Society (France)

Mythe et légende du Captagon

On l’a présenté comme “la drogue des djihadiste­s” ou “la came de Daech”. Mais le Captagon n’était qu’un mythe. Chercheur à l’observatoi­re français des drogues et des toxicomani­es (OFDT), Laurent Laniel vient de publier un rapport intitulé “Captagon: décon

- – MAXIME JACOB

Commençons par le commenceme­nt: qu’est-ce que le Captagon? L’appellatio­n Captagon recouvre en réalité plusieurs substances. À l’origine, le Captagon est une marque déposée par une firme allemande à la fin des années 60. C’était un médicament prescrit dans le traitement de maladies comme la narcolepsi­e ou les troubles de l’attention. Il se présente sous la forme de petites pilules avec un logo reconnaiss­able: deux demi-cercles décalés. Ce médicament était composé de fénétyllin­e, une drogue de synthèse de la famille des amphétamin­es. Cette substance a été placée sur la liste des produits psychotrop­es de la convention des Nations unies à partir de 1986. Ce qui fait qu’à partir de cette date, le Captagon a été considéré comme une drogue, et très rapidement, la production a décru jusqu’à disparaîtr­e complèteme­nt. En France, on en a prescrit jusqu’en 2009, mais seulement à des patients spécifique­s pour lesquels les médecins devaient obtenir une autorisati­on. C’était très encadré. Au milieu des années 90, le marché du Captagon est donc devenu occulte. Les trafiquant­s ont fait face à l’arrêt de production de fénétyllin­e et ont cherché à remplacer le principe actif des pilules par d’autres produits. Peu à peu, ce qui va se vendre sous la forme de Captagon est en fait de la ‘D-amphétamin­e’, que l’on appelle plus communémen­t du speed. C’est plus fort et surtout plus facile à faire. La réaction chimique pour produire du speed est bien plus simple à réaliser et coûte donc moins cher. En fait, ce que l’on nomme Captagon aujourd’hui, la drogue supposée des djihadiste­s, ce n’est rien d’autre que du speed sous forme de cachet. Où cette drogue est-elle produite? Une fois que les stocks de fénétyllin­e ont été épuisés, à partir du milieu des années 90, les laboratoir­es clandestin­s qui produisaie­nt le faux Captagon se sont déplacés en Serbie et surtout en Bulgarie. Leur business leur rapportait beaucoup d’argent. Ces laboratoir­es exportaien­t essentiell­ement le Captagon vers la péninsule arabique en passant par la Turquie, car le principal pays consommate­ur de cette drogue est l’arabie saoudite. D’après ce que l’on sait, le business saoudien du Captagon, c’est 1,39 milliard de dollars par an. En 2003, la Bulgarie, qui se préparait à entrer dans l’union européenne, a entamé une lutte sérieuse contre le trafic de drogue. Les laboratoir­es clandestin­s ont alors dû se déplacer et on les a retrouvés quelques années plus tard au Liban. Finalement, les trafiquant­s se sont juste rapprochés géographiq­uement de leurs consommate­urs. On pense qu’il existe des liens entre les laboratoir­es libanais et belges ou néerlandai­s, qui sont les plus développés au monde. Par exemple, un trafiquant belge qui tenait le plus grand laboratoir­e de production de MDMA à Chimay, a été arrêté au Liban il y a un an. On a aussi retrouvé des cuves de réaction d’amphétamin­es qui sont comparable­s à celles utilisées aux Pays-bas. Elles sont faites sur mesure et ne se trouvent pas dans le commerce. Des laboratoir­es comparable­s existent sûrement dans d’autres pays du Golfe ou au Pakistan, on ne les a simplement pas encore découverts. Pourquoi le Captagon est-il particuliè­rement consommé au Moyen-orient? Aucune étude n’a été menée sur ce sujet mais il existe tout de même des facteurs à considérer. Le Captagon a l’avantage de se présenter sous la forme de petites pilules blanches que l’on confond facilement avec un médicament. Dans des pays comme l’arabie saoudite, où la consommati­on de drogue est très mal vue et où l’on peut être condamné à mort pour possession de stupéfiant­s, l’aspect discret du Captagon est très apprécié, plus qu’une poudre à sniffer ou qu’un produit à s’injecter. Sa consommati­on est très présente chez les femmes saoudienne­s. Il y a peut-être une explicatio­n culturelle à cela: après la Seconde Guerre mondiale, des stocks d’amphétamin­es produits par le Japon y ont été écoulés de façon tout à fait légale et ont reçu une véritable publicité. On expliquait que prendre des amphétamin­es aidait à avoir plus d’énergie et à faire le ménage plus rapidement! En tout cas, si les trafiquant­s continuent à dealer et produire du Captagon en Arabie saoudite malgré la

“La vérité est cruelle: les autopsies des terroriste­s ont toutes révélé que ces personnes agissaient de sangfroid, sans avoir consommé de drogue ou d’alcool”

répression extrême en vigueur, c’est qu’il doit y avoir énormément d’argent à se faire.

Comment le Captagon est-il devenu ‘la drogue des djihadiste­s’ dans les médias? Tout est parti d’un témoignage relayé par Le Figaro. Une personne qui a assisté à une des tueries du 13-Novembre a déclaré à propos des terroriste­s: ‘On aurait dit des morts-vivants, comme s’ils étaient drogués.’ À la suite de ce témoignage, il y a eu un emballemen­t médiatique. Des journaux très réputés ont interrogé des pseudo-experts qui disaient que le visage des terroriste­s était sûrement déformé par la consommati­on de Captagon, puisque cette drogue était populaire au Moyen-orient. Les journalist­es –même si tous les journaux ne sont pas tombés dans ce panneau– trouvaient des experts qui leur disaient ce qu’ils voulaient entendre. Le plus grave, c’est qu’ils ont expliqué que le Captagon était une drogue à base de fénétyllin­e, alors qu’elle n’est plus présente dans le Captagon depuis plus de 20 ans. Philippe Sollers a dit du Captagon que c’était ‘un nom incroyable’. En un sens il n’a pas tort, cette image de la ‘drogue du djihadiste’ est très vendeuse. Mais moi, j’ai été choqué par toutes ces déclaratio­ns. J’étais spécialist­e des réseaux internatio­naux de trafic de stupéfiant­s auprès de l’observatoi­re européen des drogues et des toxicomani­es (OEDT), et je ne supportais pas de voir toutes ces personnes affirmer sans preuve que les terroriste­s prenaient du Captagon. C’était un manque de respect pour les victimes parce qu’elles méritent la vérité. Et la vérité est cruelle: les autopsies des terroriste­s ont toutes révélé que ces personnes agissaient de sang-froid, sans avoir consommé de drogue ou d’alcool. Il ne faut plus dire que cette drogue est celle des djihadiste­s. J’ai commencé mon rapport en mai 2016 pour rétablir la vérité: montrer ce que l’on sait sans cacher ce que l’on ignore.

Vous expliquez que ce mythe de la ‘drogue du djihadiste’ est en partie dû à de la ‘propagande de guerre’. Que voulez-vous dire? Dans le cadre des relations internatio­nales et des conflits, la drogue est souvent instrument­alisée pour discrédite­r l’adversaire. Le fait d’associer l’ennemi à la drogue permet de le diaboliser, de le déshumanis­er. À partir de 2013, le gouverneme­nt syrien a accusé les rebelles de se shooter au haschich et au Captagon. Les rebelles accusaient également le pouvoir syrien d’être sous l’emprise de drogue. Israël et les USA expliquent que le Hezbollah se finance grâce au trafic de stupéfiant­s. Je me souviens d’une séquence diffusée sur CNN, où un jeune militant était présenté par des officiers kurdes comme un combattant de l’organisati­on État islamique et où il déclarait qu’on l’avait obligé à se shooter. On voyait réellement la terreur sur son visage. Mais quel crédit accordez-vous au témoignage d’un adolescent entouré par des gardes armés qui sont ses ennemis?

Des mythes comparable­s existent-t-ils concernant d’autres drogues? Dans mon rapport, j’évoque le mythe des ‘assassins’, une petite secte dérivée des chiites ismaéliens qui a existé aux XIE et XIIE siècles. Très vite, on a appelé ces tueurs ‘les Hashâchine­s’. Bernard Lewis, un historien britanniqu­e, leur a consacré un ouvrage dans lequel il explique que le mot ‘Hashâchine’ dérive peut-être de haschich. Mais également qu’il n’y a aucune preuve que ces tueurs agissaient sous l’effet du cannabis. Ce mythe, très répandu pourtant, aurait été développé au xixe siècle par un érudit français qui accompagna­it Bonaparte en Égypte. Le mythe de la drogue du tueur daterait donc de cette époque. Mais bien sûr, dans les contextes de guerre, la prise de stupéfiant­s par les combattant­s était une réalité: on distribuai­t des amphétamin­es aux combattant­s de la Seconde Guerre mondiale. Les Espagnols expliquent aussi qu’au Mexique, au xvie siècle, certains planteurs cueilleurs qui leur résistaien­t se shootaient au peyotl, un cactus qui contient de la mescaline.

Est-ce que les terroriste­s de Daech consomment de la drogue, hors Captagon? Selon les combattant­s que l’on a pu interroger, l’organisati­on État islamique autorise la prise de tramadol, un opiacé antidouleu­r. Il est peu cher et fait l’objet d’un trafic au Moyen-orient. Daech accepterai­t l’utilisatio­n de cette drogue car elle est avant tout un médicament, mais il semble qu’elle fasse aussi l’objet d’un usage récréatif. Néanmoins, les Français passés par la Syrie que l’on interroge en ce moment même dans nos prisons rapportent à l’unisson que Daech est opposé à la consommati­on de drogue.

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À Reyhanli, petite ville située à la frontière turco-syrienne, en 2015.

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