Society (France)

L’infanticid­e.

Le 14 mai 2012, réveillée par des douleurs au ventre, Laëtitia Fabaron a donné naissance à un enfant, seule dans sa salle de bains, alors qu’elle ne se savait pas enceinte. Puis elle l’a étranglé et l’a placé dans son congélateu­r. Le procès se tenait du 2

- PAR MAXIME BRIGAND, À GRENOBLE / ILLUSTRATI­ONS: CHARLOTTE DELARUE POUR

Le 14 mai 2012, réveillée par des douleurs au ventre, Laëtitia Fabaron a donné naissance à un enfant seule dans sa salle de bains, alors qu’elle ne se savait pas enceinte. Puis elle l’a étranglé, et l’a placé dans son congélateu­r.

“On l’a vue descendre les escaliers de chez sa mère. Et on a tout de suite compris qu’elle avait envie de parler, qu’elle souhaitait directemen­t s’expliquer. Comme si elle

n’attendait plus que ça.” L’adjudant Thierry Bernollin n’a pas oublié sa première rencontre avec Laëtitia Fabaron. Il n’a pas non plus oublié le regard de cette femme “fragile”, presque “soulagée” de le voir débarquer ce 23 avril 2013, au bout de onze mois de silence, de honte et d’une “vie de zombie”. Après les avoir accueillis, Laëtitia Fabaron emmène Thierry Bernollin et son équipe au bord d’un chemin de la plaine agricole de Moirans, en Isère. Puis désigne une haie, où un sac est dissimulé. Dedans: un corps de 32 centimètre­s. Celui d’un bébé, enveloppé dans une serviette, le cou serré par l’une des anses, encore congelé. Laëtitia Fabaron l’a déposé ici quelques heures plus tôt, lors d’une promenade avec ses deux enfants, alors que son compagnon, Antoine*, avec qui elle vit alors depuis “sept,

huit mois”, vient de lui indiquer avoir pris rendez-vous avec un avocat. L’histoire a débuté deux jours plus tôt. C’était un dimanche, au bout d’une embrouille comme les autres. “On a eu une dispute, elle est partie voir sa mère, raconte l’ex. J’ai eu envie de me faire à manger, ce que je ne faisais jamais. Elle ne s’occupait pas trop d’elle, mais elle prenait soin de moi comme elle prenait soin de ses enfants. Je suis donc allé vers le congélateu­r et j’ai ouvert le troisième tiroir. J’aurais préféré ne jamais voir ça. Un sac blanc, j’ai pensé que c’était de la viande. Quand j’ai mis ma main dedans... c’était un visage.” Antoine porte une épaisse chaîne autour du cou et un t-shirt noir au-dessus d’un corps bouillant. Il est à la barre de la cour d’assises de l’isère, à Grenoble. Dans la peau d’un témoin. Le procès de Laëtitia Fabaron s’est ouvert le 29 mai dernier, avant de se refermer 34 heures plus tard. La jeune femme, 32 ans, était jugée pour le meurtre de son enfant. Presque deux jours à tenter de trouver des réponses à l’incompréhe­nsible. Pourquoi l’avoir congelé après lui avoir donné la mort? “Ça me perturbait qu’il soit loin de moi.”

Alors pourquoi l’avoir ensuite déplacé? “Je ne voulais pas que les enquêteurs le découvrent à la maison, où je vivais avec mes enfants, au milieu des voisins…” Pourquoi tant de silence? “J’ai plusieurs fois eu envie d’en parler. Je n’ai jamais réussi à le dire à qui que ce soit. Tous les jours, je passais devant la gendarmeri­e en pensant m’y arrêter, et tous les jours je me disais que non. J’avais peur de laisser mes enfants. Alors, je vivais avec, je souffrais avec. Quand mon compagnon a découvert le corps, je n’ai jamais voulu dissimuler mon geste. Je savais que je partirais à un moment en détention. J’avais honte, je devais payer.” Et derrière chaque question, celle-ci: pourquoi avoir tué son nouveau-né, cet acte considéré par les experts comme “le pire en criminolog­ie,

qui fait plonger dans les méandres et la complexité

psychologi­que” de l’individu? Fille d’une mère au foyer devenue aide-soignante et d’un père peintre en bâtiment, Laëtitia Fabaron a d’abord vécu à Toulouse, au début des années 90. Une enfance “fauchée” par la mort de son père dans un accident de voiture et les mots d’une mère endeuillée: “Maintenant, je vais avoir

besoin de toi.” À 7 ans, voici Laëtitia propulsée cheffe de famille. Elle se voit confier la responsabi­lité de ses deux petites soeurs. Elle raconte ainsi avoir dû chercher son éducation “ailleurs, en regardant celle des autres”, tout en apprenant à vivre dans l’oubli de la figure du père, aux côtés d’une mère qui se murait progressiv­ement dans le silence. La famille déménage bientôt à Rives, dans l’isère. Un nouvel environnem­ent où, devenue adolescent­e, Laëtitia Fabaron vit un second drame. En 1999, elle rencontre trois hommes. On la retrouvera quelques jours plus tard à moitié dévêtue dans la rue, en état de coma éthylique. Elle a alors 13 ans. Elle devient “agressive”,

“nerveuse”, selon sa mère, et se “lacère les cuisses avec des couteaux” parfois. Elle part en internat –“les meilleures années de ma vie”–, échoue dans l’obtention d’un bac technologi­que hôtellerie. Une première grossesse arrive en 2005. La jeune femme se dit dépendante au cannabis et reconnaît une “vie privée agitée”. Chaque fois, le même refrain: Laëtitia rêve de fonder le “cocon” qu’elle n’a pas connu plus jeune, se brouille avec ses compagnons, mais tombe souvent enceinte sur les dernières notes de ses relations. À la barre, son avocate, Me Véronique Pigeon, parle d’une situation où, “inconsciem­ment, la grossesse lui permettait de faire revivre une relation éteinte”. En parallèle, après avoir travaillé un temps dans un supermarch­é, Laëtitia devient auxiliaire de vie. Un travail dans lequel elle est décrite comme “courageuse”. Sur le plan personnel, elle est présentée “comme une bonne mère”, qui “se sacrifie souvent pour ses enfants”. C’est en 2011 qu’elle a donné naissance à son deuxième enfant. S’ensuivent des désillusio­ns amoureuses. Jusqu’au “trou noir”.

“Seule, très seule”

Lorsqu’elle se présente aux urgences de l’hôpital de Voiron le 16 février 2012, Laëtitia Fabaron a probableme­nt touché, de son propre aveu, le point le plus bas de sa vie. Elle est “seule, très seule”: “Je n’avais pas vraiment d’amis sur qui compter, plus de travail fixe, je ne m’occupais pas de

moi.” Au point de ne pas être suivie médicaleme­nt depuis plusieurs mois et de ne pas avoir les moyens de se payer la moindre visite chez le gynéco. Sa mère s’inquiète, sa voisine lui fait quelques remarques sur son poids dans les escaliers de l’immeuble. Malgré l’installati­on avec un nouveau compagnon, elle se replie. Une fois, elle évoque

“Quelque chose voulait sortir de moi, comme s’il voulait s’arracher à mon corps. J’étais en pyjama, au sol, et le bébé est arrivé”

“Tous les jours, je passais devant la gendarmeri­e en pensant m’y arrêter, et tous les jours je me disais que non. Je n’ai jamais réussi à le dire à qui que ce soit”

“quelques vomissemen­ts”, rien de plus. En réalité, cela fait plusieurs jours que Laëtitia est victime d’importants saignement­s qui forment des “caillots de la taille de la paume”. Aux urgences, où elle se rend finalement, elle ne recevra qu’une réponse: “Vous avez dû faire une fausse couche précoce. Rentrez chez vous, voilà

du Doliprane.” Sans qu’on lui propose de faire une échographi­e. La jeune femme, qui pense donc avoir “perdu un bébé”, reprend sa vie tant bien que mal. Sur des photos prises lors d’un repas de famille au début du mois de mai, on la voit souriante, le corps mince, enfoncé dans un transat. Le 14 mai 2012, sur le coup de 6h, elle est pourtant réveillée par d’importante­s douleurs au ventre. Elle file dans la salle de bains, s’accroche au lavabo et est couchée par la douleur. Elle perd une quantité importante de sang. “Quelque chose voulait sortir de moi, comme s’il voulait s’arracher à mon corps. J’étais en pyjama, au sol, et le bébé est arrivé. Je n’ai pas compris ce qui m’arrivait sur le coup. Je n’étais pas enceinte, c’était impossible.” Elle explique qu’elle a alors “l’esprit déconnecté”. Elle coupe “instinctiv­ement” le cordon avec des ciseaux à ongles, place le nouveau-né dans une serviette, l’installe dans sa chambre, puis panique. Ses deux enfants sont dans l’appartemen­t, ils ne doivent pas entendre les cris du bébé. Elle va les voir, leur prépare un petit déjeuner dans la cuisine et retourne vers sa chambre. “Je voulais le faire taire. J’étais effrayée par les pleurs.” Quelques secondes plus tard, les cris s’étouffent. Laëtitia Fabaron vient de tuer l’enfant avec les anses d’un sac plastique. Elle le place dans un congélateu­r, où il ne sera découvert que presque un an plus tard.

“Je ne me pardonnera­i jamais”

Durant le procès, l’ombre de deux autres cas a plané sur l’histoire de Laëtitia Fabaron. Celui de Véronique Courjault, la célèbre mère des “bébés congelés”, condamnée à huit ans de prison pour un triple infanticid­e en 2009, et celui de Virginie Labrosse, condamnée, elle, à cinq ans en octobre 2010 pour une affaire similaire. Des noms, des visages, un même terme: celui du “déni

de grossesse”. Une notion que la médecine mondiale peine à assimiler, même si “l’affaire Courjault a fait bouger pas mal de choses” et que l’on estime que la pathologie toucherait environ une grossesse sur 500. Pendant les deux jours du procès, elle a alimenté les débats, provoquant une bataille sémantique à coups de visioconfé­rences entre spécialist­es. Le dernier mot aura finalement été pour le professeur Israël Nisand, chef du pôle de gynécologi­e obstétriqu­e du CHU de Strasbourg: “Il y a chez Laëtitia Fabaron plusieurs causes qui, isolément, seraient largement suffisante­s pour expliquer un déni de grossesse. C’est une grossesse qui se développe à l’insu de la femme, qui continue d’avoir ses règles. Elle ne se sait pas enceinte. Problème: en France, les médecins sont littéralem­ent laminés lorsqu’ils voient une femme qui fait un déni de grossesse parce que ça démontre la force du psychisme. Le psychisme commande tout dans notre corps et les médecins n’aiment pas ça. Ce n’est pas rationnel. Dans cette situation, pour Madame Fabaron, ce n’est pas un enfant qui est sorti d’elle, mais une tumeur qui avait grandi en elle, malgré elle. On peut même parler d’un ‘Hiroshima psychique’.” La cour écoute, la défense encaisse le scepticism­e et l’avocate générale prend la parole: “Il ne nous revient pas de pardonner, ce n’est pas notre rôle. Ne pas la sanctionne­r, c’est tuer une seconde fois ce petit garçon.” Un petit garçon que Laëtitia Fabaron a fait inscrire au registre de l’état civil, que le père biologique a reconnu le matin du jour de l’ouverture du procès –“pour représente­r ce petit”–, et qui a depuis été enterré. Il s’appelait Liam, aurait eu 3 ans le 14 mai dernier. Au bout de la plaidoirie de son avocate, Laëtitia Fabaron, qui a eu il y a quelques mois un fils, né d’une relation avec son nouveau compagnon, s’avance. Elle se dit “prête à toutes les sanctions. Je pense simplement à tout ce que j’ai construit depuis quatre ans. Aller en prison va tout détruire, mais je ne me pardonnera­i jamais”. Elle a été condamnée à cinq ans de • prison, dont deux ferme.

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*Le nom a été modifié

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