Society (France)

Allons à l’essentiel. Barbet Schroeder et la terreur, le retour.

Après le dictateur ougandais Idi Amin Dada et l’avocat Jacques Vergès, le réalisateu­r Barbet Schroeder s’intéresse une nouvelle fois au mal et à ses mystères. Dans Le Vénérable W., il tourne sa caméra vers le bonze birman Ashin Wirathu. Un moine bouddhist

- – ARTHUR CERF

Comment avez-vous découvert le moine Ashin Wirathu et ses attaques contre la minorité musulmane des Rohingyas? J’étais en train de relire un livre sur la vie de Bouddha quand je suis tombé sur des nouvelles qui parlaient du possible premier génocide du xxie siècle. Et je me suis rendu compte que le bouddhisme avait à voir là-dedans, que tout cela était absolument vrai, qu’il y avait des moines bouddhiste­s extrémiste­s et qu’il y en avait un en particulie­r qui avait une personnali­té sortant vraiment de l’ordinaire: Ashin Wirathu. Donc, il fallait y aller et essayer de le rencontrer.

Comment l’avez-vous approché? Il a des moines gardes du corps, il est très demandé, c’est une star. De plus, il a développé une haine particuliè­re envers tous les journalist­es, parce qu’il sent bien qu’ils ne l’aiment pas, notamment depuis la couverture que Time lui a consacrée (en 2013, Time avait mis Ashin Wirathu en une, en titrant: ‘Le visage de la terreur bouddhiste’, ndlr). Alors, je lui ai dit: ‘Je voudrais faire un film sur vous parce que je viens de France, et on va peut-être avoir une présidente qui a vos idées, donc ça intéresse le public français de voir comment ça marche et comment vous avez fait passer ces lois antimusulm­anes. Je suis curieux et je suis sûr que le public français et ceux qui soutiennen­t Marine Le Pen veulent savoir comment tout ça fonctionne.’

Qu’est-ce qui vous intéressai­t particuliè­rement chez ce moine? Wirathu incarne tous les fantasmes des nationalis­tes et des populistes. En fait, les axes du populisme peuvent se croiser avec ceux du mal. Ils n’ont pas de patrie. Le populisme a toujours existé, les Grecs disaient que c’est en flattant la populace que l’on arrive à la tyrannie. Comme Hitler avait exploité un antisémiti­sme qui existait depuis toujours, lui exploite une islamophob­ie déjà

latente. Wirathu pense que 4% des gens vont se multiplier tellement vite que le pays ne ressembler­a plus à ce qu’il est. C’est une vision apocalypti­que.

Comment s’est passé le tournage avec lui? On a fait six entretiens de trois heures chacun. Avec Amin Dada (le cinéaste a consacré en 1974 un documentai­re célèbre au dictateur ougandais, ndlr), je rigolais tout le temps, donc il rigolait aussi, c’était plus facile. Là, Wirathu calculait toujours ses réponses. Et il a une armée, des gardes du corps qui filment. Contre quelqu’un qui vient l’attaquer avec une caméra, il se protège par la caméra. Il est dans le contrôle absolu. Puis notre visa de touriste a expiré, et on a découvert que l’on était surveillés par la police militaire. Quelqu’un nous a dit qu’il avait vu des dossiers avec nos photos à la police militaire, donc c’était quand même dangereux.

Pourquoi le pouvoir birman aurait-il voulu vous empêcher de faire ce film? En fait, il a intérêt à ce que ce personnage disparaiss­e. Le pouvoir préfèrerai­t qu’il ne soit pas là et qu’il n’existe pas. Sous aucune forme, que ce soit en documentai­re ou dans la vie. Les militaires, eux, on se demande s’ils aident Wirathu. Ça reste un mystère. J’avais l’impression d’être un lièvre pris entre deux parties de chasse.

La situation a beaucoup évolué depuis la fin de votre tournage? Oui, il y a notamment eu cet événement, le 29 janvier dernier (U Ko Ni, l’avocat musulman d’aung San Suu Kyi, a été tué d’une balle dans la tête alors qu’il tenait son petit-fils dans les bras, ndlr). Il existe une photo d’un type qui vise la tête de l’avocat. Elle est terrifiant­e parce qu’elle prouve qu’il y avait un plan. Elle a été postée sur Facebook dans l’heure qui a suivi et tout de suite après, Wirathu a chanté les louanges des gens qui avaient commis ce meurtre. Puis, on a découvert que dans la mouvance de ces assassins, il y avait beaucoup de gens qui étaient dans celle de Wirathu. Un journalist­e a dit que c’était absolument scandaleux et a écrit un article contre Wirathu, dans lequel il disait qu’il ne devrait pas être moine. Wirathu s’est fâché et a intenté un procès contre lui. Les militaires avaient accepté qu’il ait lieu, le journalist­e risquait plusieurs années de prison. Finalement, il a été innocenté. Et la Sangha (l’associatio­n du pouvoir bouddhiste, contrôlée par l’état, ndlr) a interdit à Wirathu de faire des sermons. Ce dernier a répondu par la provocatio­n en se scotchant la bouche et en plaçant à côté de lui un haut-parleur diffusant ses vieux discours. Pour l’instant, personne n’est venu l’empêcher de faire ça.

C’est le troisième volet de votre trilogie du mal, qui comporte déjà un documentai­re sur Idi Amin Dada, donc, et un autre sur l’avocat Jacques Vergès. Quelle est votre approche pour filmer le mal? J’essaye tout simplement de voir comment il peut se présenter. Pour Vergès, par exemple, il fallait essayer de comprendre comment est né le terrorisme aveugle et comment il s’est développé. Sans juger, pour que les conclusion­s naissent d’elles-mêmes. C’est pareil avec Wirathu. Le résultat est un film qui vous fait réfléchir avant de voter des lois antimusulm­anes. Pour autant, je ne voulais pas prouver quelque chose. J’ai toujours voulu le laisser dire ce qu’il avait à dire. Quand il me montrait un film, c’est qu’il voulait absolument le faire. La dernière fois que je l’ai vu, il est venu avec toutes les caricature­s de lui que l’on trouve sur Facebook, des montages Photoshop de lui en femme, etc. Il était très content de me montrer ça et de regarder ma réaction. Ça l’amuse de savoir qu’il est détesté. Il joue avec ça. Sur la façade de sa maison, il y a beaucoup de portraits de lui avec une croix rouge et, en dessous, la mention ‘WANTED’. Il éprouve du plaisir à penser qu’il est le seul à avoir raison contre tous.

“Wirathu incarne tous les fantasmes des nationalis­tes et des populistes. En fait, les axes du populisme peuvent se croiser avec ceux du mal”

D’où vous vient cet intérêt pour le mal? J’essaye de comprendre l’humanité. Il y a toujours quelque chose d’ambigu dans le mal. Aujourd’hui, le mal absolu, c’est Assad. C’est le Hitler du xxie siècle, quelqu’un de profondéme­nt monstrueux. Les séquelles de ce qu’il a infligé à son pays se font sentir partout. Le fait d’avoir vécu à l’époque d’assad, c’est quelque chose de terrible. Depuis Hitler, on n’était pas monté à ce niveau de graduation dans le mal, à ce niveau de cynisme. Franchemen­t, je ne m’approchera­is pas de cet homme. Lui-même s’est occupé de faire son film, d’ailleurs. En revanche, ce qui aurait été formidable, ça aurait été de rencontrer Assad quand il était opticien. Le docteur des yeux.

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