraste que je veux faire rire.

Tu es allé à Nuit Debout pour préparer le film. Tu en as pensé quoi? Je n’ai pas poussé le vice jusqu’à applaudir en faisant les marionnett­es avec les mains, mais je suis allé écouter. Et j’en suis reparti sincèremen­t charmé. Il y avait un élan sincère. Ce n’est sans doute pas une révolution, mais ça me donne un petit espoir dans le fait que les gens ne sont pas totalement amorphes. Car depuis quelques années, Facebook, Twitter, Instagram ou Snapchat ont quand même bien endormi les jeunes, qui sont très centrés sur eux-mêmes, qui se selfisent et n’ont plus tellement d’approche collective des choses. Après, personnell­ement, je ne suis pas du tout comme les mecs de Nuit Debout. C’est en y allant que je me suis rendu compte que j’étais très ‘Babylone’, en fait (rires). D’ailleurs, c’est la première fois que je me trouvais dans un contexte politique. Au lycée et à la fac (il a une maîtrise en langues appliquées, ndlr), j’avais déjà assisté à des débats étudiants, contre la loi Devaquet notamment, mais j’ambitionna­is à cette époque de devenir tennisman profession­nel, alors je n’étais pas du tout rentré dedans. Quand les autres allaient manifester, j’allais frapper des coups droits.

Tu as grandi à Montigny-le-bretonneux, dans les Yvelines. Ça ressemble à quoi aujourd’hui? J’y vais le dimanche pour le déjeuner familial et ma journée se résume à manger chez ma mère, faire la sieste chez ma mère et faire une balade avec ma mère. Mais pendant la balade, je vois que ça n’a pas tellement bougé. Montigny-le-bretonneux, c’est Kaufman & Broad: plein de maisons collées qui se ressemblen­t toutes. Mais chacun à son petit jardin, son petit bonheur. C’était historique­ment un petit village et c’est devenu une ville nouvelle. Il n’y a plus rien à faire mais je pense que c’est la parfaite catégorie sociale pour être heureux. On dit souvent qu’il n’y a plus de classe moyenne en France, moi je peux vous assurer qu’elle est à Montigny.

Tu as également travaillé chez Bouygues à Paris, comme logisticie­n. C’était comment la vie d’entreprise? Atroce! C’est ce qui m’a convaincu qu’il fallait que je trouve un métier où il n’y avait pas ce poids du septième étage. Moi, j’étais au troisième. Et ça me rendait fou, ces gens du septième qui me passaient devant sans me dire bonjour quand je leur tenais la porte. J’avais beau être un col blanc, il y avait des cols encore plus blancs qui me faisaient comprendre que j’étais de la merde! Ça m’était insupporta­ble. Je me disais: ‘Un jour, moi, je rigolerai avec vos patrons.’ Et c’est ce qui s’est produit ensuite. J’ai déjà rencontré des grands patrons, à EDF notamment avec mes pubs, et quand je leur tape dans le dos, je les tutoie en leur faisant deux vannes. C’est un kif pour moi de mettre tous ces gens-là à un même niveau humain. J’aime bien rabattre le caquet de tous ces mecs en costard qui se sentent au-dessus de nous dans leur tête.

Aujourd’hui, avec ta notoriété, tu n’as pas l’impression, comme ces grands patrons, de faire partie de ces ‘élites’ dont on a tant parlé durant la campagne présidenti­elle? D’être le ‘système’? Oui, je dois être complèteme­nt dans le système: je vis bien, je fais du cinéma… Je ne sais pas comment l’art de la comédie est considéré chez ceux qui parlent du ‘système’. En plus, j’imagine que certains considèren­t l’humour comme un moyen d’endormir les

“Il faut se méfier de mon avis, car j’aime beaucoup ce que je fais. Et j’ai toujours l’impression que le public n’a pas compris, alors que je dois faire de la merde aussi…”

masses… Il se trouve que ma nature à moi, c’est de vouloir faire marrer. Et faire marrer, pour moi, ça a un autre sens qu’endormir les masses. C’est beaucoup plus spontané comme démarche.

Ton humour n’a jamais été engagé? Quand j’ai commencé avec Ramzy, il y avait Jamel, qui était le porte-drapeau d’une classe sociale –les banlieues, pour le dire vite–, ou encore Élie et Dieudonné, qui cartonnaie­nt et qui étaient dans un humour sociétal, avec la question du racisme notamment. Alors, comme on ne voulait ressembler à personne, on s’est lancés dans un truc absurde et burlesque car c’était notre façon d’être universels.

Cette ambition d’un rire universel, tu penses qu’elle s’est concrétisé­e? Pas forcément, car il faut dire aussi qu’éric et Ramzy ont longtemps été le porno de l’humour. Comme si on nous regardait en douce. Comme si on était un truc honteux, quoi. Il y avait des journalist­es qui me disaient en privé: ‘Ah ouais, Éric et Ramzy, je connais, on adore avec mon fils’ mais qui derrière me défonçaien­t dans leurs papiers. On a beau avoir fait deux millions d’entrées avec La Tour Montparnas­se infernale, on n’arrêtait pas de nous faire des doigts d’honneur dans la presse! Alors qu’aujourd’hui, la presse est dithyrambi­que sur Problemos, des Cahiers du cinéma à L’obs en passant par Voici, Le Monde et surtout Télé 7 Jours, mais désormais, c’est le public qui nous fait un doigt!

Tu penses qu’à un moment, quand même, tu as réussi à faire rire toute la France? Non. On a eu une très grande notoriété, mais ça s’arrêtait à 25 ans maximum. Et ce public s’est réduit comme peau de chagrin pour se concentrer aujourd’hui aux villes et même aux centres-villes. Quand tu regardes là où Problemos marche, c’est UGC-LES Halles. Paris centre, quoi. Il se trouve que j’habite Paris centre, donc c’est plaisant, hein. Les gens sont plutôt bienveilla­nts avec moi dans la rue, mais bon…

Il y a un humour ‘pour Paris’ et un humour ‘pour la province’? Je ne pense pas que ce soit l’humour, le problème. Ni le rythme ou l’écriture. Le problème, ce sont les sujets que je

“L’humour français, ce sont des histoires simplistes qui traitent de la lutte des classes. D’un côté, les pauvres sont soudés, ont du coeur ; de l’autre, les riches sont des cons et très souvent interprété­s par Christian Clavier”

choisis. Par exemple, Problemos parle des zadistes ; il y a des gens qui ne savent même pas ce que c’est. Si je mettais mon travail au service d’un sujet très classique, je pense que je pourrais me rapprocher d’un succès grand public. Mes pubs EDF, par exemple, sont imposées aux gens et, malgré tout, ils se marrent. C’est exactement le même humour que dans Platane ou dans Problemos mais la différence, c’est que ça traite de choses du quotidien, que les gens comprennen­t ou connaissen­t. Problème: je ne suis pas un commerçant. Je ne sais pas bien vendre le package comme il faut.

Être ce ‘commerçant’ est devenu obligatoir­e? Plus qu’un commerçant: un communican­t. Regarde la nouvelle génération: Kev Adams, le Woop… Les mecs utilisent tous les outils tous les jours, dans tous les sens pour parler d’eux et faire parler d’eux. Eux en train de se doucher, de parler à leurs potes, de faire du vélo… Ça n’est que du vent. Mais ils existent. Et aujourd’hui, pour exister, il faut agiter les bras. Ça n’est pas ma culture. Avant, je pensais que la qualité de l’oeuvre suffisait pour ramener des gens en salle ou devant leur télé. Ça, c’est fini.

C’est vrai que c’est Bolloré qui a voulu prolonger Platane? Oui. Des gens chez Canal m’avaient laissé entendre que la saison 3 de Platane était actée avant même que la 2 ne soit diffusée. Mais ça a été un tel échec qu’à un moment, je n’ai plus eu de nouvelles. J’appelais, j’appelais, mais on ne me répondait pas. La relance est venue de Bolloré, qui a organisé une réunion et m’a dit: ‘J’adore ce que tu fais. Qu’est-ce que tu veux faire?’ Je me suis dit: ‘Mais il est génial ce mec!’ (rires) Ça a duré un quart d’heure et ça a débouché sur la mise en production de Platane 3. Bon, après, j’ai lu les papiers, j’ai lu tout ce qui s’est dit sur lui, hein. Mais, avec moi, il a été princier.

Quel constat tu fais de l’évolution de la télé depuis tes débuts, il y a 20 ans pile? Je ne sais pas si la qualité de la télé a baissé ou si c’est moi qui ai vieilli, mais elle ne me fait plus marrer. Quand j’étais ado, je regardais Coucou c’est nous!, avec Dechavanne, Patrice Carmouze, tout ça. Franchemen­t, j’adorais. Mais à l’époque, des émissions comme ça, il y en avait deux, trois maximum. Aujourd’hui, l’humour est partout. Les chroniqueu­rs, le décalé… C’est insupporta­ble. On demande à des tas de gens d’être drôles parce qu’ils présentent une chronique, et ça n’est pas leur métier. Tout le monde fait des vannes tous azimuts sur n’importe quoi.

Comme chez Cyril Hanouna? (Il sourit) Ça tourne à vide, il n’y a aucun angle, aucune forte personnali­té comique. On ne s’improvise pas comique. Si tu regardes aux États-unis ou en Angleterre, il y a des trucs costauds qui sortent en termes de divertisse­ment, des mecs malins. En France, on se jette des verres d’eau. Je ne sais plus trop où aller pour promouvoir mes trucs d’une manière qui ne me fasse pas trop souffrir.

Elle vient d’où cette dérision médiatique permanente, selon toi? J’ai l’impression que c’est une manière de survivre à ce flot d’informatio­ns atroces qu’on entend constammen­t. Ce n’est absolument pas naturel ce qui nous arrive en ce moment: on bouffe le malheur du monde entier. T’allumes ton portable, et toutes les heures tu peux chialer si tu

“J’ai lu les papiers sur Bolloré, mais avec moi, il a été princier. Il a signé pour la saison 3 de Platane alors que la saison 2 a été un échec…”

vas un peu trop sur Google News. L’humour, c’est une sorte de réaction naturelle de la société, une manière de mettre tout cela un peu à distance, sauf que c’est fait par des mecs qui ne savent pas faire des vannes, donc c’est encore plus glauque finalement. Ces moches informatio­ns ‘revomies’ par des mauvais humoristes ou des chroniqueu­rs, ça donne un truc encore plus à gerber. Ça m’angoisse. Franchemen­t, l’enfer pour moi, ça serait de faire une chronique quotidienn­e à la télévision.

Avec Ramzy, vous avez pourtant été de très bons clients pour les plateaux télé, avec un rythme de vannes très frénétique… C’étaient les débuts de cette télé-spectacle. On ne nous poussait pas du tout, souvent on voyait même la peur dans le regard de l’animateur et c’était jouissif pour nous. On adorait être l’élément perturbate­ur. Et d’ailleurs, c’est pour ça qu’on a été très souvent mésestimés: les petits jeunes nous disaient ‘trop marrant quand vous avez foutu le dawa chez Arthur’, mais quand ils allaient voir La Tour Montparnas­se infernale, ils voyaient un plan-séquence de huit minutes durant lequel on ne faisait que des carreaux avec Ramzy, et ils trouvaient ça nul. Ou, à l’inverse, les gens qui aimaient le film nous trouvaient insupporta­bles à la télé. Ce sont deux styles que l’on a, qui nous sont propres. Quand il s’agit de fiction, j’aime bien prendre le temps ; mais si c’est dans de la vanne en public, j’aime bien réagir vite et créer le chaos. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, cette frénésie, c’est devenu un système. Celui de la télé. À moins de mettre le feu à un chroniqueu­r et là, oui, tu passes un palier en termes d’‘irrévérenc­e’...

On parle de plus en plus de la responsabi­lité de Canal+ non seulement dans cette fameuse ‘tyrannie du rire’ mais aussi dans le renforceme­nt d’un fossé entre les deux France: celle urbaine, branchée, qui était censée rire aux bonnes blagues et l’autre, ‘périphériq­ue’ comme on dit aujourd’hui, qui est celle dont on se moque car c’est celle qui souffre et qui vote Front national. Tu en penses quoi? C’est sûr: Canal+ s’est adressée à un certain public, parce que pendant longtemps, avec l’abonnement cher et le décodeur, c’était un truc de CSP+. Donc les programmes étaient développés dans ce sens-là. Pourtant, ni Ramzy ni moi n’étions CSP+, loin de là, et ça nous faisait rire quand même. Mais je pense autre chose: en France, c’est devenu dangereux de rire d’une communauté ou d’une autre. Il faut faire hypergaffe ; tout le monde prend tout mal. Tous les sujets sont sensibles. Un exemple tout con: l’année dernière, on fait la tournée de La Tour 2 et on passe par Saint-nazaire. On est dans Le Petit Journal et on fait des vannes sur Saint-nazaire. Je dis: ‘À peine rentré dans la ville, Ramzy s’est mis à pleurer, il comprenait pas pourquoi.’ Une vanne! Une vanne qui est devenue ‘les riches Parisiens se moquent des pauvres Nazairiens qui vivent dans une ville qui est moche parce qu’elle a été rasée pendant la guerre, alors c’est pas de leur faute’… On aurait fait cette vanne il y a cinq ans, personne n’aurait relevé. Aujourd’hui, t’as 300 articles sur Google News.

Pourquoi? Parce que les gens sont malheureux. Parce que la vie est dure. J’ai l’impression qu’il y avait une France plus heureuse quand on a débuté. Il y avait une insoucianc­e. Désormais, perdre son taf, être pris dans un attentat, ça se fait plus vite qu’avant. Il y a une angoisse sous-jacente qu’on n’apercevait pas à nos débuts.

Mais à l’époque, lorsque vous étiez invités à la télévision, vous pouviez aussi être dans une forme de ‘tyrannie du rire’ en vannant un autre invité jusqu’à l’humilier. Ça pouvait être violent… Un jour, on va chez Ardisson, dans Tout le monde en parle. À côté de nous, il y a Maïwenn –on ne la connaissai­t pas, hein– et une autre comédienne. On fait une vanne à cette comédienne, elle se marre avec nous. Puis il y a une pause. Maïwenn se tourne vers nous et nous dit: ‘C’est dégueulass­e ce que vous faites, c’est immonde,

vous me dégoûtez.’ Je réponds: ‘Hein? Quoi? Mais qu’est-ce qui t’arrive?’ (rires) Maïwenn, qu’on n’avait pas vannée, avait donc pris la défense d’une meuf qui était pourtant complice avec nous. Bref, visiblemen­t, Maïwenn déteste ce que l’on fait.

Mais tu pouvais comprendre sa réaction? Oui, bien sûr. Plus jeune, ma mère me reprochait souvent d’aller trop loin dans la vanne. Et quand j’ai trouvé mon double en la personne de Ramzy, on était dans un tourbillon jusqu’auboutiste de la vanne absolue, quand on se trouvait une cible, on la détruisait et on repartait sur une autre. Et on peut d’autant plus comprendre sa réaction qu’on a nous-mêmes été le dindon de la farce, parfois. C’est arrivé à Ramzy un soir à un dîner chez Quentin Dupieux. Il s’est senti invité à un dîner de cons. Tous les convives le vannaient, genre ‘le débile grand public au milieu des mecs branchouil­les de Châtelet-les Halles’, et ça l’a vachement vexé. Pendant deux ans, il n’a plus parlé à Quentin.

À partir du moment où vous vous êtes séparés avec Ramzy, comment a évolué votre relation? Chacun a eu envie d’écraser l’autre. Lui quand il va faire ses films d’auteur et que tout le monde dit: ‘Wow, quel acteur!’ Et moi quand je fais Platane et qu’on dit: ‘Wow, quelle série!’ Je suis bien fier d’avoir fait la couverture des Cahiers du cinéma. Quand le numéro est sorti, j’en ai posé dix devant sa gueule et je n’ai rien dit. Une sorte d’humiliatio­n quoi, c’était très plaisant. (rires)

Contrairem­ent à Ramzy est ses ‘films d’auteur’, comme tu dis, on a l’impression que tu n’as jamais voulu faire ton Tchao Pantin. Pourquoi? On parlait de Jamel tout à l’heure: ce que je regrette, c’est qu’il ne m’emmène pas plus loin. Ailleurs. C’est aussi le cas pour Gad Elmaleh. Ils ont fait des choses drôles mais ils continuent à prendre leur petit train qui les emmène à la gare suivante. Et ils n’en descendent jamais, ils ne prennent pas le coupe-coupe et ne traversent pas la brousse. Moi, j’essaie, à mon petit niveau, de défricher cet art comique. C’est pour ça que je vais dans toutes les directions, que je tâtonne dans le burlesque, dans le comique de situation, dans la vanne hystérique, la comédie de malaise ou encore la comédie spectacula­ire. J’ai envie de continuer à tailler le diamant de la comédie, qu’il soit le plus pur possible à la fin.

Tu dis souvent qu’à partir d’un moment, avec Ramzy, vous ne faisiez plus marrer que vous. Que le monde extérieur ne pouvait plus vous comprendre. C’est arrivé quand? Très tôt. Un peu avant Seuls Two (2008, ndlr). On était autistes, dans un délire incompréhe­nsible pour les autres. Incompréhe­nsible et bruyant! C’est toujours un peu le cas, d’ailleurs. J’ai encore vu Ramzy tout à l’heure: ça reste inaudible pour les autres.

C’est vrai que vos femmes respective­s vous ont quittés parce qu’elles n’en pouvaient plus? C’est Ramzy qui dit ça mais non, elles se sont barrées parce qu’elles sont connes… (rires) Non, je déconne. Mais ce qui était vrai, c’est que quand on était ensemble avec nos femmes, on était plus complices entre nous qu’avec elles, et ça les exaspérait. Forcément.

Ça vous a un peu coupés du monde extérieur? Bah pendant un temps, on s’est perdus dans ce milieu du show-biz, à cause de la thune, on a fini par faire des trucs paresseux qui ne nous ressemblai­ent plus. C’est notre rencontre avec Quentin Dupieux qui nous a ramenés à la réalité de ce qu’on voulait faire au départ: des choses ultradrôle­s quitte à être intimistes. Quand Dupieux nous montre Nonfilm (son premier moyen-métrage, ndlr), on a le ventre cassé. Je me dis: ‘Mais retournons à ça! Même pour cinq euros, allons-y! Écrisnous ce que tu veux, Quentin, et faisons-le!’ Faire rire les gens, mais pour de vrai. Sans calcul. Pas les faire sourire, quoi. Et il a écrit Steak pour nous.

Et c’est Dupieux qui te fait découvrir The Office de Ricky Gervais et Curb Your Enthusiasm de Larry David… Ça a été une révélation. Je découvre un nouveau rythme de comédie. Qui est souvent pris pour de l’absence totale de rythme mais qui, pour moi, est le délice ultime. Pour qu’une comédie ait une âme, il faut du temps. Il faut que ça te coule doucement dans les veines.

Pourquoi ce genre-là ne marche-t-il pas en France? La question, c’est plutôt: qu’est-ce qui fait que chaque pays a quasiment son propre style de comédie? Nous, on a Molière et Zola ; les Anglais ont Shakespear­e. Ce sont les bases de nos dramaturgi­es. Ça dit bien tout ce qu’on va privilégie­r en France: le côté lutte des classes, le bon mot, etc. Et ça raconte déjà ce que les Anglais auront à écrire sur le fond de l’humain. On a des pierres angulaires culturelle­s qui imprègnent et donnent des directions dans l’inconscien­t des artistes.

Comment on fait rire un pays aussi divisé, aussi fracturé que la France de 2017? Je ne sais pas car, clairement, je ne fais plus rire la France, moi! Cent mille spectateur­s en une semaine, j’ai fait le calcul, ce n’est pas la France, mec! Je ne fais plus du tout marrer le plus grand nombre.

Tu as déjà eu envie de tenter ta chance à l’étranger, aux Étatsunis par exemple? J’adorerais. Ici, mon public, c’est une niche. Alors peut-être que j’ai une autre niche ailleurs, et une troisième encore ailleurs. Si on mettait ensemble toutes les niches de tous les pays, ça me ferait un vrai public! Parce ce qu’on ne va pas se mentir les mecs: je ne vais pas survivre en ne faisant rire que Châtelet-les Halles…

“Notre public s’est réduit comme peau de chagrin pour se concentrer aujourd’hui aux villes et même aux centres-villes. Paris centre, quoi…”

 ??  ?? Judor fait désormais cavalier seul. Par ailleurs, ces tuyaux apparents dans un immeuble haussmanni­en sont tout de même étranges.
Judor fait désormais cavalier seul. Par ailleurs, ces tuyaux apparents dans un immeuble haussmanni­en sont tout de même étranges.
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 ??  ?? 100 000 spectateur­s en une semaine pour un film avec des hippies qui chantent Ainsi font font font, c’est pas si mal en fait.
100 000 spectateur­s en une semaine pour un film avec des hippies qui chantent Ainsi font font font, c’est pas si mal en fait.
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