Society (France)

La seconde vie du caca.

Gianantoni­o Locatelli adore les excréments. Et plus précisémen­t ceux de ses vaches, qu’il exploite sous de nombreuses formes, toujours plus inattendue­s.

- – NICOLAS ZEISLER / ILLUSTRATI­ON: HECTOR DE LA VALLÉE POUR SOCIETY

Silhouette élégante, petites lunettes cerclées, costard sombre sur sneakers blanches, Gianantoni­o Locatelli n’a pas vraiment une allure de fermier. Et pourtant, à Castelbosc­o, à 100 kilomètres au sud de Milan, dans sa ferme –“un coup de foudre, achetée au début des années 90”–, il est au four et au moulin. Chaque jour, ses 3 500 bovins produisent près de 55 tonnes de lait, qu’il vend ensuite aux producteur­s de fromage grana padano de la région. Une production intensive. Comme le transit de ses bêtes: “3 500 bovins, cela représente 1 500 quintaux de bouse par jour. Au départ, on ne savait pas quoi en faire. Or, mal utilisée, la merde pose problème, à cause des nitrates qui polluent le sol, des rejets de méthane dans l’atmosphère et de l’odeur, bien sûr”, confie le gentleman-farmer de 61 ans, qui a fini par se plonger dans les livres à la recherche d’une solution. L’étude des Égyptiens, des Étrusques, mais aussi les oeuvres de Pline et d’ovide lui ouvrent les yeux: “Les excréments étaient naturellem­ent inclus dans leur quotidien. Le lien a été rompu il y a quelques centaines d’années seulement.” Mais comment se reconnecte­r avec l’histoire? “En adoptant la technologi­e du biogaz, on a transformé une partie des excréments en méthane, avant de le brûler pour produire l’électricit­é qui alimente et chauffe la ferme”, explique Locatelli, qui ne se prive pas de vendre le surplus à L’ENI, le géant de l’énergétiqu­e italien. “Malgré tout, il restait encore des montagnes de bouse séchée. La deuxième étape a donc consisté à transforme­r notre activité en un véritable projet écologique et industriel futuriste.”

Cela méritait bien un musée

Une partie de la matière organique est désormais recyclée en engrais naturel, le “merdame”. Une source d’économies pour l’exploitati­on –qui s’auto-approvisio­nne–, et même de revenus, l’engrais ayant vocation à être vendu dans les supermarch­és. Locatelli propose également des briques “green” faites à partir des mêmes résidus, et une imitation du marbre: le “merdorino”. Le business est florissant. Mais l’italien veut aller plus loin. Il veut faire du caca un art. “L’art m’a toujours accompagné. Je dessine depuis tout petit. J’ai même eu une période, dans les années 80 à Milan, où je ne faisais que ça. J’étais une sorte d’artiste, de bohémien.” En avril 2015, ce fan d’andy Warhol, passé par la Factory en son temps, ouvre donc le musée de la Merde à Castelbosc­o. “Mon objectif est de créer un choc en associant ‘musée’ et ‘merde’, deux mots aux antipodes. La merde est perçue comme la matière la plus vile. Je veux réhabilite­r le mot et modifier la vision que l’on en a.” Les curieux –des visites gratuites sont organisées sur réservatio­n la dernière semaine de chaque mois– peuvent donc admirer dans le musée des peintures à base de merde liquide, des extraits de films comme celui de Buñuel, Le Fantôme de la liberté, qui renverse l’échelle des valeurs entre les toilettes et la nourriture, ou encore une oeuvre inspirée de L’histoire naturelle de Pline l’ancien, vantant les vertus thérapeuti­ques des excréments. “C’est aussi un lieu d’échange et de recherche sur le thème de la merde et son recyclage”, ajoute Locatelli, pas peu fier de sa dernière folie: une ligne d’objets en “merdacotta”, solution à mi-chemin entre le plastique et la terre cuite composée de bouse, d’argile cuite et d’un “ingrédient secret”, qui permet de façonner des meubles, des vases ou même des couverts. Pour Locatelli, “les toilettes en merdacotta sont les objets les plus cohérents de l’histoire du design”, même s’il avoue avoir un petit faible pour les ustensiles d’art de la table: “Ce sont les plus extrêmes. Quand j’ai vendu mes premières assiettes à Londres l’année dernière, j’ai enfin eu le sentiment de boucler la boucle!”

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