Society (France)

Mayweather/mcgregor, freak show à Las Vegas

C’est le nouveau “combat du siècle”. À moins qu’il ne s’agisse d’un show destiné à faire de l’argent, toujours plus d’argent. Le 26 août à Las Vegas, le boxeur Floyd Mayweather Jr, 49 combats pour 49 victoires, affrontera Conor Mcgregor, le plus grand cha

- PAR RAPHAËL MALKIN, À LAS VEGAS / PHOTOS: ROGER KISBY POUR SOCIETY

Pendant que le “combat du siècle” se prépare, un homme savoure plus que les autres: Floyd Mayweather Senior, père, prédécesse­ur et entraîneur de, qui reçoit à Las Vegas et raconte sa vie chaotique auprès de son fils. De l’autre côté de l’atlantique, les potes irlandais de Conor Mcgregor, eux, se souviennen­t.

Quel genre d’inconscien­t faut-il être pour couper la parole à un free fighter, le pointer du doigt et le menacer devant témoins? Sacrée scène, quand même: au début du mois de juillet, tandis que Conor Mcgregor affrontait une nuée de journalist­es le temps d’une conférence de presse comme d’habitude “testostéro­née” à l’extrême, une voix s’élevait du public. “Tu as le derrière trop fragile et tu vas t’en rendre compte très vite, fais-moi confiance. Tu vas te faire rétamer, mon vieux!” Son propriétai­re: un vieil homme au souffle sec et aux sourcils froncés. Qui, un mois plus tard, ne regrette rien. “Il fallait bien dire quelque chose. On ne s’attaque pas comme ça à un Mayweather. Point barre.” Floyd Mayweather Senior est le père, et aussi l’entraîneur, de Floyd Mayweather Junior, l’homme que Mcgregor combattra le 26 août à Las Vegas dans un combat surmédiati­sé que le monde du sport attend comme l’on attend la sortie du blockbuste­r de la décennie. Un fiston boxeur dont la légende se raconte dans les salles d’entraîneme­nt de toute la planète, comme ce fut le cas avant lui pour Mohamed Ali ou Mike Tyson. Vingt ans de carrière profession­nelle, 49 combats pour 49 victoires, 19 ceintures de champion du monde dans cinq catégories différente­s. Floyd Mayweather Junior, ou le barracuda du ring. Un monstre vorace puisque après avoir annoncé sa retraite il y a deux ans, le voilà qui a donc décidé de renfiler ses gants rouge sang afin de combattre le roi irlandais du MMA le temps d’un match censé consacrer le meilleur lutteur de l’époque. “Et Floyd Junior ne va en faire qu’une bouchée”, assène une nouvelle fois Senior.

De sa voix marmonnant­e qui donne l’impression qu’il est toujours en train de mâchonner quelques miettes, Floyd Mayweather Senior semble prendre plaisir à asséner des vérités. Celle-là, par exemple: “Lorsqu’on observe Junior, c’est moi que l’on voit.” Il n’a pas tout à fait tort. Il y a bien du père dans le fils. Les mêmes yeux perçants noirs comme le charbon, le même visage aplati par le rouleau de l’effort et fermé par un menton carré posé sur le même corps uniquement fait de muscles rêches. Et, donc, la même assurance. De la même manière que Mayweather Junior boxe jusqu’aux micros qui se tendent à lui, Mayweather Senior ne nourrit aucun doute quant à l’issue du 26 août. “Little Floyd est le meilleur boxeur de tous les temps, entraîné par le meilleur coach de tous les temps.” Ou encore: “Si Little Floyd est un fantôme que personne ne peut toucher sur le ring, c’est grâce à moi. Je lui ai tout appris.” Dans le salon où il reçoit, le sexagénair­e se donne en spectacle. Après s’être soudaineme­nt levé de son siège, le voici qui se met en garde de profil, pare une offensive imaginaire en bombant l’épaule tout en se protégeant le torse à l’aide d’un de ses poings, puis riposte illico en déchirant l’air du bout de sa droite dans un cri sourd. Un menuet de nerfs qui ressemble peu ou prou à la technique dite, en version originale, du shoulder roll, ce “roulement d’épaule” dont Little Floyd a fait sa signature depuis des années. “C’est Floyd Senior qui a popularisé cette technique, assure Lamar Austin, compagnon de ring du père. C’est un vrai scientifiq­ue de la boxe et ce n’est pas un hasard si le QI de son fils est supérieur sur le ring. Il sait quoi dire au boxeur, il sait ce qu’il faut faire et comment le faire.” Il y a deux ans, lorsque Mayweather Junior faisait face à la mouche philippine Manny Pacquiao, pour ce que tous les chroniqueu­rs du genre qualifiaie­nt déjà à l’époque de “combat du siècle”, “daddy” était là, comme toujours, aux aguets dans le coin du ring, distillant ses conseils. “Little Floyd m’a écouté: il a lancé la droite quand il fallait avant de faire suivre deux gauches, il glissait parfaiteme­nt. Il a gagné et c’était normal.” Un moment passe. “C’était un sacré moment, ouais”, murmure Senior en baissant les yeux.

“Floyd Senior crée des monstres destructeu­rs”

Même s’il avait, à la suite de ce combat contre Pacquiao, annoncé sa retraite, Floyd Mayweather Junior n’a en vérité jamais cessé de s’entraîner. Comme s’il avait prévu son retour depuis le début, le boxeur est resté, ces deux dernières années, le premier visiteur du Mayweather Boxing Club, la salle d’entraîneme­nt qui lui sert de quartier général. Cachée dans le dos des casinos du Strip de Las Vegas, où Little Floyd s’est établi il y a presque 20 ans, la salle ne désemplit jamais. Partout, l’odeur du cuir qui chauffe et la vision de ces hommes et de ces femmes à la nuque perlante de sueur. Un cirque intense couvé par le regard droit de Little Floyd, qui s’affiche sur ces posters placardés en rang d’oignons sur le pourtour de la salle, aux côtés de ses victimes: Cotto, Carrero, Canelo, Maidana et les autres. En général, le champ’ débarque en fin de journée. Une arrivée d’ordinaire annoncée par celle, en amont, d’une garde prétorienn­e qui ne s’embarrasse jamais d’un sourire et débarrasse les rings d’une traite. Mais la vraie star du Mayweather Boxing Club, c’est Senior. En plus de Lamar Austin, cet ancien ouvrier des usines électrique­s de Chicago qui lui fait aujourd’hui office d’entraîneur adjoint, on trouve toujours à ses côtés quelques jeunes pousses qu’il a prises sous son aile. “Senior, c’est le père de son fils, et la plupart des boxeurs qu’il a entraînés sont devenus champions. Avec lui, j’ai amélioré ma vitesse d’exécution et rendu mes crochets plus efficaces. J’ai l’impression que ma boxe est plus intelligen­te”, explique par exemple Andrew Tabiti, un jeune boxeur à plein temps du gym, que l’on surnomme ici “The Beast”, et que Senior entraîne ces temps-ci en vue de son premier championna­t du monde. “Floyd Senior crée des monstres destructeu­rs. Si on veut y arriver dans cette industrie, c’est ici qu’il faut venir”, s’enthousias­me de son côté Shannon Robinson, au bouc taillé comme celui d’un shérif. Robinson est manager. Il a traversé tout le pays depuis le Mississipp­i pour présenter à Mayweather Senior son dernier protégé, Julius Diles, qui s’apprête à disputer son premier combat officiel à Las Vegas. “Les Mayweather, je les admire depuis que je fais de la boxe. Je veux vraiment boxer et vivre ici”, susurret-il, visiblemen­t impression­né. Pour le moment, Julius

“Mon père est jaloux de moi. Il a toujours essayé de vivre sa carrière à travers la mienne. Je n’ai pas besoin de lui!” Floyd Mayweather Junior, en 1998

Diles habite une chambre de motel. Moyennant quelques centaines de dollars, il aura bientôt le droit de s’entraîner au Mayweather Boxing Club, aux côtés de ce Chinois à l’anglais trébuchant qui, sitôt descendu de son avion, s’est précipité à la salle, ou encore de ce New-yorkais que Senior chambre sans discontinu­er, mais qui ne laissera tomber pour rien au monde. “Si je voulais être rappeur, je serais avec Jay Z. Là, je veux être boxeur et je suis chez les Mayweather.”

Il y a des années, Floyd Mayweather Senior fréquentai­t une autre salle de boxe. C’était le temps du Pride Gym, un clapier mal éclairé et décoré de vieux fanions effilés, installé en face d’un magasin pour adultes, quelque part sur une rue de Grand Rapids, Michigan. Loin du soleil de l’ouest, c’est là-bas que Floyd Mayweather Senior a passé la première partie de sa vie. 1970, puis 1980. À l’époque, Floyd Mayweather, premier du nom, y traîne la réputation d’un boxeur doué d’une certaine flamboyanc­e. Une dégaine faite de frisettes mouillées qui le font ressembler à l’idole soul Al Green, un autre gamin de Grand Rapids. Mais aussi et surtout un palmarès qui, s’il ne compte pas de titres notables, présente tout de même une longue série de victoires et une défaite parfaiteme­nt honorable contre la légende Sugar Ray Robinson. “Et encore, si je ne m’étais pas fracturé la main au début du combat, j’aurais gagné. J’étais un putain de boxeur, avec des combinaiso­ns que vous ne verrez jamais ailleurs”, cligne aujourd’hui des yeux Floyd Mayweather Senior. Ritournell­e indémodabl­e du sport: parce qu’il ne pouvait pas être le champion qu’il rêvait d’être, Floyd Mayweather Senior consacrera sa vie à faire de son fils le numéro un mondial. La mythologie de la famille raconte ainsi que le père aurait fait enfiler des gants à Little Floyd alors que celui-ci n’avait même pas 5 ans, tout en lui apprenant à fermer les poings. “Il était encore bébé qu’il lançait déjà des crochets à tout va, se vante aujourd’hui Senior. Il cognait les poignées de porte.” Très vite, le gamin devient lui aussi un habitué du Pride Gym. Sous la coupe de son père, il lui faut taper dans des sacs, essuyer les coups des plus grands et en rendre, puis disséquer la fameuse science du shoulder roll, que Mayweather Senior a appris auprès des anciens d’ici. “Little Floyd n’avait pas de vie à cause de son père, confesse Loïs, la compagne de toujours de Floyd Senior. Senior l’embarquait après l’école, il lui arrivait même de le sortir du lit pour aller boxer. Il voulait qu’il soit toujours en mouvement.” Et lorsqu’il arrive que Junior fasse dériver d’un iota la routine qu’a imaginée pour lui son père, c’est une tempête, violente comme peuvent l’être celles du Midwest, qui explose. Senior ne se prive jamais de flanquer une bonne correction à son fils, aux pieds comme aux poings. “J’ai élevé mon fils pour qu’il soit un champion, résume Floyd Mayweather. Je croyais terribleme­nt en lui et c’est pour ça que j’ai été dur. Je savais qu’il pouvait devenir le plus grand, il y avait quelque chose en lui de puissant. Il ne fallait pas rater ça, je ne pouvais pas prendre de pincettes.” En 1993, Little Floyd vient à peine de fêter ses 16 ans lorsqu’il remporte le tout premier prix de sa carrière. Il est sacré champion poids mi-mouches des Golden Gloves, le premier prix amateur du pays. Un trophée qu’il soulèvera une nouvelle fois l’année suivante.

“Money Man”, roi de Las Vegas

Ici, les jours sont ceux d’une seule saison, invariable­ment sèche et brûlante. Las Vegas, folie au milieu du désert. C’est dans cet univers replié sur lui-même, où le monde entier vient s’abandonner, que Floyd Mayweather a finalement été sacré roi. Son premier combat profession­nel, en 1996, contre le Mexicain Roberto Apodaca, s’était tenu au Texas Station, un hôtel à lampions de Rancho Drive. Le dernier, qui l’opposa à l’automne 2015 à l’américain Andre Berto pour sa première sortie de retraite, fut organisé dans l’arène du MGM Grand Garden Arena, ce paquebot à la coque sombre posé sur le Strip, l’avenue des plus grandes débauches. Et en plus de sa légende, c’est aussi à Las Vegas, là où il existe au moins une machine à sous pour chaque touriste, que Floyd Mayweather Junior a fait fortune. Grâce au très fructueux système de pay per view, qui consiste à acheter le programme que l’on souhaite visionner à la télévision, Mayweather a fait de chacun de ses combats dans le Nevada ses propres machines à sous. En 2015, l’autoprocla­mé “combat du siècle“contre le philippin Pacquiao rassemblai­t ainsi cinq millions de téléspecta­teurs, ayant tous pris la peine de dépenser 99,95 dollars pour voir en mondovisio­n Mayweather l’emporter et empocher, par la même occasion, pas loin de 180 millions de dollars. Quant au show contre Conor Mcgregor, il devrait rapporter à l’américain quelque 100 millions de dollars. “Croyez-moi, mon fils dispose de bien plus que ce dont il a besoin”, sourit, coquin, Mayweather Senior. Meilleur boxeur de son époque, Floyd Mayweather Junior en est aussi le sportif le plus riche. Little Floyd est “Money Man”, comme il aime à se faire appeler, cet “homme accompli parmi les hommes”, qui ne s’affiche jamais publiqueme­nt sans quelques liasses de billets épaisses comme des sandwichs à étages. À Las Vegas, le multimilli­onnaire habite un flamboyant palais de 2 000 mètres carrés comprenant sept chambres et neuf salles de bains, ainsi qu’un garage dans lequel dorment des dizaines de voitures de sport italiennes. Parmi lesquelles cette fameuse Bugatti que le boxeur a un jour exigé qu’on lui livre en pleine nuit depuis Los Angeles parce qu’il venait d’être pris de l’envie de conduire sur le champ ce modèle précis. “Mais il n’est pas le seul à pouvoir flamber! Moi aussi, j’ai de quoi rouler des mécaniques. Je peux être flashy”, s’esclaffe aussitôt Floyd Mayweather Senior. De fait, à mesure que “le meilleur boxeur de tous les temps” se constituai­t un patrimoine, le “meilleur entraîneur du monde” faisait de même. Aux confins de la ville, là où l’homme vient d’un coup buter contre la roche du désert, de hautes grilles gardent une oasis piquée de maisons de maharajas. Celle de Floyd Senior est encerclée de statues en granit évoquant quelques souvenirs de l’antiquité et se visite en tournant la poignée dorée d’une grande porte en chêne. Bienvenue dans un cosmos teinté de rococo, où coexistent une moquette crème, un tableau représenta­nt l’icône égyptienne Néfertiti, et une véritable faune de petits éléphants sertis de diamants, de panthères en quartz, de lions, de girafes et de paons en bronze. Sur la terrasse, près de la piscine où Senior ne se baigne jamais, trône un imposant barbecue doté d’un mode “rôtisserie”. “Je ne

“Little Floyd n’avait pas de vie à cause de son père. Senior l’embarquait après l’école, il lui arrivait même de le sortir du lit pour aller boxer. Il voulait qu’il soit toujours en mouvement” Loïs, la compagne de Senior

sais même pas combien il y a de pièces dans cette maison. Je n’ai jamais pris le temps de compter. Il y a beaucoup de salles de bains, en tous cas”, rigole le propriétai­re des lieux, qui veille à ne se déplacer qu’en chaussette­s, afin de ne pas souiller son sol en marbre. Senior avoue passer le plus clair de son temps dans le petit bureau qu’il s’est aménagé au rez-de-chaussée de la villa. Un cocon rempli de photos de son fils et de tous ces trophées amassés au cours des années. Floyd montre un carré de verre translucid­e remis par Joe Jackson, le père de Michael. “J’ai des tonnes de prix, mon pote. Mais celui-là, j’en suis vraiment fier. Le roi de la pop: on est loin de Grand Rapids, là.” Alors qu’il gare sa voiture –une vieille Nissan immatricul­ée dans l’utah qu’on lui a prêtée le temps que sa Mercedes soit réparée– sur le parking de l’orleans, un casino sans fard éloigné du Strip, le coach s’offre un bain de foule improvisé. On le félicite, on lui demande un pronostic pour le prochain combat de son fils, on lui réclame une photo. Ne refusant jamais rien, le vieil homme s’exécute, en présentant à chaque fois la même pose: un sourire qui lui plisse le visage et ce poing fermé tendu vers le haut, comme pour mieux rappeler ses faits d’armes. Floyd Mayweather dit qu’il n’a jamais vraiment aimé Las Vegas et que Grand Rapids lui manque, “mais ma vie est ici, désormais. Je suis une célébrité du coin, comme mon fils”. “Avec Little Floyd, reprend-il, j’ai l’impression que nous avons monté les marches du succès ensemble. Nous avons eu la même trajectoir­e l’un à côté de l’autre.” Une jolie histoire, mais pas tout à fait non plus. Car entre Junior et Senior, il y a longtemps eu tout ce qui peut éloigner un fils de son père: des reproches, des insultes, de la rancoeur, une envie de faire sans. Jusqu’à la rupture.

“Ne porte pas la main sur moi, ou je vais te botter le cul”

En 1996, alors qu’il a rejoint les rangs l’équipe de boxe américaine aux Jeux olympiques d’atlanta, Little Floyd rédige une lettre qu’il adresse à la Maison-blanche. L’objet du petit bleu: une demande de grâce concernant un détenu du pénitencie­r fédéral de Milan, dans le Michigan. Floyd Mayweather Senior, son père. “J’étais boxeur profession­nel, mais il me manquait de l’argent et à Grand Rapids, il n’y avait pas de boulot. Il fallait que je trouve quelque chose pour aider ma famille. Je vendais de la drogue”, confie aujourd’hui Daddy. Balancé à la police par son grossiste, Senior est condamné à trois ans de prison en 1995. Le courrier officiel du fiston restant sans réponse, le père purge sa peine en entier. Il n’est donc pas là pour voir

Little Floyd échouer en demi-finale des JO –sa seule défaite à ce jour. “C’était terribleme­nt frustrant, il y avait tant de choses à faire avec Little Floyd et j’étais coincé”, raconte Senior à propos de ses années passées derrière les barreaux. Lorsqu’il est libéré fin 1998, ce qui l’attend dehors n’est pas ce qu’il imaginait. Alors qu’il court s’installer à Las Vegas afin de retrouver sa place dans l’ombre de Little Floyd, tout semble devoir recommence­r comme avant. Fils aimant, Junior le loge dans un appartemen­t et lui offre une voiture. Mais rapidement, les relations entre les deux Mayweather se dégradent. Champion émancipé, Junior supporte de moins en moins les façons envahissan­tes de son père, qui semble encore se croire au Pride Gym de Grand Rapids. Et bientôt, le pire arrive. “Un soir que nous rentrions chez nous, nous sommes tombés sur un ordre d’éviction: nous avions 24 heures pour quitter les lieux, sinon un shérif viendrait nous arrêter”, se souvient Loïs, la vieille fiancée de Senior. Le jeune boxeur réclame aussi de son père qu’il lui rende les clés de sa voiture et sur sa lancée, lui annonce qu’il n’est plus son entraîneur. Dans la foulée, le champion du monde convoque la presse: “Mon père est jaloux de moi. Il a toujours essayé de vivre sa carrière à travers la mienne. Je n’ai pas besoin de lui!” Une banderille suivie de plusieurs autres, qui frappent toujours un peu plus près du coeur. Par exemple, celle-ci: Junior raconte aux journalist­es que lorsqu’il n’était qu’un nourrisson, son père se serait servi de lui comme bouclier afin de se protéger d’un pistolet brandi contre lui dans une sombre histoire de trafic. “Faux, réagit Floyd Senior. Il se trouve simplement que j’avais mon fils dans les bras. Et ça n’a pas empêché le type de tirer. Il m’a détruit le mollet!” Pire encore: un matin, Little Floyd annonce que son entraîneur sera désormais son oncle, Roger Mayweather, un ancien champion du monde qui s’était installé dans le coin du ring du temps où son frère pourrissai­t à Milan. Aujourd’hui encore, Senior considère que le fossé qui s’est un temps creusé entre son fils et lui n’est rien d’autre que le fruit des manigances de Roger. “Ce n’est pas pour rien si, sur le ring, on appelait Roger ‘Black Mamba’. Il a fait son coup en douce, comme un serpent, pour pouvoir avoir le premier rôle. Mais il n’avait qu’à faire de son fils un champion, au lieu de s’occuper de Floyd.” Considéran­t son sort scellé, Floyd Senior prend ses distances et part entraîner sous d’autres horizons. Aux côtés du Britanniqu­e Ricky Hatton ou bien auprès d’oscar de la Hoya, avec qui il remporte plusieurs titres. Il en faut alors peu pour titiller l’imaginatio­n des amateurs de boxe, qui demandent à ce que l’on organise un combat entre De la Hoya et Mayweather Junior. Un match entre les deux meilleurs boxeurs du monde, mais surtout un face-à-face entre un fils et son père: quoi de plus brûlant? Il se dit que Senior serait prêt à tout pour punir Little Floyd. Mais le combat n’a pas lieu. “J’ai fait exprès de demander trop d’argent à De la Hoya, éclaire Floyd Mayweather Senior. Je voulais qu’il m’envoie paître. Il était hors de question que je sois opposé à mon fils.” Ce n’est qu’en 2007, une fois Senior disparu du paysage, qu’oscar de la Hoya et Floyd Mayweather s’affrontero­nt finalement pour le titre de champion du monde des super-welters WBC (victoire du second). Cela dit, la brouille des Mayweather, elle, se poursuit. En 2011, tandis que des caméras tournent partout dans le Mayweather Boxing Club pour les besoins d’une télé-réalité, Senior débarque sans crier gare dans le champ. “Laisse-nous tranquille. C’est notre salle, ici. Pourquoi estu là? Tu n’es rien, tu ne vaux pas plus qu’un chauffeur de taxi, motherfuck­er!” s’énerve Little Floyd. “Ne porte pas la main sur moi, ou je vais te botter le cul”, répond le père. Une violence crue et sans effet de montage dont tout le monde pense alors qu’elle scelle définitive­ment la rupture entre les deux Floyd. Finalement, c’est Junior qui va tendre la main à son père. 2013: le jeune Mayweather se sent faiblir sur le ring, Roger est tombé malade, et il est empêtré dans une affaire de violence conjugale pour laquelle on l’a condamné à deux mois de prison en 2012. Il lui faut son entraîneur et son père à ses côtés. Floyd Mayweather Senior sourit une nouvelle fois. Sa morale de l’histoire est limpide: “Little Floyd a voulu prendre sa liberté et je le comprends. Mais à la fin, il est mon sang, et je suis son daddy.”

“C’est la fin”

Ainsi, voilà Floyd Mayweather Senior revenu, dans le sillage de son fils, à toutes ces choses qu’il aime tant. L’air chaud de la salle de gym, le frisson du ring et ces rodomontad­es d’avant-match. Teintant sa voix pâteuse des accents incantatoi­res si chers aux stars du gospel qu’il vénère, le vieil homme récite, par exemple, cette compositio­n qu’il a imaginée à l’attention de Conor Mcgregor: “Toi, l’homme triste et fou qui dit tant d’âneries / Tu te retrouvera­s bientôt à terre les fesses frites / Lorsque Floyd te décrochera le plus beau de ses crochets / Il te faudra trouver le temps de te mettre au frais / Lorsque le tueur en aura terminé / Il ne te restera plus que de la soupe à sucer.” Le coach semble plus que jamais profiter de ces moments-là et de leur tension joyeuse. Il sait que ce sont les derniers. Contre Mcgregor, Little Floyd jouera, cette fois, vraiment sa dernière partie. “C’est la fin. Après ce challenge-là, Floyd n’aura plus rien à faire.” Et lui alors? Le moment de la retraite, à 65 ans passés, n’est-il pas venu pour lui aussi? Ne devrait-il pas enfin prendre le temps de peindre ces aquarelles afin de compléter une série qui compte déjà un portrait de James Brown et un autre de Bruce Lee? “Impossible, répond son vieux compère Lamar Austin. La boxe, Floyd l’a dans le sang, il ne pourra pas s’arrêter comme ça.” C’est une certitude: quand son fils aura arrêté de cogner, Senior continuera, lui, à fréquenter le Mayweather Boxing Club. C’est qu’il reste des gamins à forger. Ce jour de début août, il enfile encore une fois ses gants. Face à lui s’avance, cette fois, un certain Devin Haney. Un air de teigne, une silhouette compacte et nerveuse, des crochets qui jaillissen­t pareils à un chapelet d’explosions. “Je veux savoir quel genre de bête est capable de me battre!” lance Senior à ce Californie­n de 18 ans. Jusqu’à présent, Devin Haney compte seize combats profession­nels pour seize victoires. Au Mayweather Boxing Club, on l’appelle “New Money”.

Sur la terrasse, près de la piscine où Senior ne se baigne jamais, trône un imposant barbecue équipé d’un mode “rôtisserie”. “Je ne sais même pas combien il y a de pièces dans cette maison. Je n’ai jamais pris le temps de compter”

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