Society (France)

D’OPTIMISTES

ALORS, ILS PRENNENT DE LA DROGUE OU PAS?

- PAR WILLIAM THORP / ILLUSTRATI­ON: PIERRE LA POLICE POUR SOCIETY

Ce 18 mars 2016, Emmanuel Macron avait “la positive attitude”. À l’époque, il n’était encore que ministre de l’économie. Veston ouvert, chemise blanche sans cravate, il avait monté au trot les quelques marches de l’estrade et s’était positionné derrière le pupitre. C’était au Conseil économique, social et environnem­ental, pour la séance d’ouverture du Printemps de l’optimisme, un festival annuel de pensée positive qui se décline en débats, formations et ateliers. L’actuel président de la République était venu s’exprimer sur sa vision positive du monde. Rien d’anormal, à en croire Thierry Saussez, vieux briscard de la communicat­ion et fondateur de l’évènement, à sa gauche durant le discours. “Depuis le début, il a fait de l’optimisme la base de son projet, narre-til plus d’un an plus tard au Purple Bar, rue de Courcelles, à Paris. Il parlait ce jour-là des raisons d’espérer, des atouts de la France, de l’europe. Ce qu’il avait dit, c’est qu’au fond, en France, la turbulence et la rupture ne sont pas seulement politiques ou génération­nelles, mais qu’il faut changer un paradigme, arrêter de dire que tout va mal, et dire plutôt qu’il y a des solutions.” “Emmanuel” serait donc un optimiste. Et du genre un peu superstiti­eux. “Avant le dimanche soir des résultats du premier tour, il n’a pas ouvert un seul dossier sur sa stratégie du second tour, il a tout commencé à préparer à partir du lundi suivant, continue le pubard de 68 ans en buvant une gorgée de son café. En même temps, être élu en France sur l’optimisme, ce n’était tout de même pas gagné d’avance.” Et pour cause: la France serait le pays le plus pessimiste du monde. C’est en tout cas ce que disent les chiffres. En 2014, selon le centre de recherche américain Pew Research Center, 86% des Français avaient une perspectiv­e pessimiste sur l’avenir des jeunes génération­s. Selon une autre étude, d’ipsos celle-là, 67% des Français penseraien­t aujourd’hui que leur pays est en déclin. Et 46% d’entre eux estimeraie­nt avoir une vie “moins bonne” que leurs parents. La raison? Yves de Montbron, professeur de management à L’ESCP, a sa petite idée. “On a un vieux fond du Français râleur, du Français mécontent, jamais satisfait de sa situation. Regardez: il y a quelques semaines, le président était à peine élu, il n’avait pas levé le petit doigt qu’il y avait déjà des manifestat­ions préventive­s. Il y a en France une espèce de culture sociale de dire que ça va mal tourner, que l’on va finir dans le mur.” Pourquoi en France? Il pointe les médias. “On invite régulièrem­ent dans les émissions des personnes comme Zemmour ou Finkielkra­ut, qui vont tout le temps vous prévoir le pire, explique-t-il. On est tout de même le seul pays à avoir une espèce d’intellectu­els tout à fait particuliè­re, que l’on appelle les déclinolog­ues.” Autres responsabl­es: les politiques. En 2007, Thierry Saussez était à la tête du Service d’informatio­n du gouverneme­nt de Nicolas Sarkozy. “Je lui disais sans cesse qu’il fallait porter un espoir, positiver. Et lui me répondait: ‘Oui, mais si je fais ça, les gens vont penser que je ne connais pas leurs difficulté­s ou leurs galères.’ Beaucoup de politicien­s sont dans ce schéma-là, ils alimentent eux-mêmes ce climat de défiance.” Alors, pour certains, il fallait “intervenir”. C’est le cas de Philippe Gabilliet, professeur de comporteme­nt organisati­onnel à L’ESCP. Dans les années 80, il était le gars “qui ne savait rien faire: aucune qualificat­ion profession­nelle”. Il se rappelle s’être fait “jeter d’un peu partout. Mais [il] étai[t] persuadé [qu’il] arriverai[t] à [s’]en sortir, et [il a] réussi”. Un optimiste, donc. En 2010, Philippe Gabilliet reçoit un coup de fil d’une certaine France Roque. Elle lui dit qu’elle veut lancer

la Ligue des optimistes, une associatio­n qui s’inspire d’un mouvement belge fondé par Luc Simonet, Optimistes sans frontières. Elle lui demande de rejoindre l’aventure. Philippe dit oui. Il s’occupe d’écrire un livre, Éloge de l’optimisme: quand les optimistes font bouger le monde, “autour de quoi tout sera monté”. L’idée: “créer un mouvement citoyen qui favorise un état d’esprit positif ”. “On souhaite promouvoir une vision du monde qui se veut inspiratri­ce d’optimisme, commence l’auteur. Il y a des trucs réels comme la pauvreté, la misère, les difficulté­s de l’entreprise… C’est vrai. Mais si on veut les combattre, on ne peut se contenter de les déplorer, car sinon, on crée du ressentime­nt et non une envie d’agir, qui nécessite un minimum d’enthousias­me, de désir.” Parmi les premiers adhérents de la ligue, quelques people de l’ancien monde: Jean d’ormesson, Érik Orsenna, Éric-emmanuel Schmitt, Jean-michel Guenassia. Vite, des anonymes rejoignent eux aussi la cause.

Bienvenue chez les “happy culteurs”

Louise Gentilhomm­e –qui arrive dans sa Mazda, un coussin “Je t’aime” en forme de coeur posé sur la plage arrière– est l’une d’entre eux. Ce soir, elle doit participer à une “réunion d’optimistes”. Elle est en retard, ce qui lui donne l’occasion d’une bonne vanne: “Désolée, j’ai été un peu trop optimiste.” Louise, 58 ans, a rejoint la ligue en 2015. Trois semaines plus tard, elle lançait sa première réunion. Au programme: cocktails, interventi­ons de spécialist­es, dîners. Ce soir, cela se passe au restaurant Easy By O, à Tours. Les tables sont drapées de smileys. Des prospectus, pin’s et autocollan­ts de la ligue côtoient des citations imprimées, du genre “Si tu essayes, tu as un risque de perdre, mais si tu n’essayes pas, tu as déjà perdu!” ou “La différence entre le possible et l’impossible se trouve dans la déterminat­ion (Gandhi)”. Une trentaine de personnes s’entassent dans la grande pièce, un verre de kir à la main. Louise en attendait plus. “Mais c’est mieux qu’à mes débuts”, positivet-elle. Quand elle a démarré, elle peinait à réunir au-delà du cercle de ses amis. “À l’époque, quand je parlais de ces dîners, j’étais confrontée à des réactions virulentes, se rappelle-t-elle. On me regardait comme une extraterre­stre, on me disait que j’étais bien gentille de vivre comme dans Bambi, mais que je niais la réalité.” Un badge gribouillé d’un sourire sur fond rose –le symbole de la ligue– sur le torse, Gentilhomm­e voit rouge. Elle qui a vécu “30 ans dans le monde de l’entreprise”, elle qui s’est fait écraser par “ce climat de plus en plus pesant”, par “cette course à l’argent permanente”, n’accepte pas qu’on lui rétorque ce genre de remarques. “Je connais ce sentiment où l’on ne voit plus d’échappatoi­re, je sais qu’il y a des soucis. Mais ce n’est pas en passant son temps à se dire qu’il y a des problèmes que vous allez changer notre société.” Alors, micro en main, l’organisatr­ice chauffe la salle. “Vous vous sentez optimistes ou pessimiste­s ce soir? Les optimistes, levez la main!” Une trentaine de mains se lèvent. L’atelier du bonheur peut commencer. Kathleen Auger se présente comme “happycultr­ice”, “parce [qu’elle] cultive [s]on bonheur pour le distribuer au plus grand nombre”. Généreuse. Elle se saisit d’une chaise. “Voici le trône de Sa Majesté”, dit-elle en la plaçant au centre de la pièce. Une jeune femme est choisie au hasard dans l’assistance. Elle va s’asseoir. Elle devient “Sa Majesté”. Un à un, les autres participan­ts viennent lui chuchoter un compliment. Le cobaye rouvre les yeux. Émue. Accoudée à une table, Marion, 40 ans, éducatrice pour jeunes enfants, observe la scène. Elle pense que tout cela est essentiel. “On est ensemble pour ça, confiet-elle, se donner du baume au coeur. Car tout seul, on tourne en rond et on s’essouffle.” Louise prêche de nouveau dans son micro. “On nous dit que le monde va mal, mais c’est faux. Le monde va beaucoup mieux qu’on ne le pense.” Yves de Montbron est bien d’accord avec cette dernière assertion. Il l’a lue dans un livre, Le Monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez, de Jacques Lecomte. “On y lit que la pauvreté n’a jamais cessé de reculer en France et dans le monde, expliquet-il. On n’a jamais eu non plus aussi peu de guerres, d’analphabét­isme, d’enfants au travail dans le monde, et on éradique une multitude de maladies, comme le virus Ebola.” Pour Philippe Gabilliet, il suffit de voir la natalité, l’activité associativ­e et culturelle et la création d’entreprise­s en France pour se rassurer. Selon l’insee, 554 000 entreprise­s y ont été créées en 2016, soit 6% de plus qu’en 2015. Le pays aurait plus d’un million d’associatio­ns actives, mais aussi le plus haut taux de natalité en Europe. “Alors quand j’entends qu’on est un pays pessimiste, c’est à mourir de rire, dit-il. Le pessimisme français est un mythe.” À Tours, sur la table d’entrée du restaurant Easy By O, est posée une dizaine de livres. Optimistes! 20 règles d’or pour voir la vie en rose, de Franck Martin. Du bonheur: un voyage philosophi­que, de Frédéric Lenoir. Ou encore La Force de l’optimisme, de Martin Seligman. Une goutte d’eau dans un océan d’ouvrages sur la pensée positive. Les librairies en sont gorgées. L’optimisme est devenu une économie lucrative. J’arrête de râler, de Christine Lewicki, sorti en 2014, s’est vendu à plus de 200 000 exemplaire­s. La même année, 3 kifs par jour, écrit par Florence Servan-schreiber, à la tête d’essentia Conseils, son propre institut de formation et qui se veut professeur­e de bonheur, figurait parmi les best-sellers. Éloge de l’optimisme: quand les optimistes font bouger le monde, lui, a dépassé la barre des 20 000 exemplaire­s vendus. “Je n’aime pas le mot lucratif, il y a une connotatio­n d’avidité financière, dit Montbron. Mais c’est vrai que ça marche, parce que ça répond à un certain besoin des gens.” Le succès de ces auteurs ne s’arrête pas aux portes des librairies. Ces porteurs d’optimisme font leurs prêches dans les entreprise­s et tiennent des conférence­s. Dix mille euros par conf’ pour les plus chanceux et connus, 5 500 euros pour les moins, laisse-t-on entendre. “On défend une cause, avance Saussez. Au Printemps de l’optimisme, ils ont bien compris que ce n’était pas une foire commercial­e. On y consacre beaucoup d’heures, et en même temps on a besoin de croûter, quoi. Le sous-produit est que l’on en tire une notoriété dans ce domaine, et ça nous fait faire, à moi comme aux autres, une quarantain­e de conférence­s par an.”

Tous en sont persuadés: ce n’est qu’un début. Car l’heure du revirement de bord de pensée a sonné. Plus de 11 000 personnes se sont abonnées à la newsletter de la Ligue de l’optimisme. Cinq cents en sont devenues membres et payent une cotisation annuelle de 30 euros. Philippe Gabilliet s’en réjouit. “Les temps évoluent vite, les choses bougent énormément, ditil. Dans l’histoire de l’humanité, ce ne sont que les optimistes qui ont fait avancer le monde. Ils se disaient qu’ils allaient s’en sortir, qu’ils gagneraien­t. Les pessimiste­s, à l’inverse, ne sont que des spectateur­s. Et je suis convaincu qu’aujourd’hui, l’heure des optimistes est venue.” Avec sa chemise bleue à rayures et son teint hâlé, Thierry Saussez rigole. Il parle de “lobby de l’optimisme”, et de son objectif de faire du Printemps de l’optimisme “la future fête de la Musique”. Une “force politique”, même, lâche-t-il à demi-mot. En attendant, Thierry Saussez tapote les poches de son veston bleu marine. Puis ouvre sa mallette et en sort un paquet de cigarillos Davidoff. “C’est 50% moins nocif que la cigarette, dit-il. Voyez le bon côté des choses.”•tous

L’organisatr­ice chauffe

la salle. “Vous vous sentez optimistes ou pessimiste­s ce soir? Les optimistes, levez la main!” Une trentaine de mains se lèvent. L’atelier du bonheur peut commencer

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